Parents & enfants

L'école fait fausse route en voulant apprendre la même chose à tout le monde en même temps

Temps de lecture : 9 min

Et si l'école s'adaptait enfin au niveau de chaque élève?

Un enseignant à l'école de La Jarne près de La Rochelle, le 1er septembre 2016 | XAVIER LEOTY / AFP
Un enseignant à l'école de La Jarne près de La Rochelle, le 1er septembre 2016 | XAVIER LEOTY / AFP

Repensez aux longues heures passées en classe à vous ennuyer parce que vous aviez déjà compris la notion expliquée ou, pire, parce que vous ne compreniez rien et étiez largué. Dans un monde où tous les enseignants pourraient pratiquer la «différenciation pédagogique», ces situations n’auraient peut-être plus cours. La «différenciation pédagogique» consiste à mieux adapter l’enseignement aux différents niveaux des élèves et de le faire au jour le jour dans la classe. Certes, l’expression fleure bon le jargon enseignant… tout comme «l’hétérogénéité de la classe». Pourtant, ces réalités posent nombre de difficultés aux enseignants (la fameuse «gestion de l’hétérogénéité») et aux élèves.

Ce sujet semble fondamental tant les élèves en retard dans les apprentissages, mais aussi les plus rapides, se trouvent mis en difficulté à l’école, comme l’attestent les études et ouvrages sur ces questions. J’étais donc très curieuse d’écouter ce qui se dirait à la conférence de consensus organisée par le Cnesco (Conseil national de l’évaluation du système scolaire) et l’Ifé (Institut français d’éducation) en mars, soit une série de communications scientifiques sur le sujet à l’issue desquelles un certain nombre de recommandations, 27 en l’occurrence, ont été formulées le 28 mars.

S’adapter aux différents niveaux des élèves est une recommandation institutionnelle ancienne (1989) mais, à juger par ce qu’il se passe dans les classes, elle n’est pas toujours la règle, voilà ce que m’explique Sophia, élève de première: «En seconde, quand je disais que je n’avais pas compris, la prof me répondait qu’il fallait finir le programme».

Faire en fonction de chacun

La différenciation est relativement peu pratiquée en France par rapport aux pays comparables: «22 % des enseignants en collège français déclarent pratiquer un enseignement différencié, contre 44 % en moyenne dans les pays ayant participé à l’enquête TALIS (2013)».

Ni toujours possible. Au collège, l’écart de niveau entre les élèves les plus «forts», qui conceptualisent et peuvent passer au développement écrit argumenté et les plus faibles qui peinent à lire avec fluidité, manquent de vocabulaire et dont la syntaxe demeure chaotique. C’était souligné avec force dans l’ouvrage de Sandrine Garcia et Anne-Claudine Oller Réapprendre à lire pour qui la différenciation peut aussi se révéler être une impasse:

«En classe même, la différenciation pédagogique peut difficilement consister à faire autre chose qu’à adapter les tâches aux difficultés de l’élève et donc à faire autant de niveaux différents que de type de difficulté. Cela renforce plutôt les inégalités.»

Faut-il abandonner l’idée d’adapter l’enseignement aux progrès de chacun? Les réponses des experts du Cnesco montrent qu’il existe beaucoup de pratiques qui permettent de prendre davantage en compte les différences et citent plusieurs exemples:

- donner des exercices différents aux élèves;

- organiser à certains moments des groupes de niveau à l’intérieur de la classe (mais pas des classes de niveau car elles ont un effet délétère sur les acquisitions des élèves faibles et moyen);

- formuler les objectifs du cours de manière très précise et explicite et veiller à ne pas laisser des élèves dans l’incompréhension des consignes et intitulés.

Plus facile à dire qu’à faire quand il faut largement repenser son organisation, augmenter son temps de préparation et de correction. Si on lit les recommandations de près, ce qu’il ressort c’est qu’il s’agirait pour les enseignants de travailler de manière tout à fait différente: «Mutualiser les connaissances et pratiques pédagogiques», «créer des groupes interclasses» disait par exemple la présidente du jury scientifique du Cnesco, Marie Toullec-Théry.

La manière d'enseigner est culturelle

Comme souvent en éducation, on s’aperçoit que la question pédagogique devient plus globale: on passe d’une question de gestion de la classe à celle de la formation des professeurs, puis à l’organisation collective du travail. Mais la manière d’enseigner est également culturelle et s’il faut tout changer pour modifier une seule chose…

J’ai toutefois relevé une proposition particulièrement intéressante dans les approches présentées comme des pistes dans le rapport: le tutorat entre élèves qu’on peut appeler, si vous aimez le jargon, «l’enseignement mutuel». Celui-ci s’oppose à un «enseignement simultané», celui que la plupart d’entre nous ont connu (sauf si vous avez fréquenté une classe unique dans une école rurale par exemple): la classe, avec des enfants du même âge qui font la même chose en même temps. Foin d’innovation pédagogique pourtant, quand on parle de ce type d’enseignement, les écoles mutuelles ont fleuri en France dans le premier tiers du XIXe siècle, elles appliquaient une pédagogie qui reposaient sur le fait de constituer des groupes d’élèves dans lesquels les uns apprenaient aux autres, un seul maître étant requis même pour un grand nombre d’élèves au total.

Cette pédagogie a rencontré un grand succès et ses partisans citent volontiers Victor Hugo qui a soumis au concours de l'Académie française en 1819 une poésie intitulée «Discours sur les avantages de l’Enseignement mutuel»; je vous en propose deux extraits :

«J’écoute mal un sot qui veut que je le craigne,
Et je sais beaucoup mieux ce qu’un ami m’enseigne»

«Vois-les, près d’un tableau, sans dégoûts, sans ennuis,
Corrigés l’un par l’autre, et l’un par l’autre instruits»

Mais c’est bien le système que nous connaissons –l’apprentissage de la même notion à tout un groupe dans un temps donné– qui s’est imposé grâce au ministre de l’Instruction de l’époque, comme l’explique le spécialiste de l’histoire de l’éducation, Bruno Poucet:

«Le mode simultané, inventé par les Frères des écoles chrétiennes et défendu par François Guizot, est en voie de s’imposer: c’est le mode désormais dominant où un maître seul fait classe à un groupe d’élèves qui suivent tous, en principe, la même progression, en prenant appui sur un même livre, traduction du plan d’étude officiel.»

À l’époque, l’encadrement plus proximal offert, et avec davantage d’adultes, par l’enseignement mutuel semblait également offrir davantage de garanties de moralité et de contrôle de la jeunesse. C’est aussi ce qui explique sa victoire.

Mais pourquoi l’idée ressurgit-elle aujourd’hui? Parce qu’on s’intéresse de plus en plus aux manières de fonctionner de l’école ailleurs et que la pédagogie différenciée est plus familière à d’autres pays; les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, le Danemark ou la Norvège (si on se réfère à la documentation du Cnesco) et surtout… le Japon où se pratique massivement le tutorat entre élèves. Au Japon, la taille des classes est importante, mais les résultats des élèves sont à la fois meilleurs qu’en France et moins inégalitaires si on les rapporte à l’origine sociale (et pourtant l’école y est très compétitive). Pour les enseignants de ce pays, une classe nombreuse n’est pas un problème explique Nathalie Mons, la présidente du Cnesco, car ils ont besoin des élèves de niveaux différents pour l’organiser en groupes hétérogènes qui vont travailler simultanément.

Comment s'organise le cours?

Cet enseignement mutuel est aujourd’hui ré-exploré, me détaillait récemment Vincent Faillet, enseignant de sciences de la vie et de la terre qui a choisi d’expérimenter cette pratique avec ses élèves au lycée Dorian, à Paris. Comment se déroule un cours? Il s’agit d'abord d’expliquer à tous la notion étudiée dans la leçon du jour, après quoi les élèves travaillent en groupe, soit à faire des exercices, soit à creuser la leçon en cherchant des données et des références sur internet. Ils sont également libres de circuler dans la classe. En fin de cours, une séquence de restitution est organisée, elle permet de corriger les exercices et de clarifier ce qui semble ne pas avoir été bien compris.

Sur le site consacré à expliquer sa pratique, Vincent Faillet souligne les bénéfices pédagogiques:

«En travaillant en classe mutuelle, il est possible de passer beaucoup plus de temps avec des élèves qui rencontrent des difficultés alors que pendant ce temps, le reste de la classe est en activité –et en apprentissage. Les élèves qui ont rapidement compris la leçon sont susceptibles de devenir “moniteurs” pour les autres. Une saine émulation se crée. Les “moniteurs” du jour auront peut-être besoin de leurs camarades demain, chaque élève participe, chaque élève a un rôle.»

Cette vision d’une classe «liquide» peut paraître idyllique mais, tout ancien qu’il soit, l’enseignement mutuel exprime quelque chose de très contemporain. Il met également les élèves en activité au service du savoir et permet de rompre avec la monotonie des séquences de cours plus ou moins passives.

L’idée d’enseignement mutuel se rencontre aussi chez les partisans de la coopération en classe. C’est au cœur des principes développés par la pédagogue la plus célèbre de France, Céline Alvarez qui, dès la maternelle, explique le bénéfice pédagogique de l’hétérogénéité en organisant des classes multi-âges, c’est aussi ce qui est pratiqué dans des écoles privées expérimentales du mouvement Colibri (lié à Pierre Rabhi) ou dans la pédagogie Freinet. Le bénéfice est donc double, on apprend à coopérer en apprenant tout court et surtout c’est profitable aux petits comme aux grands qui renforcent leurs apprentissages en transmettant leurs savoirs.

Evidemment, d’autres pistes intéressantes sont proposées dans le rapport du Cnesco, parmi lesquelles le fait d’être ambitieux dans l’enseignement et de ne pas céder devant les difficultés d’apprentissage: différencier ne veut pas dire viser moins haut et revoir à la baisse ses objectifs.

L’idée qu’il est possible de faire de la classe un lieu dans lequel chacun peut espérer progresser dans toutes les disciplines paraît encore un peu lointaine mais s’appuyer sur les élèves eux-mêmes permet aussi d’imaginer aussi des transformation plus rapides que d’attendre des évolutions généralisées de la formation des enseignants et du fonctionnement des établissements. Cela permet aussi, et c’est très important, de ne pas opposer les élèves entre eux, adapter la pédagogie au bénéfice de tous, forts, moyens et faibles (et on peut l'être alternativement).

Mais notre manière d’apprendre semble fortement ancrée dans notre culture scolaire, à tel point que même ce qui semble évident dans des pays comparables et qui est même pratiqué en France semble terriblement exotique.

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