Ghost in the Shell, c’est du sérieux. Pas question de le traiter comme le tout-venant (la diarrhée?) de remakes lamentables que Hollywood lobotomisé par ses calculs financiers déverse sur les écrans du monde.
Le film de Mamoru Oshii de 1995 d’après le manga éponyme de Masamune Shirow reste dans l’histoire comme un sommet de l’anime, œuvre à la fois parfaitement fidèle aux canons du genre et en dépassant toutes les limites simplificatrices.
C'est beau
La première réponse, et non des moindres: c’est beau –bien plus que la bande annonce. Largement inspiré des images de la bande dessinée et du dessin animé d’origine, mais aussi très créatif dans la conception des décors, le GITS version Rupert Sanders/Avi Arad (le producteur et patron de Marvel) est une proposition visuelle plus que convaincante.
La ville du futur où évolue la cyborg nommée Major et ses acolytes les superflics de la Section 9 rejoint ainsi les grandes cités imaginaires de cinéma, celles de Metropolis, Blade Runner ou Le Cinquième Elément.
La métropole globalisée (© Paramount)
Si on ne saurait ici parler de prises de vues réelles, tout étant fabriqué en computer graphics. Le «réel» revient avec la présence de Scarlett Johansson.
La question n’est pas vraiment celle du whitewashing qui, thème à la mode, a fait couler beaucoup d’encre virtuelle. Il faudrait à ce titre plutôt s’offusquer de l’Americanwashing, 70 ans qu’«ils» ont américanisés l’Alice de Lewis Carroll, la Cendrillon de Perrault, le Pinocchio de Collodi, le Mowgli de Kipling, la Mulan des Chinois, l’Aladin des 1001 nuits – et dans cette affaire ce n’est pas la couleur de peau le principal. L’univers dans lequel se joue Ghost in the Shell est d’ailleurs méthodiquement global à dominante US, that's real too.
À poil Scarlett?
Non, le souci –américain lui aussi, mais pas seulement– c’est qu’au moment de passer à l’action, et comme ne l’ignore aucun lecteur ou spectateur des GITS fondateurs, la très séduisante Major se débarrasse de la totalité de ses vêtements. A poil, Scarlett? Impossible! Enfin si, mais pas vraiment.
Angles de prises de vue et combinaison cache-corps en latex numérique couleur chair qui réduit la pauvre madame Johansson à une apparence de poupée en plastique: entre puritanisme, sex-appeal et fidélité, le film se livre à une série de contorsions et autres tartufferies visuelles qui laissent mi-navré, mi-hilare.
On pourrait ajouter cette autre tartufferie, commune à l’immense majorités des blockbusters hollywoodiens: ces films fabriqués pour enrichir de cyniques grands patrons, ceux des Major Companies et les banquiers qui sont leurs marionnettistes, racontent à peu près toujours que les horribles méchants de l’histoire sont... des grands patrons sans foi ni loi, follement avides de pouvoir et d’argent. Dans le cas de Ghost in the Shell, on peut encore un peu s’en offusquer, eu égard à l’élan rebelle qui animait l’héroïne dessinée par Shirow et mise en film par Oshii.
En manque de ghost
Reste le trouble fondateur, cet abime autour duquel se construisait la fiction dans le manga et l’anime. Ce trouble naissait aux confins de deux composites, celui associant dans un même corps cerveau humain et organes synthétiques (le «ghost», esprit et âme plus que fantôme, dans la coquille), et celui associant individu et collectif, dans une société hyper-connectée où les personnages existent dans des rapports variables d’appartenance aux réseaux dont ils relèvent et dont ils ont besoin. Une approche véritablement visionnaire lorsque le manga était conçu en 1989, proche du réalisme aujourd’hui.
A cet égard, le film fait deux choses contradictoires. Il simplifie niaisement le scénario, l’«hollywoodise» au sens le plus pauvre du mot, en instaurant en méchants successifs une sorte de hacker puis, donc (spoiler mais on a compris à la 3e minute du film) le grand patron de la multinationale militaro-industrielle hou qu’il est vilain.
Le Puppetmaster se présente (version Oshii )
Alors que Shirow et Oshii avaient mis en place leur propre version (très peu latourienne) de l’acteur-réseau, faisant de l’adversaire-partenaire de l’héroïne une entité d’une nature différente, et questionnant de manière autrement émouvante et inquiétante sa nature à elle. Dans le GITS-2017, il reste quelques réflexions «suis-je une machine suis-je un être humain?», d’un niveau auprès duquel le Robocop de Verhoeven passerait pour un génie bergsonien.
Un monde liquide
L’intrigant, qui a bien des égards sauve le film, du moins en rend la vision franchement plaisante vient de ce que Ghost in the Shell 2017 invente des dispositifs visuels qui, à rebours des simplismes du scénario, retrouvent la matérialité particulière du récit d’origine.
De manière parfois explicite et souvent subliminale, le monde de GITS est un monde liquide, où se confondent et se confortent la fluidité de la circulation des données, l’artifice trompeur des solutions amniotiques et l’eau H₂O.
Celle qui plonge (© Paramount)
Cela s’incarne dans le geste par excellence de la Major, qui consiste à plonger. Plonger dans l’espace de la ville à la verticale d’immeubles vertigineux, plonger dans l’esprit pollué des victimes du pirate des cerveaux, dans les flots du port, dans son propre passé…
On ne sait trop, en l'occurence, s'il faut regretter ou se féliciter que, comme il est d'usage, la 3D ne serve absolument à rien, au service d'une figure de style qui semblait pourtant pouvoir la légitimer.
Mais ce geste dynamique, à la fois élan, immersion et abandon au moins partiel de soi, est porté avec finesse par cette excellente actrice qu’est Scarlett Johansson, ici utilisée à 20% de ses capacités –alors que les autres interprètes, Binoche et Kitano en particulier, en sont réduits à un statut de figurines utilitaires.
Sa présence (surtout quand on lui épargne les dialogues idiots), sa gestuelle et la recherche sophistiquée du design des environnements ressuscitent ainsi en partie l’esprit de GITS, au long d’une course poursuite avec la lourdeur de la machine narrative qui ne manque pas d'un certain suspens.
Ghost in the Shell
de Rupert Sanders
avec Scarlett Johansson, Pilou Asbæk, Takeshi Kitano, Juliette Binoche, Michael Pitt
Durée: 1h47. Sortie le 29 mars