Les indicateurs de chômage comptent parmi ceux qui font l’objet de la plus grande publicité. La plupart des propositions sont évaluées à l’aune du «nombre d’emplois créés», comme si ceci constituait l’alpha et l’oméga de leurs retombées économiques. En réalité, une réforme peut détruire des emplois tout en étant économiquement souhaitable, ou, inversement, en créer bien qu’ayant un impact négatif sur le bien-être.
Par exemple, l’introduction de nouvelles technologies comme la carte vitale aurait dû permettre de réduire les effectifs pléthoriques de la sécurité sociale, et son intérêt économique réside précisément dans ces réductions d’effectifs. Des mesures comme les emplois d’avenir ou les embauches clientélistes dans des services publics créent sans doute des emplois au sens comptable, mais leur contribution productive est quasiment nulle.
L’effet d’une réforme sur le bien-être dépend avant tout de ses effets sur la productivité. Comme l’emploi est une ressource, économiser cette ressource est un facteur de croissance. Certes, en période de sous-emploi, le décideur public doit prendre en compte le fait que cette ressource est moins rare qu’en plein-emploi. Mais pas au point de prendre le contrepied de la logique économique en considérant l’emploi comme une bonne chose en soi, indépendamment de con contenu. C’est ce genre de raisonnement qui conduit à des politiques néfastes à la croissance et à la compétitivité, comme les inutiles emplois d’avenir, les entraves au licenciement, ou le maintien de réglementations sur les horaires d’ouvertures et les surfaces commerciales, généralement justifiées par l’argument selon lequel on n’a pas prouvé que les assouplir créerait des emplois.
L'excès d'attention porté aux chiffres du chômage conduit les politiques à ignorer les segments du marché du travail non touchés par le chômage de masse, alors même que ceux-ci sont déterminants pour le niveau technologique de long terme de notre pays. Ainsi, les travailleurs qualifiés souffrent peu du chômage, parce que leurs salaires s’ajustent naturellement à la baisse lorsque leur marché connaît un excédent de main d’œuvre. Mais le poids de la fiscalité et notamment des charges sociales fait que ces travailleurs sont à la fois excessivement chers pour l’employeur, et sous-payés au regard des normes internationales. Cette situation se traduit par une accélération de l’exode des cerveaux et, à terme, par une délocalisation des centres décisionnels et intellectuels des entreprises. L’enjeu de ce processus est le maintien ou non de la France dans le peloton des «pays développés». Ce défi est très largement absent du débat en dépit du fait que ceux d’entre nous qui travaillent dans l’économie de la connaissance en perçoivent toute l’acuité. Sa prise en compte impliquerait la mise en place de politiques qui profiteraient aux travailleurs qualifiés au lieu de réduire leur bien-être. Mais il existe aussi des marges de manœuvre dont les effets redistributifs sont relativement neutres. Ainsi, on pourrait donc envisager, pour chaque individu, un plafond sur le montant annuel des cotisations sociales, combiné avec une réduction proportionnelle de leurs droits. Ceux qui le désirent pourraient compléter ce niveau de protection avec une assurance privée ; quant aux autres, ils verraient leur employabilité et leurs revenus nets augmenter.
Ainsi, un cadre payé 5.000 euros bruts n’en empoche que 3.900, mais en coûte 7.120 à son employeur. Un cadre payé 8.000 euros brut a un salaire net d’environ 6.290 euros et en coûte 11.510 à son employeur. Ramener les cotisations sociales du second au niveau de celles du premier ferait baisser le coût total employeur de 2.000 euros, soit une baisse du coût du travail de 17,5%. Même si la cotisation au titre de l’assurance maladie était exclue de ce calcul – au motif que les droits qu’elle ouvre ne sont pas indexés sur les cotisations et que sa nature est essentiellement redistributive – le coût total employeur du cadre payé 6290 euros net serait ramené à 9830 euros, soit une baisse d’environ 15%.
Ceci n’est évidemment qu’une illustration; les chiffres exacts varient selon les situations individuelles et les fluctuations des politiques d’exonération. Et l’ampleur des effets attendus dépend de la position des «curseurs». Si par exemple on décide de plafonner les cotisations au niveau d’un travailleur payé 4.000 euros bruts plutôt que 5.000, le coût d’un travailleur qui empoche 3.900 euros baisserait de plus de 8,5% et les économies réalisées par l’employeur se monteraient à près de 23% pour le travailleur payé 6.290 euros.
Les politiques de l'emploi des dernières décennies ont reposé largement sur la baisse du coût du travail peu qualifié au moyen de baisses de charges. Ces politiques ont eu des résultats mitigés et atteignent leurs limites. Il est urgent de repenser la question du marché du travail en France dans ses aspects multiples et de ne plus se limiter à un indicateur réducteur et pas toujours pertinent du point de vue du bien-être.