Les images, sans équivoque, ont rapidement fait le tour de la Toile. En a peine quelques heures, la vidéo montrant les agissements de deux policiers dans une boutique de téléphonie du Xe arrondissement de Paris a été visionnée plus de 300.000 fois. Selon Europe 1, qui s'est procuré la bande du dispositif de vidéosurveillance, les deux policiers sont «filmés en flagrant délit de vol» le 7 décembre au soir. Des cartes téléphoniques et, peut-être, de l'argent auraient été dérobés.
Mis à part les insignes des policiers et le contrôle d'identité, on dirait un vrai braquage. Visiblement pressé, l'un des individus «fait son marché» en fouillant et se servant sur les étalages, les tiroirs et la caisse. Les commerçants, au nombre de trois, tentent vainement de s'interposer. Le reste de la scène se déroule dans la rue, où une patrouille de police est appelée à la rescousse par les passants. Les deux hommes exhibent leur carte de police et se disent victime d'un «contrôle d'identité qui aurait mal tourné»; tout le monde est embarqué pour s'expliquer au commissariat de quartier.
Une attitude de voyous «exceptionnelle»
Tard dans la soirée, les deux policiers — parce qu'il s'agit bien de fonctionnaires de la police nationale — sont mis en examen pour «vol aggravé par leur qualité de dépositaire de l'autorité publique». Le lendemain, l'Inspection générale des services (IGS, la police des polices) est saisie de leur cas et les deux policiers sont suspendus de leurs fonctions.
Lundi soir, le parquet de Paris avait requis leur placement en détention provisoire, mais le juge des libertés s'est contenté de les placer sous contrôle judiciaire. Il s'agit de deux fonctionnaires âgés d'une trentaine d'années de la Direction du renseignement de la Préfecture de police, ex-12e section des RG en charge de l'immigration irrégulière (RG-PP).
Au lendemain de cette affaire, c'est néanmoins encore l'incrédulité qui règne parmi les policiers, dont les patrons ont été informés de la diffusion du contenu de la bande-vidéo dès lundi soir par Europe 1. «Ce sont des voyous, ça ne peut pas être des mecs de chez nous!», s'étranglent des policiers sur les forums Internet spécialisés. Vu l'aisance avec laquelle les deux fonctionnaires des RG se livrent à cette «perquisition», leurs gestes et jusqu'à leur manière de s'habiller, c'est effectivement le premier constat à tirer de cette histoire: il s'agit bien d'un comportement de voyou. «Rare», «exceptionnel», selon les syndicats de police.
Certes, mais ce reproche revient de plus en plus souvent aujourd'hui, notamment dans les banlieues où les jeunes considèrent facilement les forces de l'ordre comme une «bande rivale». «Avant, le flic, pour nous c'était le dépositaire de l'autorité, l'adulte en quelque sorte», se souvient Lamence Madzou, ex-leader de la bande des Zoulous devenu militant associatif (il raconte son parcours avec la sociologue Marie-Hélène Bacqué dans un livre intitulé J'étais un chef de gang aux éditions La Découverte). «Aujourd'hui, c'est un jeune qui parle comme nous, qui s'habille comme nous et qui, souvent, se comporte comme nous», poursuit-il. Il va sans dire que l'action des policiers suspendus mardi ne peut qu'alimenter cette vision des choses.
Sentiment de toute puissance
Leur action, et leur pedigree aussi. Car il ne s'agit pas, de surcroît, de n'importe quels policiers. Des fonctionnaires des RG, spécialisés dans la surveillance des réseaux d'immigration irrégulière dans la capitale. Ils étaient, selon leur version, sur une piste de faux papiers dans les milieux tamouls.
Depuis le 1er juillet, les RG ont fusionné avec la DST au sein de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), sorte de FBI à la française crée à l'initiative de Nicolas Sarkozy. Ce qui n'a pas empêché la Préfecture de Paris (PP) de garder ses propres services de renseignement, connus à l'époque sous le double acronyme de RG-PP. La «PP», avec ses rouages administratifs, sa police judiciaire, sa zone de défense et son puissant préfet, est souvent considérée comme un Etat dans l'Etat. Ce qui ne manque pas de donner parfois un sentiment d'exclusivité voire de toute-puissance à ceux qui sont à son service...
Mythe ou réalité? Ces critiques sont souvent formulées par des policiers d'autres services... immédiatement taxés de «jaloux» par leurs confrères parisiens. Une fois de plus, le comportement des deux fonctionnaires mis en cause n'arrangera pas les choses.
L'arroseur arrosé
La seule lueur d'espoir dans cet incident reste le comportement exemplaire des vendeurs qui ont fait ce que toute personne habitant un Etat de droit doit pourvoir faire lorsqu'elle a un problème: appeler la police.
Mais lorsque la patrouille arrive sur place, les policiers prennent en toute logique la défense de leurs collègues... Et c'est l'un des témoins qui «se prend un coup de bombe lacrymogène», raconte un passant interrogé par Europe 1. Puis, les gardiens de la paix — que ce témoin appelle les «vrais policiers» — se ravisent et embarquent tout le monde pour un interrogatoire en règle. Sage décision.
Et qui, dans un Etat de droit, aboutit à la mise en examen des prévenus — quels qu'ils soient. Le témoignage des commerçants tamouls aurait-il été suffisant pour discréditer la version donnée par les deux fonctionnaires des renseignements? Une chose est sûre: la vidéosurveillance, régulièrement décriée par les défenseurs des libertés individuelles, aura ici joué un rôle décisif dans la mise en cause des deux policiers.
Alexandre Lévy