Dans un monde où les entreprises font régulièrement face à des difficultés, en particulier parce qu’elles cessent de fournir des produits ou des services que leurs clients désirent, parce qu’elles n’arrivent pas à être suffisamment productives, la naissance et la croissance des entreprises destinées à les «remplacer» sont essentielles pour le dynamisme d’une économie. Ce dynamisme repose sur l’entrée sur ces marchés de nouvelles entreprises plutôt que de la régénération des entreprises anciennes (la recherche récente en économie a montré empiriquement le rôle de cette destruction créatrice).
Pour croître, les jeunes entreprises – et même les moins jeunes – ont constamment besoin d’attirer des salariés, jeunes comme expérimentés. Pour permettre aux entreprises en difficulté, faisant face à cette nouvelle concurrence, de décroître «harmonieusement», c’est-à-dire sans que les salariés de ces entreprises en souffrent alors que les salariés sont le plus souvent terrorisés à l’idée de perdre leur emploi, l’environnement économique et juridique doit être adapté. Et, aujourd’hui, les salariés ont toutes les raisons d’être terrorisés lorsqu’ils sont licenciés d’un emploi obtenu il y a dix ou vingt ans car ils perdent non seulement emploi, rémunération mais aussi lien social, environnement local qui se délite, logement qui perd sa valeur et ne peut être revendu, formation obsolète qui ne peut être mise à jour …
Les salariés sont alors bloqués, comme tétanisés. Commençons par examiner les principes qui devraient prévaloir dans des situations aujourd’hui dramatiques en France.
Une entreprise dont les marchés vont mal pour des raisons durables se trouve, à cause de la législation sur le licenciement, dans des difficultés qui vont bien au-delà des problèmes induits par le manque de clients, ses finances ou tout autre écueil rencontré dans son activité. Ces difficultés durables devraient dans la plupart des cas conduire l’entreprise à se séparer d’une partie de son personnel. Malheureusement, la loi «travail», adoptée à l’été 2016, n’a modifié qu’à la marge les critères qui permettent à l’entreprise de licencier pour des raisons économiques. Pour l’entreprise qui veut licencier, la procédure reste lourde: mise en route d’un PSE (plan social pour l’emploi) dès que l’on veut se séparer d’un nombre significatif mais en fait peu élevé de salariés; intervention du juge dans la procédure pour évaluer la cause réelle et sérieuse; fortes incitations des salariés à contester le licenciement et aller aux prud’hommes. Les indemnités conventionnelles sont, en France, très faibles alors que des salariés un peu anciens (disons ayant au moins cinq ans d’ancienneté) peuvent obtenir des sommes allant de six mois à un an de salaire s’ils sont soutenus efficacement par syndicats ou presse locale (sur ces points voir les travaux de P. Cahuc et F. Kramarz, de F. Kramarz et M.L. Michaud, et de H. Fraisse, F. Kramarz, et C. Prost)…
Ainsi, les salariés qui savent qu’ils seront mal ou pas accompagnés par Pôle emploi ont tout intérêt à rester dans l’entreprise qui souhaite les licencier car leurs droits sont attachés à cette dernière. Ils ne sont ainsi jamais incités à chercher un nouvel emploi au moment où ils apprennent la situation économique défaillante de leur entreprise, au contraire. Pourtant, certains pays ont fait des choix différents, tout en mettant en place les éléments d’une véritable sécurisation des parcours professionnels. L’Autriche est passé d’un système où les sommes obtenues après un licenciement dépendaient très précisément de l’ancienneté dans l’entreprise – système sans incertitude pour salariés comme entreprises et donc loin du cas français - à un système où chaque salarié à un «compte licenciement» qui est abondé par l’entreprise chaque mois, qui génère des intérêts, et surtout qui accompagne le salarié lorsqu’il change d’emploi.
Ainsi, depuis la fin 2003, être licencié ou démissionner en Autriche ne fait plus aucune différence. Conséquence théorique, et très pratique en fait: attendre d’être licencié n’a plus d’intérêt. Les salariés bénéficiant du nouveau système de compte licenciement, dès qu’ils s’aperçoivent des difficultés de leur entreprise, la quittent dès qu’ils trouvent un nouvel emploi (voir sur ces points les travaux menés par A. Kettemann, F. Kramarz, et J. Zweimüller). Pourtant dans l’ancien système, comme c’est le cas en France aujourd’hui, les salariés auraient attendu d’être licenciés pour toucher les indemnités de licenciement qui leur étaient dues. Conséquence essentielle, la durée de chômage est fortement réduite grâce à ce nouveau dispositif. Et les entreprises en croissance n’attendent plus que les salariés dont ils ont besoin soient licenciés par leurs concurrents.
Dans le contexte français, de telles idées pourraient facilement trouver leur place au sein d’un compte personnel d’activité fortement enrichi et étendu.