Listes «ubuesques», méthodes «dignes du parti communiste soviétique»: c'est le maire de Lyon, Gérard Collomb, qui s'indigne après l'annonce de la composition des listes socialistes pour les élections européennes. Quelques jours à peine après les proclamations rassurantes qui avaient salué l'intégration des «royalistes» au sein de la direction du parti. Dès que l'on s'est mis à parler sérieusement, ce qui veut dire, au PS, préparer un scrutin, la bataille rangée a repris. Ici et là ont aussitôt fleuri des promesses de boycott des votes qui, en principe, doivent conduire les militants à valider les désignations faites par le sommet. Les décisions prises l'ont été sur la célèbre base de la proportionnelle des courants, sans égard pour le bilan des eurodéputés; pour qui prétend croire à l'Europe, on ne saurait être plus désinvolte.
Le PS, à dire le vrai, a toujours vécu difficilement ces périodes de désignation, point culminant dans la vie d'une organisation qui est presque exclusivement devenue un parti d'élus. Cela ne devrait pas gêner outre mesure le comportement des électeurs.
A ceci près que cette polémique, et son origine — la protestation du maire de la deuxième ville de France — renvoie à un vrai et désormais trop visible clivage: entre l'appareil, le comité central, pour paraphraser Gérard Collomb, et les grands élus de terrain, ceux qui dirigent toutes nos régions (sauf deux), une majorité de départements et de villes grandes et moyennes. Au premier les batailles idéologiques, la généralisation du «non» à toute réforme ou action venant du pouvoir, aux élus les devoirs et les contraintes de la gestion, le discours et la pratique de la responsabilité.
Un autre épisode récent est venu illustrer cette dichotomie: il s'agit des pressions incessantes exercées par la direction du parti sur les deux socialistes qui participaient aux travaux de la commission Balladur, Pierre Mauroy, ancien premier ministre, et André Vallini, président du conseil général de l'Isère; pour obtenir qu'ils se dissocient de la commission, aux fins de pouvoir accréditer l'idée simple, et simpliste, d'une grossière manœuvre sarkozienne pour affaiblir le PS là où il est fort, c'est-à-dire dans les territoires. Comme s'il n'était pas de bonne tradition républicaine — après tout, la référence à la République et à ses vertus n'est-elle pas de tous les discours socialistes? — de participer à de tels travaux, par définition trans-partisans, menés par un Edouard Balladur consensuel!
Pressions telles que, in fine, et malgré une grosse colère vis-à-vis de la première secrétaire Martine Aubry, Pierre Mauroy, le dernier jour, n'était plus d'accord! Puis nous vécûmes ce sommet: André Vallini, de gauche et républicain, fustigé par la même chef du parti, et dénoncé comme un «esprit libre»! Caporalisme, quand tu nous tient!
Ces épisodes, qui paraissent sur le moment dérisoires, sont pourtant autant d'éléments qui participent des formes que prendra l'alternance. N'était-ce pas cette même gauche de gouvernement qui, à juste titre, faisait à la droite un procès en déni de légitimisme lorsqu'elle boycottait tel ou tel voyage de François Mitterrand, ou attisait la colère de telle ou telle catégorie — paysanne notamment — contre la politique de «rigueur» de ce même Pierre Mauroy?
En fait, les derniers développements de la vie du PS ont permis un début de clarification politique, à défaut d'un véritable choix programmatique.
Au chapitre strictement politique, une seule donnée compte: Martine Aubry a commencé d'asseoir son pouvoir. Elle est, à ce stade, la vraie bénéficiaire de la petite mais ô combien importante phrase de Ségolène Royal à Canal Plus: «je suis derrière Martine Aubry». A trente ans de distance, cela m'a rappelé une autre petite phrase, celle de Michel Rocard abdiquant, à la tribune du congrès de Metz: «je ne serai pas candidat contre le premier secrétaire de mon parti». Il pensait alors qu'il parviendrait à dissuader François Mitterrand d'une nouvelle candidature; au grand désespoir de Christian Blanc, alors son bras droit. De la même façon Ségolène Royal peut penser — avait-elle le choix? — qu'elle préserve ses chances en se montrant bonne camarade; mais c'est surtout Martine Aubry qui a fait sensiblement progresser les siennes.
On cogne, on gagne et on verra
En politique, quelle que soit la détermination d'une personne — Ségolène Royal en a à revendre — les logiques de situation finissent par s'imposer; le plus souvent.
En attendant le résultat des européennes, de nature à changer la donne si elles sont mauvaises pour le PS — elles le seront plus vraisemblablement pour l'UMP — il n' y a pour le moment qu'une seule tête socialiste; armée d'un seul mot d'ordre: élargir le front du refus. Les réformes? Toutes mauvaises. Le plan de relance? Il marque l'incapacité présidentielle à mesurer l'ampleur de la crise. Il ne s'agit pas ici de discuter de ce diagnostic, pour le moins exagérément abrupt: pour en savoir plus, notamment sue l'efficacité des réformes, vient de paraître un livre argumenté de deux économistes, Pierre Cahuc et André Zylberberg, «les réformes ratées du président Sarkozy» (Flammarion), dont les conclusions rigoureuses, certes, sont toutefois plus sophistiquées que le titre ne le laisse croire.
Au delà de ces rapports de force internes, la question centrale est, et sera de plus en plus celle du crédit que l'on peut accorder au discours socialiste face à la crise. On commence à voir se dessiner deux postures: l'une, choisie ou avalisée par Martine Aubry, est d'un classicisme absolu; on cogne, on gagne, et après, on verra! L'autre commence à se préoccuper de ce que pourrait être une politique crédible, au risque de voir resurgir, avant même de gagner, l'éternel procès en trahison de la gauche.
Le retour de Fabius et Hollande
La première semble avoir remplacé le mimétisme avec le parti communiste, dont François Mitterrand a débarrassé le PS, par la soumission au magnétisme de l'extrême gauche trotskiste. Peut-être connaissez-vous la fable des «20%», que les militants socialistes se racontent: hier, lorsque le PS disait, par exemple, «le smic à 1.500 euros», Olivier Besancenot revendiquait «+20%»; désormais, lorsque le leader du NPA réclame «tant», le PS et son porte-parole demande «tant + 20%»... Bref la ligne actuelle satisfait le plus grand nombre, procure le confort de se sentir en phase avec l'opinion la plus radicale, mais fait surtout écran, masque les futurs débats sur la crédibilité du PS; ici, mais aussi, dans une crise à ce point internationale, hors des frontières.
Et déjà, dans ce début de recherche d'un crédit indispensable, deux figures tentent de réapparaître: Laurent Fabius et François Hollande. L'ancien Premier ministre s'est sans doute souvenu qu'il incarna un temps une gauche raisonnable — il n'avait pas de mots assez durs pour l'accumulation des déficits — et capable; après tout, la valeur-clé face à la crise ne sera-t-elle pas la compétence? Le discours de Laurent Fabius laisse donc moins de place à la surenchère ambiante, et revient progressivement à ce qu'il avait su incarner. De même pour l'ancien premier secrétaire, désormais libre d'être lui-même, c'est-à-dire profondément réformiste et européen, et qui cherche à poser une réflexion utile au pays plutôt que la synthèse des courants, comme en témoigne sa plus récente chronique confiée à Slate.fr.
Bien sûr, la tempête actuelle, comme l'élection d'Obama, ont remis l'Histoire dans un sens qui est favorable à la gauche. Mais il suffit de regarder les difficultés des travaillistes britanniques, des socialistes allemands, ou de la malheureuse gauche italienne, pour savoir que le PS pourrait de nouveau être victime de lui-même; à lui donc de mettre ses idées au clair, hors du miroir aux alouettes que lui tendent ceux qui n'ont jamais admis que la gauche gouverne et réforme.
Jean-Marie Colombani