Les recherches sur le stress montrent que les relations conflictuelles ont un effet néfaste sur notre santé. Un article publié en début d'année montre que les femmes malheureuses en ménage étaient davantage sujettes aux risques de dépression et aux maladies cardiaques. Les recherches portant sur des solutions concrètes pour ne pas somatiser pendant les moments difficiles sont toutefois extrêmement rares. Une expérience menée sur des couples mariés a néanmoins mis récemment en évidence le mécanisme physiologique de la méthode qui consiste à diminuer le stress en utilisant un vocabulaire non conflictuel.
D'après un article publié dans le dernier numéro de la revue Health Psychology, les couples qui utilisent des mots rationnels comme «penser», «comprendre», «parce que», «c'est pourquoi» lorsqu'ils se disputent contrôlent mieux leur taux de cytokines, des substances chimiques inflammatoires qui jouent un rôle majeur dans le stress. Le taux de cytokines augmente fortement lorsque l'on est soumis à un stress prolongé, ce qui réduit nos défenses immunitaires et être à l'origine d'un vieillissement précoce, de diabètes de type 2, d'arthrite et de certains cancers. Les auteurs de l'article soulignent le caractère étonnant de la différence des résultats en fonction du sexe: les hommes dont la femme utilise un langage pondéré sont moins stressés alors que le choix des mots utilisés par les hommes n'a pratiquement aucun effet sur le taux de cytokines de leur épouse.
Les chercheurs ont mesuré le taux de cytokines avant et après des entretiens avec 42 couples hétérosexuels mariés. Lors du premier entretien, la discussion porte sur un sujet neutre. Lors du second, le chercheur pose quelques questions sur le couple avant provoquer une discussion sur un point sensible en lançant à brûle pourpoint une phrase du genre : «Vous ne supportez pas que la mère de votre femme soit toujours là» ou «Vous avez l'impression que c'est votre mari qui décide de toutes les dépenses», explique Jennifer Graham, auteure principale de l'article et professeure adjointe de santé biocomportementale à l'université de Pennsylvanie.
Chacun dispose du même temps de parole au cours des 30 minutes de conversation qui sont enregistrées afin de permettre aux chercheurs de compter avec l'aide d'un logiciel le nombre de mots «rationnels» utilisés par chacun. Pendant la première conversation sans enjeu passionnel, l'utilisation d'un vocabulaire non polémique n'a aucun effet sur le taux de cytokines des interlocuteurs. En revanche, les couples qui utilisent le langage le plus rationnel pendant la seconde conversation, plus stressante, ont un taux inférieur.
«Ce qui est intéressant dans cette étude, c'est que c'est l'une des premières à établir un lien entre le langage et certains marqueurs biologiques et qu'elle montre quels sont les mots qui aident les couples qui ne s'entendent pas au lieu de se contenter de leur recommander de communiquer davantage», commente James Pennebaker qui dirige le département de psychologie de l'université du Texas à Austin où il étudie le rôle du langage dans les relations humaines. L'utilisation d'un vocabulaire rationnel est particulièrement efficace car votre interlocuteur en déduit que vous essayer de le comprendre et de vous mettre à sa place. L'étude corrobore tout à fait les recommandations des thérapeutes qui conseillent aux couples qui se querellent d'utiliser des phrases du genre: «Si je te comprends bien, tu veux dire que ...»
Mais pourquoi le langage pondéré n'a-t-il pas le même effet sur les hommes et sur les femmes? James Pennebaker avance l'hypothèse selon laquelle l'expérience portant sur des couples qui s'écoutent mutuellement et essaient de résoudre leurs problèmes, les explications données par les femmes permettent peut-être à leur mari de comprendre leur logique et donc de se sentir moins stressés. Les femmes passant en revanche généralement plus de temps que les hommes à analyser leurs relations - et à en parler avec d'autres — il est probable qu'elles y aient déjà réfléchi depuis longtemps. «Il a à peine commencé ses explications qu'elle lui dit qu'elle sait tout depuis longtemps», résume-t-il. Les explications rationnelles des hommes ne susciteraient donc pas de réaction émotionnelle suffisamment forte pour modifier le taux de cytokines de leur épouse.
C'est une interprétation qui va à l'encontre des idées reçues sur le rôle des hommes dans les discussions au sein des couples, mais l'absence de réaction physiologique des femmes ne signifie pas pour autant qu'elles ne prennent pas au sérieux ce que leur mari leur dit. La plupart des femmes accordent une grande importance à ces discussions et sont probablement plus sensibles au fait qu'une discussion ait lieu qu'aux mots utilisés, explique Deborah Tannen, professeure de linguistique à Georgetown et auteure de «You Just Don't Understand: Women and Men in Conversation». En d'autres termes, l'essentiel pour elles serait que leur mari soit là, à parler avec elles de leurs problèmes de couple, et que les mots qu'il utilise pour en parler ne comptent pas suffisamment pour provoquer chez elles une réaction physiologique.
Selon Déborah Tannen, les conclusions de cette expérience corroborent ses recherches sur les relations entre sexe et le langage. Il est toutefois intéressant de noter qu'elle s'abstient néanmoins d'en tirer des conclusions trop hâtives sur l'importance du vocabulaire rationnel, dans la mesure où celui-ci peut-être utiliser dans toutes sortes de discours. Les limites de l'expérience sont par ailleurs évidentes. Le nombre de mots ne tient compte ni du contexte ni du ton et l'ordinateur ne peut pas savoir s'ils n'ont pas été utilisés dans un sens plus polémique qu'il n'y paraît, comme par exemple : «Tout ce que je comprends, c'est que tu n'es qu'un sale type qui ne pense qu'à lui.» Evidemment, le choix de mots positifs ne suffit pas à résoudre les problèmes. Vous pouvez dire «je pense» ou «je comprends» toute la nuit sans jamais améliorer le moins du monde vos relations.
Que faut-il conclure de tout cela ? Que cette étude bat sérieusement en brèche le préjugé selon lequel les femmes seraient moins rationnelles et plus émotionnelles que les hommes, l'expérience montrant en effet que les femmes utilisent dans l'ensemble un vocabulaire plus cérébral que les hommes. Elle rappelle également que ce que disent les femmes a une influence sur les hommes. «Même lorsqu'ils ont l'air de ne pas vous écouter, vos paroles agissent sur lui - en tout cas sur le plan physiologique», conclut Jennifer Graham.
Sarah Elizabeth Richards
Traduit par Francis Simon
Image de une: tempête en Nouvelle-Ecosse, en août 2009. REUTERS/Paul Darrow