De part et d'autre de l'Atlantique, les responsables politiques se félicitent de la résistance de la consommation. Depuis la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008, en dépit de la chute de l'activité et de la montée générale du chômage, les ménages ont à peu près maintenu le niveau de leurs dépenses à son niveau antérieur. Le contraire aurait d'ailleurs été très décevant: tous les gouvernements ont fait ce qu'il fallait pour soutenir le pouvoir d'achat et ont pris des mesures spécifiques pour encourager les achats dans des secteurs particulièrement sensibles comme l'automobile. Un autre facteur a joué un rôle déterminant: la baisse des prix à la consommation, dans le sillage des cours du pétrole.
Petit rappel: en juillet 2008, le cours du baril avoisinait 150 dollars, en décembre, il était tombé en dessous de 34 dollars. Dans un pays comme les Etats-Unis où les produits pétroliers sont peu taxés, les mouvements sur les cours du brut se répercutent presque intégralement sur les prix à la pompe. Résultat: l'indice des prix à la consommation y a reculé de 0,8% en octobre 2008, de 1,7% en novembre et encore de 0,8 % en décembre. Dans un pays comme le nôtre, où on paie à la pompe beaucoup pour l'Etat et un peu pour le carburant, le recul a été moins brutal, mais il a été réel. Pour le pouvoir d'achat, c'était une bonne nouvelle.
Mais cela, c'est du passé. Le cours du baril est remonté à près de 80 dollars et la comparaison avec les indices enregistrés un an plus tôt, qui permet de déterminer le «glissement annuel» des prix, n'est plus aussi favorable. Pour employer le jargon des experts «l'effet de base» ne joue plus. En France, en octobre, l'indice des prix à la consommation était encore en repli de 0,2 % sur un an, pour le sixième mois consécutif. Mais les chiffres de novembre, qui seront publiés le 15 décembre, risquent de marquer la fin de cette période. Selon les premières estimations d'Eurostat, dans l'ensemble de la zone euro les prix auraient enregistré en novembre une hausse de 0,6 % sur douze mois, après une baisse de 0,1 % en octobre et 0,3 % en septembre.
La même tendance devrait apparaître aux Etats-Unis: en glissement annuel, la variation des prix était encore négative en octobre, mais de seulement 0,2%. Au fil des mois, l'écart avec les indices enregistrés douze mois plus tôt n'a cessé de se réduire: il était de 2,1% en juillet, 1,5% en août et 1,3% en septembre. En novembre, il risque fort d'être de nouveau positif, c'est-à-dire de signaler une reprise du mouvement de hausse des prix.
Faut-il pour autant craindre un retour de l'inflation? Ce serait sans doute une erreur. Quel pourrait en être la cause? Une nouvelle flambée des cours du pétrole et des matières premières? Ce qui est déjà arrivé peut se reproduire et on sait que la tendance de fond est à une hausse du prix de l'énergie. Mais, dans l'immédiat, un cours voisin de 80 dollars semble convenir aux pays exportateurs et ne pas pénaliser la reprise de l'activité dans les pays consommateurs. Ce fragile équilibre ne devrait pas être rompu tout de suite.
Un retour des tensions sur les matières premières industrielles ne peut pas être exclu avec des taux d'intérêt bas qui favorisent la spéculation, surtout si la Chine confirme son retour à une croissance soutenue. Mais il n'est guère envisageable que ces mouvements puissent entraîner une hausse continue et générale de l'ensemble des prix. Même si la zone euro a retrouvé la croissance au troisième trimestre, son PIB reste inférieur de 4,1% à celui du troisième trimestre 2008. Partout dans le monde, les capacités inemployés sont nombreuses.
Ainsi, aux Etats-Unis, le taux d'utilisation des capacités est tombé à 70,7% dans l'ensemble de l'industrie et 67,9 % dans le seul secteur manufacturier (hors énergie et agroalimentaire). Avant que la reprise de la demande ne provoque des tensions dans l'appareil des production et permette aux industriels de relever leurs prix, il va s'écouler un temps certain. De même, le taux d'emploi de la main d'œuvre dans l'ensemble des pays industriels est si faible que les salariés ne sont pas en mesure d'obtenir des hausses de leurs rémunérations et de déclencher une spirale salaires-prix.
On en trouve la confirmation dans l'évolution de l'inflation sous-jacente, hors prix volatiles comme ceux de l'énergie ou des produits alimentaires et, dans certains pays comme la France, hors tarifs publics, dont la fixation obéit à d'autres règles que strictement économiques. Partout les indices d'ensemble remontent du fait de la composante pétrolière, mais l'inflation sous-jacente a tendance à stagner et même à refluer. Aux Etats-Unis, malgré une légère remontée au cours des derniers mois, elle s'établissait à 1,7% sur un an en octobre, alors qu'elle oscillait entre 2,2% et 2,5% de 2005 à 2008. Dans la zone euro, elle s'établit à 1,2% seulement et toutes les prévisions convergent vers un chiffre inférieur à 2% en 2010.
Bref, personne ne voit de tendance inflationniste à court terme. L'OCDE craint même une entrée en «territoire déflationniste» l'an prochain si la hausse attendue de l'activité n'est pas au rendez-vous. Le problème risque de se poser plus tard, à un horizon de cinq ou dix ans, et les banques centrales devront manœuvrer avec beaucoup d'habilité pour sortir de la période actuelle de taux bas et de liquidités abondantes :si elles agissent trop tôt et trop fort, elles casseront la croissance; si elles se montrent trop laxistes, elles mettront en place toutes les conditions d'une inflation future. Mais avec une baisse dans la zone euro du volume des prêts aux entreprises de 1,2 % sur un an en octobre et de 0,1% pour les prêts aux ménages, on est encore loin de la zone à risques. Ceux qui achètent aujourd'hui de l'or à 1.200 dollars l'once ont sûrement d'autres objectifs que de se prémunir contre l'inflation.
Gérard Horny
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Image de Une: Lingots d'or Yuriko Nakao / Reuters