«Le débat sur les minarets s'invite en France»: voilà ce que l'on dit et entend beaucoup depuis le week-end dernier, mais en réalité, c'est un débat tout à fait artificiel chez nous. Il n'y a pas, à proprement parler, de «problème de minarets en France».
Nous avons là un cas d'école de la façon dont se fabriquent les prétendus débats censés agiter notre société. Nous sommes en train de nous autoalimenter... De quoi s'agit-il en réalité? Nous lisons donc partout «débat sur les minarets en France». Mais le débat c'est ça, c'est le titre en lui-même, c'est aussi les questions que nous (les journalistes) posons à nos invités sur les différentes radios et à la télévision. Et en règle générale, nos invités, de droite comme de gauche, nous répondent que pour eux il n'y a pas de problème, qu'ils n'ont pas remarqué une revendication des musulmans de France à construire de minarets partout...mais ils se disent inquiets! Inquiets du débat!
C'est donc le débat qui se mord la queue. Il est souvent abusif et un peu facile d'affirmer qu'un débat embarrassant est monté de toutes pièces par les médias friands de polémiques. Mais là, sur les minarets... c'est le type même, non pas d'une construction médiatique concertée, mais du réflexe médiatique et politique. Et l'on en arrive à des déclarations aux confins de l'absurde et de l'équivoque. Dominique Paillé, le porte parole de l'UMP, peut dire «les salles de prière sont tout à fait indispensables, mais, pour autant, faut-il des minarets au-dessus? Je n'en suis pas sûr» Ça patauge et c'est scabreux! Est-ce que ça veut dire qu'il est contre les minarets en eux-mêmes? Non, bien sûr. En tout cas ce n'est pas la position de son parti. L'élément principal de cette déclaration c'est «je n'en suis pas sûr». Autant ne rien dire alors...
Aucune loi, aucune réglementation spécifique n'est en préparation sur cette question, tout simplement parce que la question ne se pose pas dans notre pays... Et pourtant le Figaro a commandé un sondage sur le sujet. La question posée par l'IFOP est la suivante : «En France, êtes-vous favorable à l'interdiction de la construction de minarets, c'est-à-dire de tours situées à côté des mosquées?»... «Êtes-vous favorable» et non pas «seriez vous favorable» comme si il y avait un projet d'interdiction dans les cartons du gouvernement. La réponse est «oui» à 46% et «non» à 40%. L'IFOP et le Figaro posent une question qui ne se pose pas et qui, en plus, ne veut rien dire. Combien de minarets? Où?
Imaginez que l'on pose la question suivante: «Il y a aujourd'hui 3 millions de musulmans en France et dix minarets sur tout le territoire. Faut-il donner l'autorisation d'en construire quelques autres dans le respect des règles d'urbanisme française?»... Je suis prêt à parier ma pige de Slate.fr contre une journée de salaire du parton de l'IFOP plus celui du patron du Figaro (Serge Dassault...) que le résultat serait inverse.
Un peu comme si on vous demandez: «Voulez vous qu'il pleuve la semaine prochaine?»
-Non, j'ai tennis.
Ou, même question formulée comme ça: «voulez vous que les nappes phréatiques se remplissent la semaine prochaine?»
-Oui, bien sûr...
De son côté, le même jour, l'institut BVA publiait un sondage pour Canal Plus. La question était moins manipulatrice: «Si un tel référendum avait lieu en France, vous personnellement, voteriez-vous l'interdiction des minarets?» : 43% oui, 55% non. Donc à l'inverse des Suisses et à l'inverse du sondage IFOP le Figaro. Quand une question ne se pose pas dans la vraie vie, la réponse est forcément artificielle et totalement tributaire de la formulation.
Mais on frise la malhonnêteté intellectuelle avec le titre du Figaro: «Les Français de plus en plus hostiles à la construction des mosquées». Avec, en une, une photo de minaret. Le Figaro compare les chiffres de la tolérance à la construction de mosquées entre 1989 et aujourd'hui à travers 4 sondages, 1989, 1994, 2001 et 2009. Pour les trois premiers sondages, les chiffres sont comparables et aujourd'hui le nombre de Français opposés à la construction de mosquées (on ne parle plus de minarets) est en hausse. Il faut dire que cette année, la question est posée en plein faux débat sur les minarets et en plein débat cafouilleux sur l'identité nationale. Et surtout personne ne peut dire, aux vues de ces chiffres, si ce refus grandissant de voir se construire des mosquées est une manifestation d'islamophobie ou bien une manifestation de la lente mais sûre sécularisation de notre société.
Que donnerait la même question sur la construction des églises? On le voit bien, le débat est vicié. Il ne prendrait pas une telle ampleur de baudruche s'il n'y avait pas ce malencontreux débat sur l'identité française. Eric Besson pourra méditer longtemps sur les conséquences en chaine de son initiative. Dans la majorité, en tout cas, de plus en plus de voix s'élèvent contre cette idée perverse de vouloir que la Nation s'interroge sur son identité et surtout de confier au ministre de l'Immigration le soin d'animer un tel débat. Nicolas Sarkozy, lui-même, a fini par comprendre qu'on ne joue pas avec une grenade dégoupillée. Il a finalement renoncé à prononcer le discours initialement prévu lors du colloque qui se tient aujourd'hui à l'initiative de l'institut Montaigne et du journal Le Monde. Colloque qui a pour thème: «Qu'est-ce qu'être Français».
Thomas Legrand
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Image de Une: Moulin à vent aux Pays-Bas REUTERS/ Michael Kooren