Économie

L'arnaque grecque

Temps de lecture : 5 min

La zone euro peut faire face au surendettement grec, mais gare à l'Irlande ou pire l'Espagne.

La Commission européenne a finalement approuvé mercredi 3 février le plan d'économies de la Grèce, mais va mettre le pays sous une surveillance d'une ampleur sans précédent afin de s'assurer qu'il prendra les mesures qui s'imposent pour résoudre sa crise budgétaire. Bruxelles a en parallèle annoncé l'ouverture d'une procédure d'infraction contre Athènes pour ses statistiques de déficits et de dettes truquées, pouvant déboucher sur à une amende ou une saisie de la Cour de justice européenne.

«Nous appuyons le programme» grec de stabilité, dans lequel Athènes a détaillé les mesures prévues pour réduire son déficit, a déclaré le commissaire européen aux Affaires économiques, Joaquin Almunia. Mais, «la façon d'aider, ce n'est pas seulement d'applaudir, c'est de mettre en place un instrument de surveillance et de suivi de l'application de ce programme», a ajouté M. Almunia, en expliquant que le plan grec serait soumis à une surveillance inédite. «C'est la première fois que nous mettons en place un système de surveillance aussi intense et quasi-permanent, mais c'est nécessaire», a-t-il ajouté.

***

Si quelqu'un doit 1 000 euros à sa banque, il a un problème. Si quelqu'un a une dette de 270 milliards d'euros, c'est la banque qui a un problème. Et la banque, c'est l'Europe. La blague s'applique aujourd'hui à la Grèce, mère patrie de la déesse Europe, entrée en 2006 dans l'euro, au grand désespoir de beaucoup.

Avant de se qualifier à l'euro, Athènes a fait subir à ses comptes publics tous les bains et jets possibles de la thalasso comptable. Pour faire mincir la proportion de dette à des niveaux acceptables pour Maastricht, les Grecs ont gonflé le PIB (Produit intérieur brut) en lui intégrant le marché noir et les recettes estimées des prostituées. Dans l'autre sens, beaucoup de dépenses ont été mises sous les tapis d'Orient. Résultat? Un PIB «remonté» de 25%. Gagné: les Grecs ont eu l'euro et ont continué de recevoir les milliards d'aides de Bruxelles pour percer des autoroutes et subventionner les cultivateurs d'oliviers.

Le subterfuge n'a été découvert que plus tard, complètement par hasard. Les autres Européens ont alors fermé les yeux, moitié parce qu'ils se sont trouvés benêts d'avoir été grugés aussi facilement, moitié parce que la Grèce, c'est l'ancêtre Europe. On pardonne tout à sa grand-mère.

Mais quand, en octobre dernier, à l'occasion de l'entrée du nouveau gouvernement Georges Papandréou, les statistiques de dette ont été révisées, d'un coup, de 6,5% du PIB à 12%, les européens ont mal supporté. Dans leur gorge, le noyau d'olive s'est bloqué. Déjà, Francfort toussait de voir les gouvernements successifs ne rien faire contre des déficits doubles des règles maastrichiennes (6,8% du PIB en moyenne de 1991 à 2007 au lieu des fameux 3%) mais voilà que les chiffres étaient encore truqués! Et cela ne semblait pas plus émouvoir M. Papandréou que ses prédécesseurs puisqu'il a repoussé ces dernières semaines les demandes de Bruxelles de présenter un «plan de redressement».

Aujourd'hui, le gouvernement affiche un déficit de 12% et une dette qui atteint 100% du PIB mais peut-on le croire? Pas les marchés. La mauvaise ambiance qui y plane après Dubaï et face aux perspectives médiocres de la reprise mondiale, les ont poussés à reconsidérer, un à un, tous les comptes des Etats. Et la Grèce, bien que dans l'euro, a été montrée du doigt. Les taux d'intérêt sur les bons du trésor grecs ont grimpé et plus encore le coût des garanties sur un «défaut» du gouvernement sur sa dette. Standard & Poors a mis le pays sous surveillance, lundi 7 décembre. L'agence de notation Fitch a annoncé, mardi 8 décembre, abaisser la note des emprunts publics grecs de A- à BBB+.

Dubaï a Abou Dhabi, la Grèce a Bruxelles. Le risque reste modéré. Pas de panique. En février dernier, on avait déjà craint un danger grec ou italien, qui aurait menacé l'existence même de l'euro. Mais l'incendie avait été vite éteint par les déclarations de Jean-Claude Juncker, président de l'Euro groupe, confirmées par celle de Peer Steinbrück, le ministre allemand des finances de l'époque : «nous ne laisserons pas tomber un membre de la zone euro». Les marchés avaient retrouvé leur calme.

La nervosité retrouvée aujourd'hui reste relative. Le scénario d'une «défaillance» d'Athènes est exclu. Au sein de la Banque centrale européenne (BCE), le débat ne semble pas définitivement clos sur l'automaticité du secours porté aux Etats surendettés, en tout cas sur les modalités et les conditions, puisque rien n'est prévu dans les traités, comme le rappelle Laurence Boone de Barclays Capital, mais les déclarations Junker-Steinbrück semblent néanmoins faire jurisprudence.

Pour autant, les risques de tempête ne sont pas évacués. Le premier ministre Papandréou s'est cette fois engagé, mercredi 9 décembre, à prendre «toutes les mesures en notre pouvoir pour maîtriser l'énorme déficit et restaurer la stabilité des finances publiques». Mais Bruxelles et les créanciers attendent un plan détaillé crédible et ils seront désormais moins naïfs sur la qualité des statistiques. Papandréou a dit que la souveraineté de l'Etat grec était menacée pour la première fois depuis le retour à la démocratie en 1974 mais il est trop tard, il s'agit bien de ça. On peut dire qu'Athènes est mise sous contrôle. Les Européens vont exiger des mesures d'austérité drastiques, comme le FMI en a imposées à la Lettonie: réduction des pensions de retraites de 10%, relèvement des impôts, TVA sur les revenus de capitaux, etc...

Dans l'immédiat, deux autres dangers occupent les esprits, ajoute Laurence Boone. Que les banques grecques n'arrivent plus à se financer auprès de la BCE et que les autres banques européennes qui servaient d'intermédiaire se retrouvent surchargées (beaucoup d'Allemandes seraient dans ce cas, dit-on). La prochaine réunion de la BCE, le 17 décembre, aura un menu grec. Et qu'un autre pays défaille de la même manière, l'Irlande ou, pire l'Espagne. Car les sommes en jeu seraient alors nettement supérieures et la jurisprudence Junker-Steinbrück pourrait être remise en cause. La zone euro n'est pas complètement à l'abri. En automne soufflait dans la Grèce antique un mauvais vent d'est, il avait nom Euros.

Eric Le Boucher

Lire également: En Grèce, le pouvoir politique est aux mains de trois familles et Dubaï, le Lehman brothers du Golfe persique.

Image de Une: Le siège de la banque centrale de Grèce à Athènes Yiorgos Karahalis / Reuters

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