La question du «leadership» taraude le Parti socialiste depuis le 21 avril 2002 et le retrait brutal de Lionel Jospin, au soir de sa terrible défaite face à Jean-Marie Le Pen au premier tour de l'élection présidentielle. Ce parti, et la gauche, n'ont plus de chef incontestable, capable d'être à la fois légitime aux yeux des militants et populaire. C'est assurément un de nos handicaps majeurs, face à une droite certes affaiblie, mais qui fait bloc derrière Nicolas Sarkozy.
La percée sondagière de Dominique Strauss-Kahn, l'avancée désormais claire de Martine Aubry, l'éternel retour de Ségolène Royal, la détermination de François Hollande, la démarche que je peux, comme d'autres, engager, témoignent du caractère indécis et ouvert du choix de la candidature socialiste en 2012. Cette question irrite, légitimement: le spectacle de la division, voire de la violence au sein du Parti socialiste, est intolérable à tous ceux qui espèrent le changement en 2012. Elle est en même temps incontournable : la politique exige l'incarnation. Elle est difficilement soluble: rien ni personne ne s'impose à l'évidence. C'est pourquoi l'option des primaires ouvertes à gauche, et d'abord entre les socialistes, est devenue impérative. Je ne veux pas, cependant, esquiver les questions qu'elle pose.
Les primaires ne sont pas une panacée, un bienfait en soi. A mes yeux, elles sont d'abord filles de la nécessité. Ce qui les fonde, avant tout, est l'impuissance du Parti socialiste à trouver dans ses mécanismes traditionnels les voies et moyens d'une désignation à la fois transparente, légitime, donnant de la force à notre candidat. Nos différents Congrès — la calamiteuse réunion de Reims étant à cet égard un sommet de médiocrité — et la fausse primaire de 2006 n'ont pas produit des résultats convaincants. Il y a trop de biais, trop de défauts, trop de conflits au sein du Parti socialiste pour permettre qu'il trouve, dans ses procédures habituelles, la clé de l'avenir.
C'est pourquoi il faut ouvrir le corps électoral, et laisser au citoyen la responsabilité de trancher les choix que nous n'avons pas su effectuer. Mais les primaires peuvent aussi accoucher d'une vraie rénovation, d'une vraie révolution démocratique. Elles modifieront le rapport entre les partis et l'opinion.
Hier, les partis se vivaient comme une avant-garde, forgeant l'opinion, demain, ils devront l'épouser, l'infléchir sans doute, l'interpréter, mais aussi lui obéir. Ils ne perdront pas leur rôle: ils seront organisateurs des primaires, acteurs essentiels de celles-ci, mais ils devront se soumettre à leur verdict. Ils ne seront plus fermés sur eux-même, mais devront accueillir, mieux qu'ils ne le font, l'opinion citoyenne. Nous devons nous réjouir de ces évolutions à venir, et nous y adapter. Commençons, d'ores et déjà, à les anticiper.
Réussir les primaires ne va pas de soi. Il sera nécessaire de trancher de nombreux problèmes. J'ai évoqué en détail ces questions dans mon dernier livre — «Mission impossible»? — j'en dis quelques mots. Quel doit être le périmètre des primaires? Pour moi, elles doivent être ouvertes à toutes les forces politiques qui, à gauche, souhaiteraient y participer, sans y inviter l'extrême gauche, ni le centre : il s'agit bien de désigner le candidat de la gauche de gouvernement. Qui peut voter, comment organiser le scrutin? Ma préférence va à une procédure déclaratoire, maîtrisée, transparente. Tout citoyen se réclamant des valeurs de la gauche, prêt à signer une charte à cet effet, s'acquittant d'une somme modique, voire symbolique, devrait pouvoir s'y exprimer.
Je propose la création d'un fichier électoral quelques mois avant le vote des primaires elles mêmes: c'est la condition sine qua non pour éviter des distorsions, voire des manipulations, de nature à fausser le scrutin, à en altérer la sincérité ou à en changer le résultat. Qui peut être candidat? Je suis pour ma part favorable à un «ticket d'entrée» assez bas, et non à un suffrage censitaire, contrôlé par les appareils de parti: un responsable politique capable d'obtenir le parrainage d'un nombre déterminé, et pas trop élevé, d'élus et/ou le soutien de quelques milliers de citoyens devrait pouvoir s'y présenter.
Mais la difficulté principale, on le sent bien, réside dans le choix du moment des primaires. C'est là-dessus que se concentre d'ores et déjà le débat. Certains, à commencer par François Hollande, souhaitent des primaires précoces, arguant de la nécessité d'en finir avec les divisions. D'autres, au contraire, proches de la direction du parti, plaident pour des primaires tardives, pour laisser la situation se décanter. Les arrière-pensées, à l'évidence, ne manquent pas. A qui profite le calendrier? «That is the question»! L'intention, des uns d'éviter la participation de Dominique Strauss-Kahn, des autres de la favoriser, des troisièmes d'amener tout doucement le processus vers une «candidature naturelle» est plus que visible.
Pour ma part, je raisonne autrement, indépendamment des personnes, avec certes le souci que tout le monde puisse tenter sa chance, que nul ne soit exclu, avec la conviction que chacun devra courir son risque - au début 2011, tous les futurs protagonistes devront avoir peu ou prou dévoilé leurs aspirations — mais surtout avec la volonté que les primaires soient un atout pour la seule élection qui vaille: la confrontation devant les Français, pour l'emporter face à Nicolas Sarkozy, le chef de la droite. C'est pourquoi je plaide pour une date qui ne soit ni trop avancée - la désignation aurait épuisé sa forme propulsive — ni trop tardive — le rassemblement après le combat interne serait difficile — et qui laisse le temps au Parti socialiste de travailler sur son projet — c'est le préalable à toute reconquête.
En bref, les primaires, dont il faudra définir les modalités — quel nombre de tours, quel délai entre les scrutins? — en privilégiant la simplicité et la lisibilité, devraient se tenir au plus tôt en juin 2011, au plus tard en novembre 2011. C'est la conclusion que j'ai tirée de plusieurs conversations avec Howard Dean, l'ancien président du Parti démocrate: les primaires n'ont de sens que si elles prolongent leur effet de souffle, de mobilisation, jusqu'à l'élection présidentielle, et donc si elle ne sont pas trop éloignées d'elle. Sinon, autant s'en tenir à un classique Congrès — celui du Parti socialiste devra, en toute hypothèse, se tenir avant les primaires.
Dernière interrogation: qui sera le bon candidat, ou la bonne candidate? On comprendra que je ne donne pas aujourd'hui la réponse. Que tous ceux qui prétendent concourir aux primaires — j'en suis — se préparent avec résolution, sérieux, esprit de responsabilité, sans interdire par leur comportement le rassemblement autour de celui qui l'aura emporté. Et que le meilleur gagne !
Pierre Moscovici
Image de une: Championnat du monde d'athlétisme, en août 2009. REUTERS/Max Rossi