Il est un endroit de France où le «balafré» François Fillon peut humer le parfum de la victoire; un site internet, une application gratuite réputée pour sa capacité à appréhender l’opinion, lui accorde une popularité hors norme, et le propulse pratiquement à l’Élysée. Voilà donc GOV, l’ultime refuge. Hier, jeudi 16 mars, François Fillon y était crédité d’une cote de sympathie de 55%, quand ses rivaux nagent dans la réprobation. Macron était à 29% d’approbation, Le Pen à 15, Hamon à 23 et Mélenchon à 21.
Quand on entre dans le détail des débats d’internautes, la musique fillonnienne s’amplifie. Sur GOV, on considère à 66% que Fillon est le seul rempart contre les extrêmes; à 63% qu’il est encore en mesure d’appliquer son programme; à 65% que ce programme est «le BON» et que son porteur «indépendamment des affaires» a la «stature internationale». Loin des sondages médiocres et des lazzis des media, Fillon plane donc. A-t-on raté quelque chose?
Attention aux «signaux faibles»
Ce ne serait rien si GOV n’était pas une affaire sérieuse. Créée en janvier 2014, vécue par ses fondateurs comme un outil démocratique, GOV s’inscrit dans une mouvance qui prétend abolir les algorithmes mesquins des sondages traditionnels, et en finir avec leurs échantillons trompeurs. Place au «big data», à l’interrogation de masse, sans filtre ni correction, pour exciper une vérité changeante et des mouvements.
Les goveurs –ceux qui téléchargent l’application– sont invités à prendre position sur des débats quotidiens, et à évaluer les personnages politiques. Plusieurs milliers de personnes s’exprimant ainsi chaque jour, cela donne, sur la durée, une appréhension de l’opinion mouvante. Bobby Demri, l’inventeur de GOV, parle de «signaux faibles», qu’il suffit de capter à bon aloi pour échapper à l’illusion. À l’automne, ce qu’il recevait montrait que l’appétit pour Fillon montait; il enregistrerait, en janvier, avant tous les autres, le désir de Benoît Hamon. GOV est un repère, comme son rival le canadien Filteris, autre adepte du Big data, qui calcule le «poids numérique» des candidats, et dont on affirme qu’il avait prévu, également, le succès aux primaires de Fillon et, plus impressionnant, la victoire de Trump. Ces oracles peuvent-ils se tromper?
Mobilisation
Le décalage entre ce que l’on pressent de Fillon et ce qu’en dit GOV, induit donc un malaise. Si l’application est l’outil que l’on suppose, alors, le coup de la primaire se réédite, et Fillon, seul politique à trouver grâce aux yeux des français, sera Président en mai: sa force dans l’application étant, alors, la preuve d’un socle fort, d’une droite ferme et mobilisée, qui révèlera sa puissance le moment venu. On sourit? Ou bien, le thermomètre est faussé.
«Fillon est évidemment surcoté chez nous», dit le fondateur de l’application, Bobby Demri, qui ajoute in petto que cela le fait «vraiment ch…» Il rationalise pourtant: «Le décalage donne quand même une information; Fillon dispose de partisans déterminés, convaincus, mobilisés, qui veulent le montrer.» Et qui l’ont montré en s’inscrivant sur GOV:
«On a eu 5.000 personnes ces derniers jours, qui se sont inscrites en se revendiquant “de droite” sur le questionnaire. Ce sont certainement eux qui font monter Fillon.»
En clair, le terrain est faussé.
La primaire, l'étalon-vérité
L’application est victime de son succès. Dans les primaires de la droite, alors que les sondages ignoraient le sarthois, ses geeks, ses militants numériques, trouvaient dans GOV des raisons d’espérer. «Dès le 13 octobre, GOV mettait Fillon vainqueur», se souvient un militant des Hauts-de-Seine, twittos sous le pseudo @Fillon-Suresnes. Le 10 novembre, Fillon lui-même, sur son compte Twitter et son Facebook de campagne, relayait la bonne nouvelle: «Non seulement, @FrancoisFillon peut se qualifier au 2nd tour, mais il peut gagner la primaire! Les citoyens donnent leur avis sur @GOV-App».
Ce jour-là, 1.340 goveurs affirmaient à 66% que Fillon pouvait franchir le premier tour, et 1.680 goveurs –en grande partie les mêmes– le préféraient à Juppé, à 69%. Ce fut le cas. L’application prophétique devint un fétiche. On prit, chez Fillon, le pli de la consulter. De la relayer. De s’y inscrire, enfin, pour prolonger le charme, pour lui faire dire ce que l’on voulait, ce qui fut et reviendra? Depuis le mois de février, Fillon est remonté dans GOV, et ses militants y ont vu le retour des beaux jours. Et ont visité l’application pour hâter le beau temps.
Espérance
Entre le mouvement spontané et l’entrisme, il n’y a qu’un pas? «On suit GOV attentivement, assure Gautier Guignard, responsable de la campagne digitale de Fillon, mais on n’a pas demandé à nos internautes d’aller s’y inscrire.» La viralité se passe de complot? Sur la toile, les résultats de GOV sont abondamment relayés par les internautes filloniens. Bobby Demri a fini par demander à un twittos un peu trop exubérant de ne pas abuser de son outil, peu désireux de le voir discrédité. Mais la bonne nouvelle se répand encore. Sur Filteris aussi, Fillon est plus haut que dans les sondages. Jeudi 16 mars, un article de Valeurs actuelles –soutien de Fillon–, citait une étude Filteris mettant Fillon et Macron à égalité à 23,10%, juste derrière Marine Le Pen à 24,71.
Alter-vérité, ou réalité que masque le bruit des affaires, des scandales et des modes? @Fillon-Suresnes, ingénieur en quête d’espérance, veut voir une logique dans ce qui tombe de GOV: la preuve d’une solidité de son candidat, qui se compare au granit, quand il abandonne la métaphore de la balafre. «Les scores à plus de 50% de FF sont peut-être biaisés en partie. Cela dit, lorsqu’on ne regarde que les personnes certaines de leurs choix, FF est devant EM aussi.» Dans les sondages traditionnels s’entend. Je n’ai rien répliqué à cet argument.