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L'impossible retour à la vie de Fayçal Cheffou, accusé à tort des attentats de Bruxelles

Temps de lecture : 7 min

Arrêté le 24 mars 2016 par la police qui le suspectait d'être «l'homme au chapeau», l'un des auteurs de l'attaque de Zaventem, il évoque un an après, cette arrestation, l'emballement médiatique qui a suivi et sa difficile nouvelle vie. Témoignage.

L'image du suspect recherché des attentats de Bruxelles diffusée après le 22 mars 2016
L'image du suspect recherché des attentats de Bruxelles diffusée après le 22 mars 2016

Bruxelles, un après-midi du mois de janvier 2017. À deux pas du Berlaymont, le siège de la Commission, la vie des eurocrates pressés suit son cours. Depuis les attentats de Bruxelles, je ne me suis guère aventuré dans ce quartier. En attendant mon interlocuteur devant les portes d'un modeste café, ce n'est donc pas vraiment une surprise si les souvenirs de ce 22 mars reviennent d'emblée. Dix mois auparavant, ce sont ces rues quasi désertes que j'avais arpentées, choqué, une bonne partie de la journée.

Pas le temps de trop gamberger, sur le trottoir d'en face, Fayçal Cheffou attend pour traverser en me faisant un petit signe de la tête pour me confirmer discrètement son identité. Ce n'était pas franchement nécessaire car, pour être franc, on n'oublie pas facilement la tête d'un homme accusé pendant plusieurs jours d'avoir participé à un attentat terroriste. Même quand il l'a été à tort.

«Les gens me reconnaissent tout le temps. Enfin, ceux qui ont une mémoire visuelle. Pendant quatre jours, ils ont montré mon visage dans le monde entier. C'est un attentat en Belgique qui a choqué les gens et dans ce choc, on montre un visage et on insiste sur ce visage. Tapez mon nom sur internet et vous verrez. Dans les transports en commun, dès qu'on me reconnaît, on ne me lâche plus des yeux, je le sais. Les gens bougent de place en général. Les mamans changent de trottoir. Mais j'ai eu aussi des messages de soutien.»

Fayçal Cheffou en a bien besoin car même si une année s'est écoulée depuis son arrestation, cet événement traumatique reste, pour lui, un fardeau.

«Des mitraillettes pointées sur nous et pas un mot»

Sa vie a logiquement changé depuis le 24 mars 2016. Ce jeudi, en fin d'après-midi, il est dans son appartement lorsqu'un ami lui téléphone afin de lui proposer de venir l'accompagner chercher son frère à l'aéroport de Liège. L'homme en question arrive du Maroc. Une journée banale, en principe. Soudain, sur le chemin, une voiture les double et leur bloque la route juste devant le palais de justice de Bruxelles.

«On voit des mecs qui sortent avec des cagoules, des gilets pare-balles, des mitraillettes pointées sur nous et pas un mot. Mon ami nous a dit de lever les mains. J'étais à l'arrière. Quand je suis sorti on s'est mis au sol face contre terre.»

Il est ensuite emmené par la police dans un commissariat évidemment ultra-protégé pour y être interrogé. Au départ, Fayçal Cheffou affirme être totalement dans le flou pendant des heures avant de finalement comprendre qu'il est arrêté en lien avec les attentats de Bruxelles. «Ils me disent: “Vous êtes accusé d'avoir participé à des actes terroristes.” Alors là, quand j'ai entendu ça, j'ai compris que c'était vraiment sérieux. C'était complètement fou, j'ai eu vraiment peur. Je n'avais rien à voir avec tout ça.»

Différents tests (ADN, détection d'explosifs...) sont effectués dans la foulée, son téléphone est ausculté, son domicile perquisitionné, il est auditionné une nouvelle fois plus tard dans la soirée. C'est alors qu'il comprend qu'on le suspecte d'être le troisième homme de l'attentat de Zaventem. Celui qui ne s'est pas fait exploser et qui est surnommé «l'homme au chapeau».

Les trois auteurs de l'attentat de Zaventem juste avant de se faire exploser (Print screen Twitter)

«C'est le chauffeur de taxi qui a cru que c'était moi»

Le matin du 22 mars, le jour des attentats, Fayçal Cheffou a eu la mauvaise idée de se rendre sur place à Maelbeek près du lieu où Khalid El Bakraoui s'est fait sauter dans une rame du métro. Fayçal habite juste à côté et a travaillé dans différents médias, notamment communautaires. Il souhaite, selon ses dires, y capter des images.

«Les policiers me demandent mon emploi du temps et me montrent une photo où je suis devant Maelbeek et ils me demandent si c'est moi. Je dis que c'est bien moi. Ils me montrent ensuite la photo des trois kamikazes. “Ce ne serait pas vous sur la droite?”. J'ai rigolé et leur ai dit: “Mais vous êtes complètement tarés.”

C'est alors qu'ils m'expliquent qu'il y a un témoin qui me reconnaît à 200%. C'est le chauffeur de taxi en fait qui a cru que c'était moi. Tout part de là.»

Fayçal Cheffou près de la station Maelbeek le jour des attentats (Print screen RTBF)

L'homme qui a conduit les kamikazes de leur planque à Schaerbeek dans le nord de la capitale jusqu'à l'aéroport de Zaventem est ainsi certain de le reconnaître.

Le trajet des auteurs de l'attaque de Zaventem (Google maps)

Le 26 mars, le suspect passe devant le juge d'instruction qui l'inculpe pour participation aux activités d'un groupe terroriste, pour assassinats terroristes et tentative d'assassinats terroristes. Sur le trajet vers le palais de justice, il apprend apparemment par les policiers qui l'escortent que son nom a fuité. «La presse a parlé de toi...».

Les médias s'emparent de l'affaire

Incarcéré, le Molenbeekois découvre sur une télé en prison qu'il fait la une de pratiquement tous les médias du monde. «Certains journalistes n'utilisaient même pas le conditionnel. J'ai compris comment les médias peuvent arriver à vous faire détester une personne.» De vieux dossiers resssortent et notamment une vidéo qu'il avait tournée devant une prison belge. Des images qui n'arrangent évidemment pas vraiment son cas. Cheffou fait son mea-culpa:

«Avec tout ce que je voyais en tant que journaliste, je suis devenu plus militant. À chaque fois que je voyais des injustices, je les dénonçais. Dans cette vidéo, je n'étais pas préparé, j'étais sous le coup de l'émotion, j'étais très influencé parce qu'il y a une personne qui m'a ramené sur place, son frère était incarcéré dans la prison. J'aurais dû beaucoup plus réfléchir, ne pas faire ça dans la précipitation, ça se voit. J'ai fait d'autres vidéos, peut-être une trentaine mais le jour où je me suis fait arrêter, ils n'ont ressorti que celle-là.»

L'accusé voit aussi des personnes qu'il a côtoyées dans le passé réapparaître dans sa destinée pour tenter dresser un portrait de sa personnalité. Un classique. C'est le cas de l'animateur Vinz Kanté (Fun Radio Belgique) qui avait affirmé l'avoir vu changer. Fayçal n'a pas oublié:

«C'était un ancien collègue de radio, il est très buzz, on ne s'était pas vus depuis plusieurs années. Pourquoi il a parlé alors que j'étais en taule et dans une situation très compliquée? C'était pour servir ses intérêts. Il était super excité de parler à la presse, de passer sur la chaîne américaine CBS alors qu'il y a eu des morts. Il m'a envoyé un message quand même pour s'excuser.»


Yvan Mayeur, le bourgmestre (maire) de Bruxelles qui n'a pas eu le temps de nous parler –c'est en tout cas ce qu'on nous a dit– s'était exprimé dans les médias à la libération du Bruxellois. Invité de Léa Salamé sur France Inter, le socialiste belge pensait que ce dernier était «un agitateur et un recruteur» auprès de migrants dans un camp installé dans un parc de la capitale. Il arguait alors qu'entre un radical agité et un radical recruteur «la frontière est ténue». Le bourgmestre avait même pris, à l'époque, un arrêté lui interdisant l'accès à ce parc. Le principal intéressé se défend:

«J'aidais les réfugiés et je dérangeais. C'est complètement dingue d'aller dire que quelqu'un recrutait pour Daech dans ce camp, il n'aurait pas fait deux minutes car la majorité des réfugiés sont contre Daech. Ils ont quitté leur pays et je vais leur dire: “Ça ne vous dit pas d'aller en Syrie?” Ça n'a pas de sens.»

«Je pensais que c'était fini mais ça venait de commencer»

Le 28 mars, le juge d'instruction a donc décidé de le libérer pour plusieurs raisons. Tout d'abord, le juge se serait rendu compte que Cheffou, plutôt petit et chétif, n'a pas la morphologie de l'homme sur la photo qui semble avoir un plus grand gabarit que lui. De même, l'analyse de son téléphone prouve qu'il était chez lui et qu'il avait reçu des appels le matin des attaques. Enfin, les enquêteurs ont comparé ses empreintes digitales avec les traces ADN retrouvées sur le chariot utilisé par les terroristes à Zaventem et celles laissées dans le taxi sans y voir une correspondance. Un soulagement pour lui d'autant que Mohamed Abrini sera arrêté le 8 avril et formellement identifié comme l'homme au chapeau après avoir avoué.

Pourtant, cette joie sera de courte durée car, aujourd'hui, Cheffou est toujours inculpé. Comme le confirme le porte-parole du parquet fédéral, «c'est purement procédural». La chambre du conseil statuera sur son cas lorsque l'enquête sur les attentats de Bruxelles sera terminée. «Je ne connais pas tous les détails mais il y aura certainement un non-lieu en ce qui le concerne en fin de procédure», explique le porte-parole du parquet.

Sa vie paraît très compliquée. Précarisé, il est selon lui en arrêt maladie, sous antidépresseurs, affirme ne peut plus ouvrir un compte bancaire, et tombe peu à peu dans la parano.

«À ma libération, Je pensais que c'était fini mais ça venait de commencer. Je suis sous surveillance. Je ne peux pas dormir car je revis le truc, j'ai peur de la police. Après ce qu'on m'a fait, je n'ai plus du tout confiance. Demain, je me dis que je pourrais être encore arrêté.»

Une prémonition on ne peut plus juste car c'est exactement ce qui s'est passé quelques semaines après notre rencontre.

Fin février, à la suite d'une fausse alerte à la bombe dans une salle de concert bruxelloise, il a vu la police débarquer en pleine nuit dans son appartement. Tous ses vêtements rouges ont été embarqués, car la police était semble-t-il à la recherche d'un homme portant une veste de cette couleur. Fayçal Cheffou avait été une nouvelle fois identifié à tort.

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