Coup de théâtre dans la soirée de ce lundi 13 mars: Le Parisien publie un article au titre retentissant pour la gauche. Valls appellerait à soutenir Macron et non Hamon dès le premier tour de la présidentielle, ainsi que le site web le rapporte sous la plume de Nathalie Schuck. Et les internautes de se faire plaisir en moquant un nouveau soutien d’Emmanuel Macron...
Sauf que les plus fins auront tôt fait de tomber sur un statut bien particulier de la page de Nordpresse. Ce journal en ligne satirique belge, dans la veine de The Onion et Le Gorafi, en a profité pour déclarer avoir mystifié Le Parisien grâce à l’envoi de faux e-mails.
Qui a raison? Qui ment? La longue histoire de canulars réussis de Nordpresse ainsi que le démenti de Valls concernant son soutien à Macron ont fait pencher un temps la balance du côté de Nordpresse… Les explications du directeur du Parisien ainsi que de la rédactrice en chef du service politique et le refus de parrainage du candidat socialiste semblent cependant avoir mis un point final à cette histoire.
Au sujet de l'article @le_parisien sur le choix de Valls. 1 - Il est le fruit d'une enquête de @NathalieSchuck auprès de sources recoupées.
— Frédéric Vezard (@FVEZARD) March 14, 2017
Un flibustier parti à l’abordage de l’information
Tout d’abord, qu’est-ce que Nordpresse? Pour y voir un peu plus clair, nous avons réussi à joindre en exclusivité son fondateur, Vincent Flibustier, en vacances au Québec. Cette tête brulée du journalisme âgée de 26 ans a fondé le site en mai 2014. Après un parcours atypique –très éphémère passage sur les bancs de l’université, animation auprès d’enfants, call-center, etc.– qui révèle surtout un rejet radical de l’autorité et des conventions, il se consacre à plein temps à son nouveau projet.
«J’avais trois boulots en même temps. Je n’avais plus le temps de tout faire donc j’ai arrêté le truc chiant et je n’ai gardé que des trucs rigolos», confia-t-il à une collègue, comme il l'a expliqué en interview au Bruxelles Bondy Blog.
Au départ, il y a surtout la volonté d’emmerder Sudpresse, société de presse régionale belge tenue par le Groupe Rossel, avec laquelle il a eu plusieurs échauffourées juridiques. Ce «cousin belge et demeuré du Gorafi», selon ses propres mots, cherchait ainsi à «creuser bien profond le sillon de la débilité».
«Ce qui me motive, c’est de me moquer d’une certaine presse qui ne se gêne pas pour faire des articles vraiment bas de plafond, simplement pour faire du clic. Du pur “chien écrasé” littéralement. C’est pour ça qu’on a fait, par exemple, un article comme: “Une mouche est morte à Onhaye», dit-il à la RTBF.
«Confondu avec une pizza, cet homme brûlé au troisième degré se fait dévorer»
C’est le début d’une petite aventure qui va progressivement prendre de l’ampleur, profitant d’épisodes de buzz internet mais aussi de reprises de médias bien réels. Les titres donnent le ton: «Les gestes qui sauvent en cas d’intrusion d’objet dans l’anus», «Louvain-la-Neuve: un étudiant hospitalisé après s’être enfoncé une pile dans l’urètre», «Confondu avec une pizza, cet homme brûlé au troisième degré [photo à l’appui, ndlr] se fait dévorer», «Johnny donnera un cancer d’adieu au stade de France!», «Flash info: Johnny Hallyday va mourir», «Johnny prépare une version réactualisée d’un de ses plus grand tube qui commencera désormais par: “Les portes du poumon d’acier”», etc. Des titres volontiers provocateurs, macabres ou sordides et qui, à l’inverse peut-être de son plus «raffiné» alter-égo outre-Quiévrain, n’hésite pas à verser dans le mauvais goût assumé.
Cela ne s’arrête pas là. Les articles se lisent de plus en plus, les statistiques virtuelles augmentent, mais il fallait se démarquer. Ce fut chose faite, grâce à la divine intervention de Christine Boutin. Les titres de Nordpresse n’hésitant pas à faire passer des fake news pour de vrais, l'article révélant que Boutin aurait dit «que les enfants victimes d'attouchements par des prêtres devaient eux aussi être punis» l’incita à porter plainte pour diffamation. Les médias s’en emparèrent, le phénomène médiatique était lancé.
Si les lecteurs se font parfois avoir, les médias ne sont pas en reste. Profitant de la relative ignorance de la presse belge, Vincent Flibustier aligne un palmarès de haute volée: ainsi, par exemple, son article sur un bordel hallal à Amsterdam a fait le tour de la presse du Moyen-Orient, jusqu’à lui valoir une invitation sur un plateau TV avec un imam. Ainsi du faux site web VoteFNetgagne5euros.com, qui suscita un scandale de l’extrême gauche à l’extrême droite, lui valant des menaces de procès de la part du FN.
«En Belgique je n’ai jamais vraiment réussi à avoir la presse papier, si ce ne sont quelques antennes régionales, affirme-t-il. En France, je me souviens surtout du point.fr qui avait publié en 2015 en Une que Jean-Marie Le Pen se présentait à l'élection présidentielle de 2017. C’était dingue: le Canard enchaîné avait montré que le mec qui avait publié cet article était en fait le rédac’ chef! C’est un journaliste qui a commencé un brouillon et le rédacteur l’a repris en le voyant, l'a publié ensuite immédiatement sans véritablement regarder ses sources. Je me souviens que le Point parlait d’un travail colossal derrière ce site web [jeanmarielepen2017.com], alors que j’ai fait ça à 3 heures du matin bourré!»
Les canulars comme révélateurs de l'époque
Cet entrepreneur, qui se considère comme «de droite économiquement et très à gauche sociétalement», porte un regard très noir sur la presse actuelle:
«Je pense que ces canulars en disent beaucoup sur la crédulité des lecteurs et le travail bâclé de la presse. Surtout, on va vraiment vers la course au click, au buzz. Dans l’affaire de Valls soutenant soit-disant Macron, je ne comprends même pas l’intérêt de publier si vite même si c’est vrai. Cela me désole vraiment, tous les journaux vont vers ça, vers un vide intersidéral, et il y a une grande campagne contre les fake news, avec des trucs du genre les décodeurs du monde, etc. Comme le monde politique, le monde de la presse se referme sur lui-même.»
Tous pourris? Pas forcément:
«Je suis malade de l’info en continu. Je préfère le recul. Il n’y a pas beaucoup d’intérêt de savoir le nombre de morts à la seconde près lors d’un accident selon moi… Le public n’est pas très friand de ça hélas. Malgré certains articles un peu branlette intellectuelle sur les bords, je lis beaucoup Slate.fr, c’est d’ailleurs pour ça que j’ai refusé la plupart des demandes d’entretien. J’aime aussi la Revue XXI.»
Alors, quid de du dernier «canular»? Vincent nous explique qu’il a entretenu une correspondance avec Le Parisien via de fausses adresses Gmail il y a une quinzaine de jours, mais voyant le peu de réponses du quotidien il préféra abandonner. Ce n’est qu’au Québec qu’il se rendit compte de ce qu’il pense être l’impact de ses messages:
«J’étais dans les transports en commun au Québec, et puis j’montrais à ma copine que Valls avait déclaré soutenir Macron! J’y croyais vraiment, tellement j’avais oublié mes e-mails. Puis quand Valls a dit que ce n’était pas vrai, je me suis rappelé tout ça et c’est alors que j’ai publié mon statut sur ma page.»
Hélas, selon ses dires, il est incapable de nous fournir une preuve de ce qu’il avance. Un brin moqueur et taquin, avec une pointe d’ironie, il nous répond simplement qu’il a «oublié ses identifiants» et qu’il n’a donc plus accès à ses deux comptes Gmail!
«Je sais, c’est donc ma parole contre les autres. Qui sait, peut-être ai-je voulu faire un double canular, comme une sorte d’inception du canular? Allez savoir!»
On l'imagine volontiers un grand sourire sur les lèvres en écrivant son statut, publiant son message sachant la tempête médiatique qu'il allait créer, et, protégé par la distance, détournant son regard de tout ce buzz afin de profiter nonchallamment de ses vacances à l'étranger: après lui, le déluge!
«Ce n'est pas avec les Décodeurs qu'on va résoudre tout ça»
Vérité ou mensonge, le mal est fait. De nombreuses personnes ont cru qu’il s’agissait d’un véritable canular, comme l’indiquent les milliers de likes sur son statut. Cela pose une nouvelle fois la question de ces sites de fake news, dont la facticité produit parfois des effets bien réels, surtout quand ils sont pris au sérieux. À une époque où les risques de legorafisation de l’actualité sont bien réels, Nordpresse a réussi un coup de génie. Que Vincent Flibustier mente ou qu'il dise la vérité, il en ressort gagnant à tous les coups: l'ambiguïté entre les deux, savamment entretenue par le site, lui garantit une porte de sortie dans tous les cas de figure. Soit la supercherie est bien réelle, et il peut rajouter une entaille sur la crosse de son fusil, soit il raconte n'importe quoi volontairement, et passe pour un troll de génie.
Philosophe à ses heureus perdues, il tenait cependant à en profiter pour préciser une chose:
«Il faut se demander pourquoi toutes ces fake news. Pourquoi, en même temps, les sites webs de propagande gagnent du terrain. Ce n'est pas avec des décodeurs façon Le Monde qu'on va résoudre tout ça, la presse doit s'interroger sur elle-même. Il faut arrêter de vouloir tout mettre sous le tapis. Il y a un problème de la presse, et les fake news n'en sont qu'un révélateur.»