Des cheveux ébouriffés par la sueur, des T-shirts sortis des pantalons, des mocassins en cuir qui grincent sur le parquet du bal disco en plein air: le campus d'été 2009 des Jeunes Populaires bat son plein à Seignosse dans les Landes. La soirée s'enfonce dans la nuit, les consos à 5 euros s'enchaînent. Depuis le départ des députés et des ministres, un petit groupe s'attarde. Ils sont jeunes, de 17 ans à la quarantaine, parfois plus. Tous homosexuels. Des couples ad hoc rentreront à l'hôtel ensemble. Dans leurs poches, des préservatifs siglés «UMP».
«Il y a beaucoup plus d'homosexuels à l'UMP que dans la moyenne des Français. C'est vraiment flagrant», assure un Jeune Pop, qui préfère que son nom ne soit pas utilisé car il n'est pas autorisé par le parti à parler aux journalistes, et aussi parce qu'il n'a pas envie d'être l'homo de service. «Ce n'est pas qu'une impression. Aujourd'hui dans les cabinets ministériels, ils sont partout, il y a un vrai réseau d'homos qui entretiennent beaucoup de relations entre eux, qui sont un peu partout dans le gouvernement et dans le parti.»
«Je peux vous dire que les soirées des Jeunes Pop sont assez gratinées. Dans les soirées pour célébrer la victoire en 2007, c'était quand même très très open», complète un ancien stagiaire de la campagne présidentielle de 2007. «C'est limite un concours de qui couchera le plus», embraye Romain, qui fut un responsable des Jeunes Pop en province.
Les homos de l'UMP sont nombreux et ils ne sont pas dans le placard. Ministres, députés, militants, responsables de fédérations, conseillers ministériels... Etre gay et assumer n'est plus un tabou. Sauf dans le programme officiel du parti.
Famille traditionnelle sur scène, drague en coulisses
Une scène fut révélatrice de ce grand écart. Au conseil national de l'UMP, samedi 28 novembre à Aubervilliers, Xavier Bertrand remet une couche sur la «famille», au milieu d'un long discours sur l'identité nationale. «Une famille, c'est un père et une mère, c'est pour ça que je reste opposé à l'adoption par les couples homosexuels.» Dans les gradins, les «bravos!»fusent. Mais derrière le secrétaire général, beaucoup n'applaudissent pas, comme c'est pourtant l'usage. Et dans les couloirs du conseil, au même instant, de petits groupes de garçons - gays - continuent à papoter, comme si de rien n'était. Des discours homophobes, ils en ont tellement entendus.
«Le premier à droite à avoir accepté d'ouvrir les yeux a été Jean-Pierre Raffarin, qui a reçu notre délégation en juillet 2003», se souvient Alain Piriou, porte-parole de l'inter-associative gaie et lesbienne (Inter-LGBT) de 2002 à 2008 et observateur extérieur de la droite au pouvoir, avec laquelle il négociait*. «C'était la première fois qu'à Matignon un collectif d'associations était reçue par le Premier ministre, y compris sous la gauche. Un petit événement. On passait de l'ostracisme - on n'existait pas - au statut d'interlocuteurs.»
Avant les ouvertures du libéral Raffarin, qui créa la Halde en 2004 avec des dispositions réprimant les propos homophobes au même titre que les propos racistes, les dirigeants de la droite avaient laissé un souvenir exécrable aux homos français. Pendant les premiers débats sur le Pacs, Nicolas Sarkozy lui-même n'était pas en reste pour dénoncer les cadeaux fiscaux que le gouvernement comptait offrir aux homosexuels:
La famille, c'est un homme, une femme, des enfants, ou bien un homme et une femme. Or le message qu'on envoie aux plus jeunes, c'est: 'la famille, ça peut effectivement être un homme, une femme, des enfants, ou ça peut être un couple d'homosexuels liés par le pacs.' Eh bien, moi, je ne suis pas d'accord... La question, c'est: devons-nous mobiliser une part de nos impôts et modifier la totalité de notre droit familial et de notre droit civil pour ces Français qui ont fait le choix de ne pas se marier?
(Grand Jury RTL Le Monde, septembre 1998, archive payante)
Puis Sarkozy a changé d'avis. Sans prévenir. Ministre des finances, il a aligné les avantages fiscaux du mariage et du Pacs, avant de proposer pendant la campagne présidentielle l'union civile, un mariage réservé aux homos, sans le volet adoption. C'est un peu une variable d'ajustement de son discours, analyse Alain Piriou:
Quand ça l'arrange de se montrer libéral et ouvert, il le fait et ça secoue un peu la droite. Et puis quand il a envie de montrer qu'il est bien à droite, bien conservateur, il le fait aussi, ça dépend de ses besoins en termes d'opinion publique. Pendant l'année précédant l'élection de 2007, d'un seul coup il était totalement impossible d'avoir des discussions avec lui ou ses équipes. Il ne voulait absolument plus apparaître comme quelqu'un d'ouvert, et du coup, ça ne le dérangeait pas qu'on lui tape dessus.
Les UMP gays conservent une excellente image de Sarkozy: beaucoup restent persuadés que le président est de leur côté, qu'en privé il serait favorable à l'adoption. Même Brice Hortefeux recueille un avis favorable. Ils créditent aussi le président d'avoir rajeuni le personnel politique, notamment dans les cabinets, un saut de génération crucial dans l'acceptation de l'homosexualité.
«On est des homos de droite»
Pourquoi les homos s'engagent-ils à l'UMP? Y-a-t-il plus de gays à l'UMP qu'au PS ou dans les autres partis? Difficile de la savoir. «Il y a pas mal de gays dans l'engagement politique en général... Si vous êtes hétéro standard avec une épouse, deux gamins et une vie professionnelle, c'est plus difficile», explique Stéphane Dassé, cofondateur de Gay Lib', le mouvement gay et lesbien associé à l'UMP. «L'aspect minoritaire crée une sensibilité, une souffrance qui nous motivent plus pour nous engager et résoudre les problèmes de la société, tente un collaborateur d'un important élu UMP, qui tient à son anonymat pour ne pas agacer son patron. Sauf que contrairement aux autres minorités, nous sommes invisibles. On a le handicap en moins, donc on réussit mieux».
Personnellement, «notre génération a déjà gagné l'acceptation, on peut dire 'fuck' aux homophobes. On n'a aucun problème. On est moins sensibles à la conquête des droits, reconnaît-il. Comment voulez-vous que je ressente un besoin de nouvelles conquêtes sociales? J'ai même déjà failli adopter.»
Karoutchi et Aillagon n'ont «rien foutu»
Assumer n'implique pas militer en faveur des droits des homos. Au contraire. En politique, les rares à avoir agi en faveur des droits des homos sont souvent hétérosexuels, comme Raffarin. «Si tu prends position sur ça, tu es le gay de service, tu défends tes idées personnelles. De l'autre côté, les hétéros ne veulent pas se mouiller non plus», raconte Romain. Le réseau gay de la droite n'a donc rarement, voire jamais, été mis au service de la «cause». Les homos du parti ont d'abord des ambitions politiques pour eux-mêmes. Leur discours doit couvrir tous les sujets et ne pas se limiter au mariage et à l'adoption. Ne serait-ce que pour séduire la base militante, encore majoritairement conservatrice. «On est des homos de droite, continue le collaborateur de l'élu UMP. On est de droite. Le libéralisme économique vient en priorité»
Même les ministres gays ne bougent pas le moindre petit doigt. Roger Karoutchi est un bon exemple. «Il ne nous a jamais aidés», pointe Stéphane Dassé, de Gay Lib'. «J'avais été complètement estomaqué de voir qu'en tant que ministre chargé de l'agenda du Parlement, il n'était même pas au courant d'un projet de loi de Nadine Morano sur l'autorité parentale et le droit des tiers», s'étouffe encore Alain Piriou, de l'Inter-LGBT. Idem pour Jean-Jacques Aillagon, alors ministre de la Culture, que Piriou accuse de n'avoir «rien foutu» pour la création de la Halde tout en tentant de faire croire qu'il était intervenu.
Proches du point de rupture
Pire, l'UMP ne sanctionne pas ses vétérans de la guerre homophobe, comme Christian Vanneste, qui a fait de l'homosexualité son fonds de commerce électoral. Après sa condamnation en appel pour injures homophobes (décision cassée définitivement en 2008), l'UMP avait promis de sanctionner l'élu et de ne pas l'investir pour les élections législatives de 2007. La promesse a été tenue, à un détail près: l'UMP n'a investi personne en face de Vanneste, qui fut donc réélu sous l'étiquette CNI, un parti associé à l'UMP. Depuis, le député continue son combat dans les médias. Les «vieilles gargouilles» de la droite, comme les appelle notre ancien stagiaire de la campagne de 2007, commencent à épuiser la patience des homos de droite.
Ces épisodes de realpolitik électorale étaient tolérés tant qu'il fallait remporter des élections et que l'opinion restait du côté de l'UMP. Problème: le parti de Sarkozy prend du retard sur la population, ses engagements de 2007 et les voisins européens. Une majorité de Français est désormais favorable à l'adoption pour les couples homos - 57% selon un sondage BVA (pdf). Le Parti socialiste, les Verts, le MoDem, le Nouveau Centre, l'extrême gauche et trois ministres (Nadine Morano, Hervé Morin et Chantal Jouanno) la soutiennent publiquement.
Coming out
Mais rien à faire, l'UMP reste le seul parti parlementaire opposé. Même la promesse de campagne de Nicolas Sarkozy, la fameuse union civile, est morte et enterrée, ce que reconnaît l'UMP. Lundi dernier, son porte-parole adjoint, Dominique Paillé, a promis sans y croire qu'elle serait «ressortie des cartons.» Mon oeil.
«On n'est pas très loin du point de rupture, à force de tomber dans des expressions caricaturales», annonce le collaborateur UMP, qui prédit qu'un jour «les députés homos feront leur coming out pour pouvoir monter au créneau». «Quand j'entends Martine Aubry dire qu'elle est pour l'adoption et le mariage homosexuel, j'applaudis et je me dis vivement que l'UMP en fasse autant», confie un responsable des Jeunes Pop. «Les engagements ne sont pas respectés. On risque de manifester beaucoup plus notre mauvaise humeur si ça continue», conclut Stéphane Dassé.
Toutes les personnes interrogées pour cet article m'ont répété qu'elles plaçaient les réformes économiques et sociales avant les droits des homos, un domaine qu'ils rangent dans la catégorie «des petits intérêts personnels», sans le voir comme une question de valeurs ou d'égalité. Mais tous espèrent qu'un dirigeant éclairé, comme François Mitterrand en 1981 avec la dépénalisation de l'homosexualité, prendra l'initiative - et le risque - de renverser la doctrine du parti, contre la base.
Et si Sarkozy, en 2012, affirmait qu'une famille, «c'est aussi un homme et un homme, ou une femme et une femme»?
Ivan Couronne
Image de une: université d'été de l'UMP à Royan, en septembre 2008. Régis Duvigneau / REUTERS
*edit du 15/12/09: cette précision a été ajoutée pour éviter toute confusion