Les choix politiques à l’origine des décisions publiques, les effets de l’action publique et leurs modalités d’ajustement manquent de lisibilité. Les politiques publiques font encore trop rarement l’objet d’évaluations. Lorsqu’elles le sont, la question de l’orientation de l’évaluation, de l’objectivité et de l’indépendance du savoir produit sur l’action publique et de sa diffusion se pose: qui évalue? Quels intérêts stratégiques lient les évaluateurs aux acteurs politiques qui les mandatent? Quelles sont les questions posées par l’évaluation? S’agit-il d’interroger la pertinence de la politique et de ses impacts ou uniquement de questionner son efficience (coût par rapport aux effets attendus)? Peut-on se fier aux évaluations conduites par les pouvoirs publics ou mandatées par eux? Dans quelle mesure les publics directement concernés par la politique évaluée sont-ils impliqués? À qui et comment les résultats de l’évaluation sont-ils diffusés? Font-ils l’objet d'une diffusion partielle des résultats et d'une communication politique?
Plusieurs travaux de recherche s’intéressent à ces questions et mettent en évidence ce qui freine ou contraint le déploiement d’évaluations des politiques. Ils convergent sur l’idée que l’évaluation constitue un instrument d’action publique, un outil sociotechnique de gouvernement qui tend à dépolitiser les questions proprement politiques et polémiques sous des apparences de rationalité. Si l’évaluation est mobilisée par les acteurs politiques comme un instrument de pouvoir, elle pourrait aussi être envisagée et pensée comme un instrument de contre-pouvoir citoyen.
En effet, des dispositions réglementaires pourraient être prises pour permettre à des collectifs citoyens, des associations d’usagers ou toute autre organisation de la société civile de solliciter l’évaluation contradictoire d’une politique publique. Pris en charge financièrement par les pouvoirs publics, ce mandat d’évaluation citoyen pourrait passer par la définition des questions posées par l’évaluation, par le choix de l’évaluateur et la diffusion des résultats voire aussi par la sélection de préconisations. En fonction du sujet, il pourrait notamment faire appel à des chercheurs et questionner les publics concernés par les politiques.
Dans cette perspective, l’évaluation pourrait contribuer à identifier les effets prévus et imprévus des politiques au regard des besoins sociaux auxquelles elles sont supposées répondre. Elle mettrait en évidence les intérêts et les limites de l’action publique tout en donnant à voir les situations sociales qu’elles engendrent, ce que les usagers en pensent et quels ajustements ils en attendraient. Cette modalité d’évaluation constituerait une forme de contre-expertise face aux pouvoirs publics et aux choix politiques effectués par les décideurs. Elle pourrait contribuer à alimenter le débat démocratique, à mettre les décideurs face à leurs responsabilités, à faire connaître les besoins et les attentes des citoyens ainsi qu’à faire émerger des alternatives de réforme des politiques.