Analyser l’égalité «à la française» comme un mythe, c’est examiner les enjeux contemporains des héritages conscients et inconscients du triptyque «Liberté, Égalité, Fraternité». La question de qui sont les frères et qui sont ceux qui ont été exclus de cette fraternité républicaine –qualifiés de «non-frères»– est à la fois fondamentale et en angle mort.
Si la devise française était «Liberté, égalité, sororité», la place privilégiée des sœurs ne manquerait pas de faire débat. Il faut bien comprendre que, pas plus que la sororité, la fraternité n’a été, n’est ou ne sera neutre et universelle. Les appels à «refaire fraternité» pour répondre à la peur de la segmentation de la population française sont, à ce titre, significatifs de la cécité paradoxale de ceux qui continuent à prôner le lien et l’unité à travers un mot, la fraternité, charriant une conception exclusive de la démocratie.
Lever le tabou sur le péché originel de la République
Lever le tabou sur le péché originel fraternel de la République française, c’est éclairer non seulement l’histoire, mais aussi la modernité des frontières entre les frères et les non-frères. Ainsi, malgré le fait que la République se définisse comme «une et indivisible», elle n’a cessé de classifier et hiérarchiser les citoyen.ne.s.
La diffusion dans le débat public d’arguments tels que «les femmes font de la politique autrement», «plus de femmes dans les instances dirigeantes des entreprises, c’est une valeur ajoutée» ou «la diversité, c’est bon pour le business» relève-t-elle d’un pragmatisme efficace et bienveillant à l’égard des non-frères ou d’une idéologie conservatrice reconfigurée dans une apparence plus respectable? Dans un contexte de crise et de défiance, la tentation est forte de porter les politiques d’égalité comme un investissement social, sans prendre conscience que l’égalité s’en trouve sacrifiée à la démonstration de la performance de la différence comme valeur moderne et pragmatique. Pour dépasser cette tentation, il est essentiel d’analyser la continuité entre le processus historique qui a exclu les «non-frères» au nom de leur prétendue «moins-value» naturelle et l’inclusion qui leur est aujourd’hui proposée en raison de leur prétendue «plus-value» culturelle, sociale et économique et non en tant que semblables considéré.e.s comme pair.e.s.
Au lieu de sacraliser la fraternité et de vouloir la refonder, le moment est venu de la révoquer comme excluante et de nous donner les moyens de penser une alternative qui soit celle de la non-domination individuelle et collective. Le moment est venu de réconcilier ces deux sœurs ennemies que sont l’égalité et la liberté en en faisant des conditions de possibilité de la non-domination.
Mettre la République à la hauteur de ses principes
Pour cela, ne nous enfermons pas dans un rapport fétichiste à une devise républicaine qui devient alors un mantra. La repenser, c’est contribuer à ce que la République soit à la hauteur des principes qu’elle proclame.
Par quel terme remplacer la fraternité? Sans évacuer la légitimité du terme de solidarité, il est intéressant de discuter du terme d’adelphité qui a l’avantage de dire l’union, le lien sans charrier des exclusions héritées. Cette proposition s’inscrit dans la même perspective que celle du remplacement de l’expression «droits de l’H(h)omme» par «droits humains» dans les textes et le langage des institutions françaises. Ceci comme nous y invite en particulier le collectif Droits Humains pour tou.te.s, constitué de plus de 40 associations et fédérations de la société civile, et le réseau international d’hommes pour l’égalité Zéro macho portant la «Déclaration des droits humains des citoyennes et des citoyens».