En 1987, vous admiriez Michael Douglas, téléphone géant à l'oreille initier Charlie Sheen aux joies de Wall Street. Et si vous vouliez faire comme lui, vous n'aviez qu'une possibilité : dépenser 25 000 francs dans un Radiocom 2000, valisette et factures astronomiques incluses. Dix ans plus tard, le Radiocom 2000 disparaissait pour devenir un simple objet de curiosité en vente sur eBay. Et encore une décennie plus tard, le mobile est devenu aussi commun que le grille pain. Dix ans, soit le temps qu'a pris la téléphonie mobile pour passer d'un produit de luxe à une simple commodité, au même titre que l'eau ou l'électricité. Et la preuve se trouve peut-être dans la boutique la plus proche de chez vous.
Jusqu'à maintenant, quand vous alliez acheter abonnement chez un opérateur mobile, vous aviez de bonnes chances de ressortir du magasin, avec, disons, un téléphone, financé en grande partie par l'opérateur, pour vous encourager à utiliser ses services de dernière génération. Depuis quelques mois, il n'est pas impossible qu'en tentant la même expérience, vous vous retrouviez avec un téléphone mais aussi une télévision LCD, une console de jeu, un GPS, ou un appareil photo dans les mains. Le tout pour 1 euro et un forfait. Décryptage d'un système appelé à se généraliser à tous les biens de consommation courante, où (presque) tout le monde est gagnant et qui en dit long sur l'état actuel de la téléphonie mobile.
Que trouve-t-on pour un euro?
A peu près toute la gamme high-tech existante : télé LCD, consoles, ordinateur portable, GPS, appareil photo numérique... Des produits qui ont tous une particularité : un prix réel compris entre 150 et 300 euros, l'équivalent d'un mobile de moyenne gamme. Conséquence, dans cette gamme de prix, il ne faut pas trop être exigeant quand on choisit une télé LCD qui ne dépassera pas les 22 pouces. Et se contenter d'un téléphone basique avec un forfait de deux ans à environ 25 euros. Pour avoir mieux, il faudra payer plus qu'un euro ou accepter un forfait plus important.
Comment de telles offres sont-elles possibles?
Depuis le début de la téléphonie mobile, les opérateurs avaient pris l'habitude d'offrir des mobiles haut de gamme à un prix modique pour attirer de nouveaux clients. Mais avec désormais plus de 90% des Français équipés d'un téléphone mobile et un parc en très faible augmentation (0,2 à 1% par trimestre), les opérateurs mobiles savent que la bataille ne se joue plus sur le front des non-utilisateurs mais sur celui du «Churn», c'est-à-dire des abonnés qui changent d'opérateur.
Pour attirer ces «churners», tous les opérateurs misent toujours sur la même recette : les subventions qui permettent au nouveau client d'acquérir un téléphone performant pour un prix faible, voir nul. Sauf que le temps où les mobiles d'entrée de gamme étaient techniquement pathétiques est révolu : photo, vidéo, musique et accès web, tout est compris par défaut. Même le saint Graal du multimédia mobile, l'iPhone, a vu son prix divisé par 5 en une petite année.
A part pour une minorité de technophiles, la différence entre les terminaux haut de gamme et bas de gamme est devenue quasi-inexistante, rendant le transfert des subventions vers d'autres produits inévitable pour se différencier et aller chercher de nouveaux abonnés.
Ce transfert de subventions explique pourquoi les produits vendus à 1 euro affichent un prix grand public généralement inférieur à 300 euros. C'est tout simplement le montant maximum de la prime que l'opérateur est disposé à payer pour vous voir arriver chez lui.
Quels opérateurs se sont lancés dans cette bataille?
C'est Bouygues qui a cru le premier dans ces offres. Et pour cause, c'est le plus petit des trois et donc l'opérateur qui a le plus besoin d'aller chercher des abonnés chez ses concurrents. Depuis SFR s'y est mis dans une moindre mesure. Il reste néanmoins un problème de taille pour l'opérateur : l'offre s'adresse aux personnes qui doivent renouveler leur abonnement et qui ne veulent pas acheter de téléphones haut de gamme, de type smartphone, mais qui préfèrent compléter leur équipement d'un GPS, d'une télé, d'une console... En apparence, le grand gagnant est donc le consommateur qui se fiche d'être hyper connecté du mobile. Pour lui, les subventions permettent de s'équiper à moindres frais. Mais ces abonnés non technophiles consomment moins que les autres : selon l'autorité de régulation des télécommunications, la facture moyenne d'un possesseur d'iPhone chez Orange est de 86 euros, pratiquement deux fois plus que la moyenne française. En recrutant avec les offres à 1 euro et les forfaits de base qui les accompagnent, les opérateurs ne débauchent pas de gros clients.
Les distributeurs sont-ils les grands gagnants?
Oui probablement, même si les distributeurs interrogés à ce sujet refusent de livrer des chiffres sur ce business encore récent et stratégique. Rueducommerce.com qui a été le premier à importer cette offre d'Angleterre et d'Allemagne, reste très discret sur ses résultats. Mais en interne, on ne cache pas la satisfaction d'être bien placé sur ce créneau en cette période de crise. Cette offre nécessite toutefois un distributeur fonctionnant sur un modèle économique de "low-costeur" : avoir l'offre la plus percutante, la plus concurrentielle, la plus agressive. D'autant que les opérateurs ne sont pas en mesure de proposer, faute de logistique, une distribution ou un service après-vente adéquats.
Et les distributeurs ne veulent pas s'en arrêter là. Rueducommerce.com prévoit déjà d'ouvrir cette offre à d'autres gammes de produits tant que leur prix reste dans les limites du modèle économique. Et l'on voit apparaître les premières offres proposant des ordinateurs Notebook dans des magasins de téléphonie.
Tout le monde gagne-t-il vraiment dans l'histoire ?
Bien entendu, les fabricants de téléphones haut de gamme seront probablement les premières victimes collatérales du transfert des subventions des opérateurs vers des produits électroniques n'ayant rien à voir avec le mobile. Mais les opérateurs eux-mêmes courent un risque : celui de se retrouver avec des clients préférant équiper leur maison plutôt que d'acquérir des téléphones nouvelles générations. Et donc incapables d'utiliser les services de nouvelle génération, ceux-là mêmes sur lesquels comptent les opérateurs pour gagner plus demain.
Et côté consommateur, on peut considérer que, sans prime d'activation, il serait en mesure de payer son abonnement jusqu'à 40% moins cher.
Le nerf de la guerre est bien là : plutôt que de baisser le prix du forfait, seul vecteur de rentabilité, les opérateurs préfèrent offrir un cadeau, faire que le forfait soit une sorte de crédit et pousser à la consommation en unités sonnantes et trébuchantes. La saturation du marché du mobile est à ce prix.
Dominique Willieme