Ce sont deux films dont l’intérêt et la beauté devraient être les seules et très légitimes raisons d’en parler ici. Ce n’est malheureusement pas le cas.
À ces deux films, extrêmement différents –un documentaire et un conte fantastique– et extrêmement proches –deux réflexions politiques ancrées dans le contemporain de la ville de Téhéran–, se greffent deux problèmes, aussi douloureux que complètement différents eux aussi.
D’où le possible et fort regrettable soupçon que c’est du fait de ces problèmes que ces films méritent attention, alors qu’ils ont toutes les qualités souhaitables pour exister par eux-mêmes.
Writing on the City (2013) est un voyage. Un voyage politique dans le temps, d’une révolution à l’autre, sur un singulier tapis volant: les murs de Téhéran.
Le voyage va du soulèvement contre le Shah en 1978 amenant sa chute au début de l’année suivante et dans les mois qui suivent l’appropriation des pleins pouvoirs par l’ayatollah Khomeiny, au mouvement de masse qui a suivi la réélection frauduleuse d’Ahmadinejad à la présidence en juin 2009, et à son écrasement.
Avec sensibilité et un humour retenu, de manière attentive et joueuse, en assemblant images d’archives et attention aux signes du quotidien inscrits au détour des rues, le jeune réalisateur compose une fresque couvrant trente ans de vie publique (dont 8 de guerre).
L’art de la composition comme l’intensité de l’engagement aux côtés des anonymes qui ont fait et subi l’histoire de la République islamique font de Writing on the City un témoignage précieux. Mais le film est aussi, bien au-delà du seul cas iranien, exemplaire des ressources du cinéma pour documenter et comprendre, en faisant s’émouvoir et parfois sourire.
Du côté de Murnau ou Tarkovski
Totalement différent, Drum (2016) s’inscrit pourtant sur le même horizon, urbain et politique. Cauchemar kafkaïen tourné dans un noir et blanc sépulcral, le film accompagne l’errance menacée d’un avocat chargé d’une affaire où rôdent pouvoirs et spectres.
Dans une ville à la fois contemporaine et hors du temps, surnaturellement déserte (alors que la ville est en réalité si animée) et d’une misère matérielle qui vaut surtout métaphore de la misère des relations humaines, Karimi explore des voies inconnues à ce jour du cinéma iranien.
C’est plutôt du côté de l’Europe centrale, de la cité faustienne de Murnau, de la Zone de Tarkovski, des ruelles et les hospices de Béla Tarr qu'on lui trouverait des parentés. Du point de vue du cinéma, Drum, un des plus beaux films qu’on ait vus au Festival de Venise, est une excellente nouvelle à plus d’un titre.
Bonne nouvelle que l’apparition d’une œuvre de cette qualité, mais aussi que la révélation d’un jeune auteur, et enfin pour l’ouverture vers des directions inédites du cinéma iranien.
Prolifique et créatif, celui-ci est souvent réduit à quelques styles, fussent-ils aussi souverain que celui d’Abbas Kiarostami, lequel continue heureusement d’inspirer d’autres jeunes réalisateurs, quand le succès des virtuosités de scénario et l’esthétique de téléfilm d’Asghar Farhadi lui assurent le considérable succès qu’on connaît.
À cet égard, le film de Keywan Karimi fait aussi écho à une des belles découvertes de ce début d’année, Valley of Stars de Mani Haghihi, qui lui aussi explore des pistes du fantastique, quoique dans une toute autre tonalité.
Mais il n’y a pas que des bonnes nouvelles
La première mauvaise nouvelle est que Drum, qui aurait si naturellement dû être montré dans les salles art et essai, sort directement en DVD, faute d’avoir trouvé des grands écrans pour l’accueillir.
Œuvre éminemment cinématographique, elle serait pour l’instant confinée aux seuls écrans d’ordinateur ou de moniteur télé, s’il n’y avait des «projections spéciales», organisées en réaction au sort du réalisateur.
Writing on the City, qui montre des slogans hostiles au pouvoir politico-religieux, a en effet valu à Keywan Karimi d’être inculpé et lourdement condamné. Après une suite de péripéties judiciaires et une mobilisation internationale, sa peine a été en partie réduite, elle reste très dure.
Keywan Karimi purge en ce moment sa condamnation à un an de prison dans les geôles d’Evin, et il reste sous la menace de la sentence de 223 coups de fouet, pour l’heure pas mise à exécution.
Il est clair que c’est en solidarité avec une victime d’une atteinte grave à la liberté d’expression plutôt que pour rendre visible un beau film que ces séances sont organisées. Que ces deux drames –le sort personnel du jeune homme, le destin de son film– soient incommensurables l’un à l’autre ne les rend que plus sinistres encore.
Drum
et Writing on the City
2 films de Keywan Karimi
DIsponibles en DVD
Chez Blaq out édition