«Je vis dans un monde assez spécial. Je ne connais qu'une personne qui a voté pour Nixon. Je ne sais pas où ils sont.» Cette citation (souvent déformée) de la critique ciné américaine Pauline Kael ressort pas mal depuis la victoire de Trump pour illustrer les bulles d'opinions similaires, généralement «progressistes», où nous nous complaisons. Des bulles que les médias anglo-saxons veulent nous aider à crever de plusieurs façons:
– en mettant en avant une sélection de contenus de l'autre bord: le Guardian propose ainsi Burst Your Bubble, une poignée d'articles piochés chaque semaine chez les médias conservateurs américains (Breitbart, National Review, The American Conservative...). Les newsletters EchoChamber.Club ou Right Richter promettent d'offrir des points de vue différents aux «progressistes». Escape Your Bubble demande de choisir le camp sur lequel on souhaite en savoir davantage. Et l'extension FlipFeed propose de remplacer temporairement sa timeline Twitter par celle d'un autre utilisateur.
– en mettant face-à-face les deux camps: le Wall Street Journal propose Blue Feed, Red Feed, une page qui, pour chaque thème (armes à feu, immigration, islamisme...), place en regard une sélection d'articles «progressistes» et «conservateurs», concept également utilisé par le site Polar News.
– en nous alertant des déséquilibres de notre régime médias: l'application Read Across The Aisle (the aisle, c'est l'allée qui sépare les deux côtés d'un hémicycle) signale ainsi par un curseur s'il penche trop vers la gauche ou vers la droite. L'extension PolitEcho analyse elle nos amis Facebook pour identifier les plus originaux dans leurs goûts médiatiques, et nous permettre de lire davantage les contenus qu'ils mettent en avant.
– en mettant en avant différents points de vue sur un même article: BuzzFeed a testé, en bas de certains articles, une fonction appelée Outside Your Bubble qui propose une sélection de commentaires piochés sur les réseaux sociaux.
Toutes ces initiatives (dont on attend la VF) sont bien belles, mais méritent-elles l'enthousiasme des prosélytes? Pas sûr. Il vaut en effet mieux (c'est le conseil de Eli Pariser, l'inventeur du concept de «bulles de filtre») y aller doucement et éviter de surcompenser en engloutissant des points de vue complètement opposés, au risque de l'hydrocution mentale. Comme l'expliquait récemment l'économiste Tyler Cowen, se confronter à d'autres points de vue, lire le «contre» quand on est «pour», conduit en effet souvent à renforcer l'opinion initiale: c'est ce qu'on appelle le biais de confirmation. Un constat aussi lucide que déprimant: comme si, en gros, on avait le choix entre garder notre consommation déséquilibrée, ou tenter d'en sortir pour se dire, après quelques semaines de légumes vapeur, que décidément rien ne vaut un régime 100% pizzas.
Ce texte est paru dans notre newsletter hebdomadaire consacrée à la crise de la démocratie. Pour vous abonner, c'est ici. Pour la lire en entier: