«Métissage» contre «communautarisme». Nicolas Sarkozy a posé les termes du débat dans sa tribune du Monde en date du 9 décembre, publiée en réaction à l'affaire des minarets suisses. Au communautarisme, qui exprime une position de repli sur les valeurs de la communauté d'origine, il préfère le métissage, non perçu comme «négation des identités», mais comme expression de «la reconnaissance, du respect, de la compréhension de l'Autre».
Ainsi Nicolas Sarkozy est-il passé du concept de «laïcité positive», qu'il exaltait au début de son mandat, à celui de métissage - qui est plutôt une valeur de gauche - comme volonté de vivre ensemble, de la part de «celui qui accueille» comme de «celui qui arrive». La laïcité positive est une forme supérieure de reconnaissance des religions, un appel pour que celles-ci soient entendues, y compris dans la définition des grandes questions nationales: éducation, immigration, solidarités, bioéthique. Le métissage, lui, passe par une «assimilation réussie».
Le président de la République a tenu compte des soupçons qu'avait fait naître dans certains milieux laïques sa conception d'une laïcité positive. Il appelle aujourd'hui tous les croyants, qu'ils soient chrétiens, juifs, musulmans à pratiquer leur religion avec une «humble discrétion», en se gardant de toute «ostentation» et «provocation». Mais on a peine à croire que ce propos - qui fait implicitement référence aux minarets et à la burqa - soit destiné à un autre public que celui des musulmans. Nicolas Sarkozy assure qu'il fera tout pour que ces derniers soient des citoyens comme les autres. Mais il les avertit: «Dans notre pays où la civilisation chrétienne a laissé une trace profonde, où les valeurs de la République sont partie intégrante de notre identité nationale, tout ce qui pourrait apparaître comme un défi lancé à cet héritage et à ces valeurs condamnerait à l'échec l'instauration d'un islam de France».
Volontairement ou pas, Nicolas Sarkozy relie donc la question de l'islam à celle de l'identité nationale en débat et du vivre ensemble sur le même territoire national. Ce faisant, il rassure des électeurs de droite et d'extrême-droite qui, à l'instar des citoyens suisses, craignent une expansion de l'islam aux dépens des valeurs historiques, chrétiennes ou laïques, dominantes en Europe. Mais il prend aussi le risque d'irriter les musulmans modérés et déjà intégrés, de loin les plus nombreux, qui estiment que leur pratique de l'islam n'est ni provocatrice, ni ostentatoire et n'ont d'autre objectif, à les entendre, que de se fondre dans les valeurs communes de la République. Il y a là un malentendu que les explications de ces derniers jours n'ont pas levé. L'«assimilation réussie» ne se fera pas sans les efforts des musulmans eux-mêmes, mais pas non plus sans le soutien de la République laïque.
Deux conditions qui, jusqu'à présent, ont en partie manqué. L'histoire de l'intégration de l'islam en France peut se lire, en effet, comme une série d'occasions gâchées par une communauté divisée et fragmentée au gré de ses frontières nationales d'origine (Maghreb, Turquie, Afrique noire), de ses humeurs religieuses, des egos de ses notables, de ses clivages de génération ou de ses filières de financement. Face à cela, les pouvoirs publics, jusqu'aux années récentes, s'en sont tenus à une gestion policière de l'islam: on traque les réseaux extrémistes, les imams politisés. Ou à une gestion paternaliste avec un partenaire privilégié: la Mosquée de Paris, vitrine de l'islam de France, mais trop dépendante de ses liens statutaires et financiers avec la seule Algérie et coupée de toute base associative, de jeunes, de femmes, d'intellectuels.
Depuis les années 1980, des efforts sont faits pour répondre aux questions posées par la sédentarisation d'une communauté qui a quintuplé en trente ans (plus de 5 millions de musulmans). Des mosquées-cathédrales ont vu le jour. Des carrés musulmans dans les cimetières ont été définis. Des facilités pour le régime alimentaire hallal ont été accordées dans l'espace public (casernes). Des interlocuteurs représentatifs de l'islam ont émergé à travers des procédures de désignation qui ont, à chaque fois, prêté à contestation. La dernière en date est celle du Conseil français du culte musulman (CFCM), instance nouvelle née à l'initiative de Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur. Mais la crédibilité de cette instance reste à démontrer. Elle dépend de sa capacité à faire avancer les dossiers sur lesquels les fidèles et pouvoirs publics l'attendent: la formation des imams, les fêtes religieuses, la certification de la viande halal, la construction de mosquées, les services d'aumôneries.
Mais la formation des cadres religieux, qui devait être la clé de voûte d'un islam apaisé et intégré, n'avance guère. L'Institut Avicenne de Lille, ceux de l'Union des organisations islamiques de France (UOIF) près de Château-Chinon (Nièvre) ou de la Mosquée de Paris - dont les étudiants reçoivent des cours sur les religions et la laïcité à l'Institut catholique! - témoignent d'une formation qui reste précaire, peu contrôlée, dispersée. La plupart des imams qui prêchent le Ramadan continuent de venir du Maroc, d'Algérie, de Turquie. Les pouvoirs publics, contraints par les règles de la laïcité, autant que les associations divisées sur les contenus théologiques de cette formation semblent dépassés par un enjeu qui a besoin d'envergure pour que l'islam de France puisse prendre un jour toute sa place dans la République.
Pourquoi exiger des musulmans plus qu'ils ne peuvent fournir? Les minarets comme les burqas ne sont pas des prescriptions religieuses. La loi est souveraine et les pouvoirs publics ont les moyens de sanctionner tout manquement à la «discrétion» religieuse qui équivaudrait à une atteinte à l'ordre public. Pour le reste, l'assimilation est affaire de temps. Les mariages mixtes sont en augmentation. Les mosquées s'inscrivent peu à peu dans le paysage. Les facultés et instituts de recherche scientifique accueillent de plus en plus de jeunes musulmans. Beaucoup disent qu'ils aiment la littérature arabe, sont de confession musulmane, mais baignent dans une culture et une langue françaises qui sont diverses par elles-mêmes. Les identités de «celui qui accueille» comme de «celui qui arrive» ne sont jamais figées. Les questions en suspens dans l'organisation d'un culte musulman paisible et intégré doivent être réglées. Pour le reste, l'ignorance et la bêtise de quelques extrémistes religieux ou jeunes franco-arabes provocateurs ne doivent pas devenir le prétexte à réveiller le monstre du populisme.
Henri Tincq
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Image de Une: Une femme portant un nijab dans le Jardin des tuileries à Paris Reuters