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Pierre Moscovici: Notre façon de lutter contre le changement climatique doit évoluer

Temps de lecture : 4 min

Attention aux communiqués rideaux de fumée.

Nous y sommes : la conférence de Copenhague où les habitants de la planète vont officiellement «négocier» son atmosphère et ses ressources pour prendre la suite du protocole de Kyoto en 2012, a débuté. Les annonces chiffrées des pays ont fait l'actualité médiatique internationale, le palmarès évoluant pratiquement d'heure en heure... Depuis plusieurs semaines, je suis avec attention chaque pas. A ce jour le démêlage des objectifs reste complexe tant chaque camp choisit ses unités, ses dates de références, ses objectifs en fonction de ses propres priorités.

Je constate ces derniers jours la montée d'une dynamique qu'on n'espérait plus à la sortie des négociations de Barcelone. Les Etats-Unis et la Chine, qui émettent chacun environ 6 milliards de tonnes de Gaz à Effet de Serre (GES) chaque année - hors agriculture et déforestation - refroidissaient alors plus efficacement les négociations que l'atmosphère par leur manque d'engagements. La conférence de Copenhague ne pouvait, disait-on, qu'aboutir à un texte «de principe» remettant à plus tard les objectifs contraignants pour la planète.

A l'approche de l'ouverture de la conférence, et sous le poids d'une opinion publique internationale — ONG, artistes, médias... — qui s'est très fortement mobilisée, l'entrée dans les discussions des chefs d'Etat a donc eu l'effet escompté: des déclarations de réductions quantifiées de GES voient le jour à -presque - tous les coins du globe. Cette bataille des chiffres continuera tout au long de la conférence, avec pour chaque pays l'objectif de laisser à un autre la place inconfortable que les Etats-Unis occupaient depuis leur non-ratification du Protocole de Kyoto, du responsable mondial d'un échec des négociations climatiques.

A l'heure où j'écris ces lignes, la présidence américaine propose toujours 17% de réduction de GES entre 2005 et 2020, toutefois sous la même épée de Damoclès que Clinton en 1997 quand le Congrès américain n'a pas validé ses engagements pris à Kyoto. La Chine annonce une réduction de 40 à 45% de son intensité carbone - GES par point de PIB - entre 2005 et 2020, et l'Inde s'engage à 20-25% sur ces mêmes bases. L'Europe continue de proposer -20% d'émissions de GES en 2020 par rapport à 1990, voire -30% en cas d'accord international contraignant sur le climat, et redistribuera ces objectifs parmi ses pays membres comme ce fut le cas à Kyoto.

Pourtant ces annonces sur le CO2 sont en train de tricoter un rideau de fumée... Sans rentrer dans le débat d'experts, et en écartant comme les négociateurs le font les hypothèses les plus pessimistes, admettons qu'il faut une réduction globale de 50 à 85% de GES en 2050 par rapport à 2000 avec un objectif intermédiaire pour les pays industrialisés de -25 à -40% d'émissions en 2020 par rapport à 1990. La conversion des annonces des différents pays en «langage Kyoto-Copenhague», c'est-à-dire en réduction d'émissions globales de GES entre 1990 et 2020, nous ramène environ pour les Etats-Unis à -3 à -5%, pour la Chine à une multiplication par 4, l'Europe restant sur les -20%. Le retard des pays industrialisés pour s'écarter du business as usual parce qu'ils font face à une crise économique et sociale majeure s'entend, de même qu'il n'est pas possible de refuser aux pays pauvres et émergents le développement de leur société.

Mais la planète a ses limites que l'économie ne changera pas, et les annonces des principaux pollueurs du monde me paraissent insuffisantes. A cet égard je redoute moins une conférence qui reporte à plus tard un accord chiffré, qu'un communiqué médiatiquement réjouissant de pays prêts à sacrifier la lutte contre le changement climatique et qui nous inviteraient tous, Etats, collectivités territoriales, citoyens, à simplement nous préparer aux conséquences. Les Etats-Unis, cumulards d'émissions historiques et globales records avec un niveau de vie fortement carboné, doivent accepter que le seul développement économique des énergies renouvelables et des nouvelles technologies sur leur territoire ne suffira pas.

A mes yeux, l'un des principaux points de vigilance pour ce rendez-vous mondial concerne l'aide solidaire aux pays pauvres, pour lutter contre le changement climatique comme pour financer l'adaptation à ses conséquences dont ils sont déjà les premières victimes. A ce jour un consensus se dégage sur l'évaluation des besoins - entre 110 et 130 milliards de dollars annuels - mais les propositions n'aboutissent pas sur la répartition de l'effort de chacun, y compris au sein de l'Europe. Les pays du Sud ont exprimé leur impatience à plusieurs reprises lors des négociations préparatoires, et la forme même d'un prochain accord climatique doit intégrer ces considérations. Il faudra bien distinguer, parmi les pays en développement, les pays émergents, fortement « pollueurs » et nouvellement dotés d'une force de frappe économique, des pays les plus pauvres, « payeurs » malgré eux des conséquences.

Le dernier point qui me frappe dans la préparation de Copenhague est l'importance que l'Europe a dans les négociations. En dehors de l'agitation, complaisamment mise en scène, de Nicolas Sarkozy, j'observe pour l'Europe une force de frappe importante, qu'elle doit à plusieurs de ses atouts : en premier lieu l'Europe est sur le chemin de respecter ses engagements de Kyoto et a su mettre en place de nombreux outils, réglementaires et de marché, pour y parvenir. L'Europe inspire ainsi les autres acteurs, ce qui la met en position clé de proposer des objectifs globaux impératifs.

La force de l'Europe réside également dans sa gouvernance, qui lui permet de parler d'une seule voix et de faire basculer d'autres acteurs clés dans l'aboutissement des négociations. En européen convaincu, je pense qu'une Europe où la démocratie serait renforcée peut aller plus loin encore dans ses engagements climatiques et environnementaux, rendre plus puissants les outils pour y parvenir, et offrir ainsi à ses Etats membres l'opportunité économique d'industries reconverties, moins dépendantes du cours de l'énergie et technologiquement avancées.

De ces analyses, je tire la conviction que notre manière d'aborder la lutte contre le changement climatique doit évoluer. La fixation d'objectifs globaux, quitte à les réévaluer en fin de chaque période d'accord, est certes indispensable pour engager à l'action collective et limiter les dégâts. Mais nous sommes dans une ère qui vit déjà les crises énergétiques, les dérèglements climatiques et les impacts environnementaux. Aussi nos responsabilités de décideurs politiques se sont démultipliées.

Les trois priorités que j'identifie sont: la protection solidaire des plus démunis face aux formes multiples de la précarité énergétique; l'intégration des démarches environnementales dans nos pratiques territoriales, que nombre d'élus socialistes ont depuis plusieurs années déjà défini comme une priorité dans leurs projets; la définition d'un nouveau modèle de développement social, économique et écologique, objet de la Convention nationale du Parti socialiste que Martine Aubry m'a demandé de piloter et qui sera pour nous un rendez-vous décisif afin de reconquérir la crédibilité et la confiance des Français.

Pierre Moscovici

Image de une: oasis de Zik au Maroc, en mars 2009. REUTERS/Rafael Marchante

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