Deux raisons principales expliquent la faible confiance des Français dans leur système de retraite: le manque de lisibilité sur le niveau de pension dont ils pourront bénéficier et le sentiment d’injustice devant les différences de règles de calcul des pensions de retraite.
Tout d’abord, le manque de lisibilité sur les droits à la retraite attise le sentiment diffus, surtout parmi les plus jeunes assurés, qu’ils ne pourront pas bénéficier d’une retraite: «nous, on n’aura pas de retraite», entendons-nous souvent dire lorsque la conversation s’oriente sur la question des réformes des retraites. Et, pourtant, la réalité est bien loin de ce triste constat: les plus jeunes générations vont bien bénéficier d’une retraite, qui sera d’ailleurs plus longue que celle des générations quittant actuellement le marché du travail, même si elle commencera plus tard dans leur vie.
Le manque de lisibilité est renforcé par le fait que l’équilibre financier actuel est très dépendant de la croissance économique de long terme. Le constat a été fait par des travaux de recherche(1), repris par des publications du Conseil d’analyse économique, ou plus récemment de France Stratégie(2). D’apparence technique, ce problème se traduit par une forte incertitude des droits effectifs à la retraite. La cause en est simple: en utilisant l’indexation des droits à la retraite sur l’inflation plutôt que sur la croissance des salaires, les réformes passées ont lié l’équilibre financier à un taux de croissance suffisamment fort. En effet, les recettes des régimes de retraite évoluent comme les salaires, tandis que les dépenses évoluent comme les prix; si la croissance est forte les recettes évolueront plus vite que les dépenses. Mais si la croissance n’est pas au rendez-vous, alors il faudra effectuer des réformes des retraites à répétition. Cela mine la confiance dans le système, et donne le sentiment qu’il ne sera jamais équilibré.
Le second problème tient au sentiment d’injustice de nombreux Français quand les différentes règles de calcul de pension sont comparées: pourquoi dans le privé, on utilise les 25 meilleurs salaires, alors que seul le dernier traitement est utilisé dans la fonction publique? Pourquoi les primes ne sont que très peu prises en compte dans le secteur public? Pourquoi existe-t-il des régimes spéciaux dérogeant au droit commun? Ce sentiment d’injustice crée des conflits catégoriels délétères dans la société française, à l’opposé du lien de solidarité qui devrait théoriquement émaner d’un régime public fonctionnant en répartition.
Une réforme de structure du système de retraite devrait donc viser à remédier à ces deux problèmes tout conservant les propriétés principales du système actuel. Le principe de base serait de convertir tous les régimes de retraite actuels sous le même système de comptabilité des droits: à chaque cotisation, le même droit à la retraite. Cela n’empêcherait nullement des droits différenciés, au niveau individuel ou professionnel, mais ces droits différenciés refléteraient simplement le différentiel de contribution au système. Une fois que ces droits acquis sont définis de façon similaires, alors il ne reste plus qu’à fixer des règles de calcul des pensions qui soient définies en fonction des évolutions démographiques et macroéconomiques: l’augmentation de l’espérance de vie – une augmentation régulière, mais très progressive – peut ainsi modifier doucement les conditions de départ en retraite, sans recourir à des réformes brutales, à répétition.
Un tel système, mis en place en Suède dans les années 1990, n’abolit pas la solidarité – au contraire –, il permet de créditer des droits pour raisons familiales, pour les accidents de carrière (maladie, chômage) ou réduire la pauvreté des personnes âgées. La seule condition est l’impératif de transparence: les droits de solidarité doivent être garantis par un financement par l’impôt.
Et au final, on peut vraiment imaginer un système de retraite en répartition moderne: une application sur votre téléphone portable vous connecte à votre compte individuel, où sont crédités vos droits en temps réels dès votre premier emploi, et vous informe sur l’estimation de votre montant de retraite.
1 — Blanchet, D., Bozio A. et Rabaté, S. «Quelles options pour réduire la dépendance à la croissance du système de retraite français?», Revue économique, Vol. 67, No. 4, juillet 2016, p. 879--912. Retourner à l'article
2 — Guegano, Y. et Maigne, G. (2017), «Comment réduire la sensibilité du système de retraite à la croissance?», France Stratégie, Actions Critiques, Janvier. Retourner à l'article