L’année dernière, avec mes étudiants de Master, on a animé des ateliers dans des classes de primaire classés en zone d’éducation prioritaire et nécessitant l’utilisation d’ordinateurs. C’était bon enfant. Dans la salle informatique où nous nous retrouvions toutes les semaines, on regardait des extraits de films et on les commentait. C’est incroyable de constater qu’à différentes échelles, ni moi, ni mes étudiants, ni les enfants n’avions les mêmes compétences et n’aboutissions pas nécessairement aux mêmes observations. Dans le partage, on a beaucoup appris les uns des autres. On a progressé aussi.
Accompagner les apprenants à la maîtrise des technologies et à l’acquisition d’une culture numérique
Au-delà de la découverte du cinéma, il s’agissait d’apprendre à utiliser le numérique. Car il est devenu impossible d’évoluer notre société sans avoir des compétences minimales: écrire un courrier, envoyer un mail, trouver une information, faire ses impôts, gérer ses comptes bancaires en ligne.
Il faut se préoccuper de l’égale répartition des compétences au sein de la population, ce qui est une gageure, car tout le monde n’a pas accès de la même manière à un ordinateur et au réseau internet. Soutenir la découverte et l’exploration de ces technologies est une priorité.
Au-delà de la manipulation concrète du numérique, il faut permettre aux apprenants d’aiguiser leur regard critique, être capable de trouver de l’information pertinente (en étant capable d’identifier la source), avoir un comportement éthique sur les réseaux sociaux.
En tant que futur citoyen, tout apprenant doit aussi comprendre à quoi il s’engage quand il utilise une technologie propriétaire (Microsoft, Facebook, Google). Celle-ci va chercher à s’imposer dans sa pratique et conserver des traces le concernant à des fins marketing. Pourtant, il existe des technologies libres et open source, le plus souvent gratuites, qui garantissent le maintien d’une pluralité de l’offre et la protection des individus [1].
Former les formateurs, créer de nouveaux métiers, utiliser intelligemment le numérique
À l’instar de certains de mes étudiants, pourtant censés être rompus à l’utilisation du numérique, on observe que de nombreux pédagogues et futurs pédagogues maîtrisent mal les technologies. Il faut donc mettre en place des formations régulières et actualisées tout au long de la vie reposant sur le partage d’expériences et l’expérimentation.
C’est capital pour la transmission de compétences, la mise en place de pédagogies par projets qui vont favoriser les collaborations ou de pédagogies adaptées qui vont répondre aux besoins tous spécifiques des apprenants.
Mais les pédagogues ne peuvent pas avoir toutes les connaissances et les compétences nécessaires à la manipulation des technologies. Il importe donc de former des auxiliaires numériques (ingénieurs et techniciens) dont la tâche est de répondre à des besoins d’assistance technique et de production de ressources multimédias [2].
L’émergence de ces nouveaux profils-métiers doit être soutenue à travers l’ouverture de formations orientées vers les métiers de l’éducation, des technologies et de l’innovation [3] ; certifications spécialisées dans la continuation du C2i ou sur le modèle des parcours diplômants déployés dans le milieu des fablabs [4].
Introduire de nouveaux fondamentaux dans les apprentissages
Dans mes ateliers, on apprend à décrypter des images avec des ordinateurs, car c’est une nouvelle compétence qu’il convient de maîtriser aujourd’hui. Une compétence qui s’ajoute à d’autres fondamentaux qu’on ne délaisse pas pour autant : l’échange, la lecture (de textes) ou l’écriture (de commentaires analytiques) [5].
Mais il convient aussi d’apprendre à maîtriser les techniques de publication en ligne et de collaboration qui sont au fondement même de l’internet. Apprendre le code informatique, également, dont la maîtrise, même élémentaire, permet de comprendre le fonctionnement des technologies et d’entretenir un rapport critique vis-à-vis d’elle [6].
Repenser la pédagogie avec et sans le numérique
Nos ateliers l’ont montré. L’utilisation du numérique à l’école conduit à reconsidérer les manières d’enseigner: c’est la fin du pédagogue savant et la montée du pédagogue médiateur ; c’est la fin de la salle de classe mettant face à face le professeur et les apprenants et l’apparition d’un espace fait d’îlots qui privilégie les collaborations et la mobilité [7].
La parole de l’enseignant, surtout à l’université, est maintenant discutée par les étudiants qui co-construisent les savoirs en utilisant internet en cours. Les enseignants comme les apprenants n’ont d’ailleurs plus très envie de cours magistraux. On privilégie alors l’emploi des pédagogies inversées dans le cadre desquelles les apprenants accèdent à la théorie en autonomie et chez eux depuis leur ordinateur.
Le temps de cours est alors réservé aux échanges, aux travaux pratiques et aux activités de groupes, selon des méthodes de Learning by Doing. On met l’accent sur des pratiques de Hacking (détournement de contenus à des fins critiques), on organise des ateliers en vue du montage de projets ou de la fabrication d’objets selon dans une tradition Do It Yourself.
1 — Ma première On mentionnera ici les outils proposés sur le site framasoft.org
2 – L’institut Catholique de Paris se distingue notamment par la mise en place d’un service ad hoc: l’Atelier du Numérique, dédié au développement de projets, à la formation et à la production de ressources pédagogiques
3 – Nous mentionnerons par exemple le Master EdTech du CRI
4 – Cf. le Diplôme Universitaire de «Facilitateur» du Faclab de l’université de Cergy-Pontoise qui forme des managers ou des médiateurs spécialistes des milieux de l’incubation et du développement de projets innovants, le plus souvent technologiques.
5 – Dans le prolongement de ce qui est mis en place avec les opérations d’éducation à l’image ou d’autres pratiques technologiques des marges.
6 – On notera, à ce titre, la très forte et très intéressante mobilisation du corps enseignant autour du logiciel Scratch en primaire et dans le secondaire.
7 – Nous invitons le lecteur à prendre connaissance des résultats du premier Edcamp qui s’est tenu en France et qui a mis au jour ces changements de dynamiques spatiales en enseignement depuis l’apparition du numérique.