Une page se tourne à l’hémicycle. Au revoir, Claude Bartolone. Au revoir Noël Mamère, Patrick Balkany, Patrick Devedjian, Carole Delga, Ségolène Royal, Michel Sapin, Jean-Marc Ayrault, Bernard Cazeneuve et compagnie. La situation est sans précédent sous la Ve République. Ministres actuels et élus de toute part ont décidé de dire adieu à la chambre basse du Parlement. Figures politiques majeures comme anonymes. Députés aux huit mandats ou au mandat unique. Socialistes, en masse, mais aussi du parti Les Républicains (LR).
FranceInfo a listé de manière exhaustive le choix des 577 députés. Environ 118 d’entre eux ont décidé de ne pas se représenter et 86 indécis pourraient les rejoindre. Le nombre de députés ne se représentant pas pourrait alors mathématiquement dépasser les deux cents, soit environ 35% de l’Assemblée nationale. Un bilan des annonces de candidature et de retrait qui reste à ce jour provisoire.
Il faudra encore y ajouter le renouvellement par les urnes. Les députés du Parti socialiste vont remettre en jeu leur mandat après un quinquennat difficile, concurrencés à leur gauche par les candidats de la France insoumise et à leur droite par ceux du mouvement en Marche. Sans compter les Républicains et le Front national. Pour l’éditorialiste du Monde, Françoise Fressoz, il s’agit là d’«un grand coup de balai au Palais Bourbon».
«Il s’agira du plus fort renouvellement des membres de l’Assemblée sous la Ve République»
Sans hésitation, Christophe Bellon, enseignant à Science Po Paris et maître de conférence à l’université catholique de Lille, spécialiste des questions politiques de la France au XXe siècle, confirme: «Il s’agira du plus fort renouvellement des membres de l’Assemblée sous la Ve République». Dans l’histoire parlementaire, il y a eu à plusieurs reprises un certain nombre de renouvellements importants qui correspondent souvent à des périodes de crise.
«Si l’on remonte à la IIIe République, cela a été le cas pour la Chambre de 1893 avec le scandale de Panama, de la Chambre de 1910 ou de celle de 1919 après la Première Guerre mondiale. Sous la Ve République, les changements les plus notables dans la composition de l’hémicycle correspondent au retour du général de Gaulle, mais aussi aux événements de mai 1968.»
Le Président de l'Assemblée nationale Jacques Chaban-Delmas annonce la dissolution de l'Assemblée nationale, le 30 mai 1968 à Paris. | STAFF / AFP
Dans une moindre mesure, l’arrivée au pouvoir de Mitterrand en 1981 avait entraîné dans son sillage l’arrivée de nouveaux élus à l’Assemblée et une majorité parlementaire rebasculant fortement à droite dès les élections de 1993. Néanmoins, rien de comparable à la situation actuelle, confirme Christophe Bellon. C’est l’addition de trois facteurs qui la rendent inédite.
«Des députés élus en 1978, sous Valéry Giscard d’Estaing sont-ils en mesure, malgré ou en dépit de leur expérience, de voir le pays dans l’avenir?»
Ce n’est pas une surprise, la moyenne d’âge des membres de l’Assemblée nationale est élevée: 54,6 ans lors de l’élection en 2012. Près de la moitié des députés de l’hémicycle ont entre 60 et 70 ans. «On arrive à la fin d’une génération de députés, née dans les années 1943 à 1946. Ce sont des personnes qui ont entre 70 et 75 ans et qui ont décidé de passer la main», analyse Christophe Bellon. Henri Emmanuelli (PS), décédé le 21 mars à 71 ans, François Loncle (PS), 75 ans, ou Patrick Devedjian (LR), 72 ans, pour ne citer qu’eux, font partie de cette génération.
- @ClaudeBartolone remercie, sous les applaudissements, le personnel de l'@AssembleeNat pour cette législature #DirectAN #QAG pic.twitter.com/XnUFphmsCe
— LCP (@LCP) 22 février 2017
D’autres au contraire s’accrochent à leur siège. Malgré ses 80 ans en juin, le député Lucien Degauchy (LR), élu depuis 1993, se représentera aux législatives. Le renouvellement de l’Assemblée est suspendu aussi à la bonne volonté des députés et des partis qui les investissent.
«La Chambre représente-t-elle encore le peuple? La réponse est évidemment non, avance Christophe Bellon. Des députés élus en 1978, sous Valéry Giscard d’Estaing, sont-ils en mesure, malgré ou en dépit de leur expérience, de voir le pays dans l’avenir? La démocratie représentative est en crise. Le renouvellement de beaucoup de députés n’est pas une mauvaise chose.»
«Un antiparlementarisme très fort dû aux crises politiques»
Plus surprenant, une partie des députés élus en 2012 ont décidé de ne pas briguer de mandat législatif supplémentaire. Sur la base de la liste de FranceInfo, sans compter les indécis, on dénombre plus d’une trentaine de ces élus ayant fait le choix de ne pas se représenter. Presque exclusivement des socialistes.
Les raisons affichées sont diverses. Emeric Bréhier, député PS de 45 ans de Seine-et-Marne (10e circonscription), a choisi (légitimement) de privilégier sa vie familiale, relève le Parisien. L’ex-rapporteur de la commission d'enquête sur les attentats de 2015, Sébastien Pietrasanta (PS), député socialiste de 39 ans des Hauts-de-Seine (2e circonscription), a lui dénoncé dans un billet de blog (qui n’est plus accessible) «le clientélisme» et les «jeux politiciens», relaie le Figaro.
Le contexte actuel est loin d’encourager les parlementaires à rempiler pour un nouveau mandat. Les politiques et plus précisément les parlementaires sont pointés du doigt par les électeurs, dénonçant le «tous pourri». L’affaire d’emploi fictif impliquant la femme du député François Fillon, candidat à l’élection présidentielle, en est la parfaite illustration.
«La France connaît par vague un antiparlementarisme très fort dû aux crises politiques», résume Christophe Bellon. C’est une crise de la politique classique. Notre façon de faire de la politique est essentiellement issue, non pas 1958, mais des institutions de la République de 1875 avec un mode de scrutin uninominal à deux tours, un système qui existe depuis presque 150 ans. Cela a donné des habitudes que les citoyens ne souhaitent plus soutenir.»
En plus d’être mal aimés, les élus peuvent connaître un certain «désenchantement pour la vie parlementaire» du fait de la réalité de la fonction législative, avance le professeur à Sciences Po. Une réalité qu’il est difficile de retrouver dans le discours des députés contactés. Le fait est que la majorité des lois sont issues de projets de loi, donc du gouvernement, et très peu de propositions de loi. Durant ce quinquennat, contrairement à Nicolas Sarkozy, le gouvernement a eu recours à plusieurs reprises à l’article 49.3 de la Constitution, empêchant un dialogue serein au sein de l’Assemblée.
Les débats sur la déchéance de nationalité, finalement abandonnée, ont participé à renforcer un peu plus la division de la majorité socialiste. «Ces querelles politiques les empêchent de voter les lois comme ils se l’imaginaient. Ils réalisent qu’ils ne peuvent pas faire de la politique avec leurs idéaux».
Laurent Grandguillaume, lui, assure que son choix de quitter la vie législative n’est en rien motivé par un désenchantement de la vie parlementaire. Le député (PS) de 39 ans de la première circonscription de la Côte d’Or rejette l’idée que la politique est un métier. Il est persuadé que dix ans de mandat (exécutif et législatif) cumulés sont suffisants. Il a donc décidé de retourner à la vie professionnelle et associative. Dès son élection à l’Assemblée en 2012, il avait quitté ces mandats exécutifs avant de rentrer au Palais Bourbon, «avant même l’adoption de la loi sur le non-cumul des mandats».
L'embarras du choix du mandat
Justement, la loi sur le non-cumul des mandats adoptée en janvier 2014 est la pièce manquante du puzzle qui permet de comprendre cette vague de départ. Son adoption, même si elle ne consacre pas une vision stricte du non-cumul, a permis d’accélérer le renouvellement du parlement. Elle prévoit notamment que les députés (et sénateurs) cumulant un mandat exécutif local en plus de leur mandat législatif doivent choisir lequel ils souhaitent conserver.
Une étude du Monde et de l’Observatoire de la vie politique et parlementaire a montré que 235 députés (et 160 sénateurs) étaient en situation de cumul. Une partie des députés ont affiché leur préférence pour leur mandat exécutif comme le député PS Philippe Martin (Président du Conseil départemental du Gers) ou le député PS Alain Rousset (Président du Conseil régional de Nouvelle-Aquitaine). Le fait de privilégier la mairie à la députation est souvent un choix «naturel», fait «sans trop longtemps hésiter».
Laurent Marcangeli, maire d’Ajaccio et député de la Corse-du-Sud, dit à Slate «être attaché à son mandat local où beaucoup de projets sont en cours. Je suis jeune maire et jeune député, je préfère me consacrer à ma ville. C’était en engagement auprès des électeurs». Le député de 36 ans est une exception au sein de son parti politique. Il est l’un des cinq membres du groupe LR (UMP à l’époque) sur 199 députés à avoir voté en faveur de la loi sur le non-cumul. Il reconnaît «une demande légitime de plus en plus pressante de la part des citoyens».
Vers une normalisation du renouvellement des députés à l'Assemblée?
D’autres ont fait le même choix, mais à contrecœur. Édouard Philippe (LR) a renoncé à sa députation (7e circonscription de Seine-et-Marne) pour son mandat de maire du Havre, qu’il trouve plus «passionnant». «J’ai plus de marge de manœuvre pour mener les projets municipaux. Au Havre, agglomération comprise [Édouard Philippe est président de la Communauté de l’agglomération havraise, NDLR], je suis à la tête de 4.000 personnes et je gère un budget de 700 millions d'euros.» L’élu aurait exercé son mandat de maire et de député si la loi n’avait pas été adoptée. Il a dû se résigner.
Selon lui, «on peut exercer plusieurs mandats et bien faire son boulot, l’inverse n’est pas forcément vrai, confie-t-il à Slate. Quand les députés ne seront que députés, ils seront beaucoup plus dans la main de leur parti, je ne pense pas que ce soit une loi utile. En pratique, les maires qui se représentent lorsqu’ils sont députés sont réélus. C’est mon cas, pourtant je ne suis pas issu d’une ville de droite [le Havre, ville communiste de 1965 à 1995, NDLR]. Les électeurs choisissent de manière souveraine, il faut leur faire confiance. C’est le principe de la démocratie.»
Lors de la lecture définitive de la loi, Manuel Valls, alors Premier ministre, déclarait qu’elle marquait «une grande étape de [la] modernisation de la vie politique». Le fort renouvellement de l’Assemblée est sans nul doute l’expression de cette modernisation de la vie politique. Mesures dans l’ère du temps, elle est reprise et alimentée par plusieurs candidats à l’élection. Emmanuel Macron, le candidat d’En Marche!, a lui fait la promesse d’un «renouveau» au sein de l’hémicycle en présentant 50% de candidats issus de la société civile, tandis que Benoît Hamon s’est prononcé en faveur l’adoption du non-cumul des mandats dans le temps. Les autres candidats y vont eux de leurs mesures. Le renouvellement ne deviendrait-il pas la norme?