Sciences / Tech & internet

Pourquoi les vidéos ASMR vous plaisent tant

Temps de lecture : 6 min

L’ASMR, ce petit frisson de bien-être qui vous parcourt face à une vidéo faites de banals chuchotis ou de craquements de glace, n’a rien de magique. C’est un phénomène qui s’explique et fait sens, scientifiquement.

Capture d'écran d'une vidéo du compte Gentle Whispering ASMR

ASMR. Derrière cet acronyme anglais, précisons-le pour que vous ne confondiez pas avec son bien connu homonyme français pour «amélioration du service médical rendu», des milliers de vidéos YouTube. Où l’on voit des visages de près et où l’on entend par exemple le pschitt d’un spray pour cheveux, de l’eau dans une bouteille, des mains frottées l’une contre l’autre, des bruits de bouche et de mastication, des branches qui craquent sous les pas, un bateau qui fend la glace, des glaçons qui fondent, un feu de cheminée qui crépite et beaucoup (beaucoup) de chuchotis. Et un raccourci souvent fait par les médias, qui en parlent comme d’un «orgasme cérébral».

Sauf que l’autonomous sensory meridian response (c’est le sens de ces quatre lettres, soit «réponse maximale sensorielle autonome», ce qui signifie que cette réaction du système nerveux échappe à la volonté) n’est utilisé que par 5% de ses amateurs dans un but de stimulation sexuelle. C’est une étude qui le dit. Pas une banale étude, l’Étude –ou presque, car elles sont au nombre de deux, celle-ci ayant le mérite d’être la pionnière et de porter sur 475 volontaires, contre 11 seulement pour la seconde. Pas que l’engouement pour ces vidéos de bruitages et de mouvements des mains soit une bulle youtubique. «Ce n’est pas de l’hystérie, ça existe», pointe le neurologue Pierre Lemarquis, entre autres auteur de L’Empathie esthétique (Odile Jacob, 2015). Et ce, même si les scientifiques n’ont pour le moment pas réussi à décrire concrètement ce qu’il se passe dans le cerveau lorsque les consommateurs de vidéos ASMR expérimentent cette sensation diffuse de bien-être à l’écoute de chuchotements et de bruissements.

Certes, comme l’écrivaient en 2015 les auteurs de l’Étude dans leur introduction, «à ce jour, on ne dispose d’aucune exploration scientifique rigoureuse de l’ASMR, ni des conditions qui déclenchent l’état ASMR ou y mettent fin» –et ce constat est encore valable deux ans plus tard. Mais, si on ne sait pas grand-chose de l’ASMR, ce n’est en rien parce qu’elle n’existe pas. C’est tout simplement parce que cette sensation de fourmillement faisant penser à de l’électricité statique au niveau du cuir chevelu, qui descend dans la nuque et se prolonge de manière diffuse dans la colonne vertébrale, nécessite pour se produire non seulement des déclencheurs (ces petits bruits et mouvements lents que l’on retrouve dans les vidéos) mais aussi un environnement calme et décontracté… Ce qui est difficile à concilier avec le bruit fort et désagréable, entre marteau-piqueur et musique techno, ainsi que la sensation de confinement des machines IRM.

Régression cocooning

Reste que, malgré cette impasse scientifique et la faible littérature scientifique autour de la question, rien n’empêche d’en expliquer quelques fondements neurologiques. D’abord, rappelons le rôle des neurones miroirs, insiste Pierre Lemarquis. «On aime tous casser la croûte de la crème brûlée comme Amélie Poulain ou éclater du papier bulle. Si on voit une personne le faire, on va s’assimiler à cette personne: c’est de l’empathie.» En gros, ces neurones vont s’activer lorsque vous voyez quelqu’un exécuter une tâche comme si vous étiez vous-même en train de l’exécuter. Ce qui explique l’attrait des vidéos ASMR de brossage de cheveux, qui peuvent aussi rappeler la sensation agréable chez le coiffeur lors du shampoing ou de la coupe, «la nuque étant l’une des zones les mieux pourvues en récepteurs sensitifs».

«L’oreille réagit à la pression exercée par les sons: c’est un récepteur au tact qui s’est surspécialisé. Les ASMR caressent littéralement notre cerveau»

Dr Pierre Lemarquis, neurologue

Si tout le monde n’est pas touché, cela dépend de votre vécu, en plus de votre sensibilité physiologique. La preuve, certains bruits, comme le craquement d’une carotte sous la dent, peuvent provoquer de l’exaspération chez les uns (on parle alors de misophonie) mais être très appréciés des amoureux de l’ASMR. Et quand on parle de vécu, ce n’est pas toujours conscient. Pas étonnant que les vidéos ASMR aient «un petit côté régressif», fait remarquer le neurologue: «Il y a quelqu’un qui nous regarde, fait attention à nous, chuchote à nos oreilles; l’amnésie infantile est passée par là mais on a tous dû ressentir une expérience similaire dans la prime enfance, ce qui explique la sensation de sécurité, de bien-être que ça génère. Ça fait un peu penser au film Her. Scarlett Johanson devrait faire des vidéos ASMR.»

En musique

On peut aussi tenter de comprendre pourquoi des bruits (le principal déclencheur d’ASMR étant le chuchotis) vont générer des frissons, donc une sensation tactile. «L’oreille est un récepteur au tact qui s’est surspécialisé; après tout, elle réagit à la pression exercée par les sons. Donc les ASMR caressent littéralement notre cerveau», appuie Pierre Lemarquis. D’autant que, «dans le cerveau, il y a plus de neurones pour le son que pour tous les autres sens réunis». En fait, cette réaction ressemble étrangement à celle que peut produire la musique, l’empathie esthétique, ce qu’étudie le neurologue, à la différence près qu’il s’agit dans le cas des vidéos ASMR de bruits du quotidien. Or, il a déjà été démontré que l’écoute de musique conduisait à une sécrétion d’endorphine. Et l’endorphine a une capacité analgésique et procure une sensation de bien-être. Deux bénéfices que l’on retrouve dans l’ASMR. Ainsi, trente-huit des participants ressentant des douleurs chroniques rapportent que le visionnage a amélioré leurs symptômes. «On peut donc parier sans trop de risques que l’ASMR déclenche une sécrétion d’endorphines», ponctue le neurologue.

Autre point notable: ces vidéos sont, d’après les témoignages, addictives. Et elles sont utilisées pour chercher le sommeil (82% regardent ces vidéos dans ce but d’après l’Étude). «On peut faire l’hypothèse que l’ASMR est lié au système du plaisir et de la récompense», poursuit le docteur Lemarquis. S’absorber dans des vidéos de chuchotis pourrait donc conduire également à une sécrétion de sérotonine, autre neurotransmetteur impliqué dans la régulation du rythme circadien (horloge interne) et qui joue un rôle sur l’humeur. Ainsi, 81% rapportent dans l’Étude que leur moment préféré pour regarder ces vidéos est le soir, avant de se coucher (on leur suggère d’installer le logiciel F.lux pour éviter les effets délétères de la lumière bleue des écrans sur le sommeil). 98% des consommateurs de vidéos ASMR étudiés utilisent l’ASMR dans un but de relaxation, 70% pour gérer leur stress. Et 80% affirment que l’effet sur leur humeur est positif.

Synesthésie au sens propre

Les chercheurs de l’Étude soulignent aussi que «la synesthésie apparaît particulièrement répandue parmi l’échantillon étudié». De vagues souvenirs de vos cours de français remontent… Oui, vous ne vous trompez pas, la synesthésie, c’est bien cette figure de style qui consiste à établir des correspondances entre des sensations différentes. Comme dans les vers du bien-nommé poème «Correspondances» de Baudelaire «Il est des parfums frais comme des chairs d’enfants, / Doux comme les hautbois, verts comme les prairies», où sont mélangés l’odorat et le toucher. Mais trêve de poésie! Revenons à nos moutons neurologiques. La synesthésie, c’est aussi un trouble de la perception sensorielle dans lequel une sensation habituelle va s’accompagner d’une sensation complémentaire dans un tout autre domaine sensoriel.

«Quand quelqu’un nous regarde, on peut avoir l’impression qu’on nous touche», explicite le docteur Pierre Lemarquis. Dans le cas des synesthètes, ces amalgames sensoriels sont automatiques et plus vifs. Or 5,9% des amateurs d’ASMR de l’Étude sont aussi synesthètes, contre 4% dans la population générale. Voilà qui pourrait expliquer la spécificité du cerveau des personnes sensibles à l’ASMR: d’après l’étude n°2, on y retrouve plus de connexions au niveau des cortex auditifs et visuels et une moindre connectivité dans les lobes frontaux internes et le cortex somatosensoriel ; «il est possible que l’ASMR reflète une capacité réduite à inhiber des expériences sensorielles et émotionnelles qui sont supprimées chez la plupart des individus», écrivent les chercheurs.

Résultat: une expérience qui fait penser au «flow state» (un état d’absorption totale), surtout que les personnes ayant déjà expérimenté cet état de «flow» avaient plus de bruits et mouvements déclencheurs ASMR que les autres. «La conscience est comme un faisceau lumineux, elle se focalise sur quelque chose et laisse dans l’ombre tout le reste, ce qui provoque une détente et une sortie du temps et de l’espace, un état qui rejoint la méditation et l’hypnose», ajoute Pierre Lemarquis. D’autant qu’il s’agit de volontaires: «Ils ne sont pas sur leurs gardes, ce qui peut modifier les connexions cérébrales va s’effectuer ainsi plus facilement.» C’est ainsi que ces bruits qui ne sont ni artistiques ni musicaux pénètrent et impactent vos cerveaux au même titre qu’une œuvre d’art –à l’instar des frissons de plaisir que peut procurer la musique. Vivement le jour où la science permettra d’observer en temps réel les neurones pendant une session ASMR!

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