Du 20 au 24 avril se tient à Genève, une nouvelle conférence - dite de Durban II - qui doit évaluer les « progrès » réalisés depuis Durban I en matière de lutte contre le racisme dans le monde. La première conférence de Durban (Afrique du sud) en septembre 2001, qui s'était déjà tenue sous l'égide des Nations unies, a laissé le triste souvenir d'un forum d'Organisations non gouvernementales (ONG) dont la seule préoccupation était d'affirmer qu'il n'y avait qu'un Etat raciste au monde: Israël. Huit ans plus tard, craignez vous une réédition de ce scénario?
-Bernard-Henry Lévy: Oui. Et même pire. Car, lors de Durban I, vous aviez le forum des ONG qui donna lieu aux débordements antisémites que vous savez. Mais au moins aviez-vous la «Déclaration finale» des Etats qui, sans être, certes, exempte de dérapages, restait quand même plus prudente et faisait, notamment sur le racisme, des propositions somme toute assez utiles. Là, ça va être le contraire. Les ONG, mises sous surveillance par l'opinion, vont se tenir un peu plus à carreau. En revanche les représentants des Etats, je dis bien des Etats, se quitteront sur une "Déclaration finale" à faire se dresser les cheveux sur la tête. On la connaît, cette déclaration. On en connait, tout au moins, le brouillon - rédigé, en particulier, par les représentants des Etats libyen, iranien, pakistanais et cubain. Et ce qu'il dit, ce brouillon, c'est qu'il n'y a, de nos jours, qu'un Etat sérieusement raciste, esclavagiste et génocidaire et que cet Etat c'est Israël...
-Cela veut-il dire que le Zimbabwe de Mugabe, le Darfour et ses trois cent mille morts, ni aucune autre des hécatombes dans le monde ne seront dénoncés tout comme les régimes qui en sont responsables?
-C'est bien le chemin que l'on prend. Comme à Durban I, je vous le rappelle. Mais à la différence que, cette fois, c'est la communauté internationale en tant que telle, et représentée par ses Etats, qui entérinera cet antisionisme enragé. Terrifiant pour Israël, naturellement, qui verra là se rééditer «l'ignominie» dénoncée par Michel Foucault quand, en 1975, une résolution de l'ONU assimila le sionisme au racisme. Mais encore plus terrifiant pour les victimes des guerres oubliées d'Afrique qui seront proprement sacrifiées sur l'autel de cet anti impérialisme perverti. Car telle est bien la logique. Ou bien vous êtes victimes de "l'Empire", c'est-à-dire de l'Amérique et de son valet israélien: et vous méritez la compassion du monde. Ou bien le dit «Empire» ne peut être tenu pour responsable de votre martyr: et vous pouvez, dans ce cas, aller vous faire voir ailleurs - vous n'intéressez ni les grandes consciences altermondialistes ni les rédacteurs de la Déclaration finale de Durban...
- L'autre grande crainte liée au Durban II tient à une nouvelle offensive, notamment de pays musulmans, pour condamner et en fait empêcher toute critique des religions, en particulier de l'Islam, en assimilant cela au racisme. Est-ce que vous redoutez de voir la communauté internationale stigmatiser officiellement un « délit de blasphème »?
-C'est inscrit, en propres termes, dans le projet de Déclaration finale. Et il est évident que si ce type de discours était, fût-ce marginalement, pris en compte, cela équivaudrait à une terrible régression pour la liberté d'expression et de conscience. Peut-on laisser l'antiracisme se dévoyer ainsi ? Avons-nous le droit d'entériner une telle régression de l'esprit et du droit ? Ne devons-nous pas, au contraire, dire « stop » à ceux qui, en gros, voudraient faire admettre au monde qu'il était juste de condamner Salman Rushdie à mort, juste de pourchasser Taslima Nasreen d'un bout à l'autre de la planète et juste de brûler des ambassades sous prétexte que des caricaturistes danois s'étaient moqués du Coran ? Non, bien sûr. Comme dirait mon ami Philippe Val : reviens Voltaire, ils sont devenus fous !
-Quelles doivent être l'attitude et la réponse de la France et de sa diplomatie?
-Il n'y a qu'une attitude possible : le boycott. C'est la position prise, depuis un an, par les Canadiens. Plus récemment par les Israéliens et les Italiens. Et, depuis la fin de la semaine dernière, par l'administration Obama. Je vois mal la France et, au-delà, l'Europe être en retrait. Je les vois mal participer à une Conférence d'où serait absente la plus grande démocratie du monde : l'Amérique. Et il me semblerait surtout impensable de voir notre pays cautionner une farce où l'antiracisme sera foulé aux pieds, caricaturé, tourné en dérision, moqué. Le pays des droits de l'homme ne peut pas cautionner cela. C'est une affaire trop sérieuse, l'antiracisme, pour être laissée aux mains de ces grands démocrates que sont Messieurs Castro, Khadafi et Ahmadinejad. C'est ce que nous sommes allés, à quelques uns, dire, l'autre matin, à Rama Yade et aux responsables du Quai d'Orsay chargés de ce dossier. Peut-être certains nourrissent-ils l'illusion de pouvoir peser de l'intérieur, amender le texte proposé, arriver à des compromis. Il y a des valeurs, hélas, qui ne souffrent pas le compromis.
Propos recueillis par Eric Leser