Quand, en 2007, Nicolas Sarkozy s’est installé à l’Élysée, promettant une «République irréprochable», deux actions inédites ont frappé l’opinion: l’augmentation substantielle de son salaire de chef d’État et les vacances passées, entre son élection et son entrée en fonctions, sur le yacht du richissime industriel Vincent Bolloré. Son quinquennat allait être marqué par nombre de scandales politico-financiers concernant ses proches, l’impliquant directement ou mettant en cause l’administration élyséenne dont il était le chef.
Ces affaires ainsi que son rapport à l’argent, sa propension à ne pas regarder à l’économie quant il s’agissait de son train de vie, ses relations «décomplexées» avec des riches entrepreneurs ont poussé le candidat François Hollande à axer, en 2012, une partie de sa campagne électorale sur le thème de cette «République irréprochable» à laquelle son adversaire semblait avoir renoncé. Le futur chef de l’État parlait alors de «République exemplaire». «Je veux que la prochaine présidence soit celle de l’impartialité de l’État, de l’intégrité des élus et du respect des contre-pouvoirs», écrivait-il dans ses propositions.
Celles-ci étaient pourtant, dans ce domaine, limitées: réforme du statut pénal du chef de l’État, réduction de 30% de la rémunération du président de la République et des ministres, loi sur le non-cumul des mandats, durée d’inéligibilité des élus condamnés pour corruption portée à dix ans. Des engagements qui reflétaient les bonnes intentions du candidat mais semblaient incapables de mettre un terme à l’érosion de l’intégrité des élus et de lutter efficacement contre les délits politico-financiers.
La seule mesure précise, celle de prolonger de cinq à dix ans la durée d’inéligibilité des élus condamnés pour corruption, en était le symbole. D’une part parce que la corruption n’est qu’un délit financier parmi de nombreux autres, et d’autre part car le prolongement de l’inéligibilité ne paraît pas une sanction très sévère. Elle est, du reste, soumise dans la pratique à l’appréciation du juge. Un temps évoquée, l’indépendance de la justice, qui amènerait les magistrats du parquet (procureurs) à ne plus être soumis aux ordres de Chancellerie, c’est-à-dire du ministre de la Justice, ne figurait pas parmi les promesses du candidat. De même, la réforme de la très contestée Cour de justice de la République, qui permet aux ministres d’échapper à la justice ordinaire (et a récemment condamné, en la dispensant de peine, Christine Lagarde dans l'affaire de l'arbitrage Tapie), n’était pas évoquée. La «République exemplaire» apparaissait avant tout comme une intention et semblait devoir être interprétée dans son sens littéral: il s’agissait, pour lutter contre les dérives, de donner l’exemple au plus haut niveau de l’État.
Déontologie et bonnes intentions plutôt que répression et sanctions
Cette absence de promesses précises a laissé au candidat, une fois élu, une certaine marge de manœuvre et s'est traduite, dès juillet 2012, par la création d’une commission «chargée de la rénovation et de la déontologie de la vie publique».
Présidée par l’ancien Premier ministre Lionel Jospin et composée essentiellement de hauts fonctionnaires, d’universitaires et de magistrats, elle ne comprend aucun élu en activité. Cette volonté du nouveau président dit son désir de réforme mais la feuille de route de la commission apparaît bien en deçà des attentes: il s’agit essentiellement de travailler sur le déroulement des élections (financement, expression des candidats, calendrier, etc.) et sur le cumul des mandats. Pour ce qui concerne la «déontologie de la vie publique», la commission a uniquement pour mission de se pencher sur le statut juridique du président de la République, sur la suppression de la Cour de justice de la République et sur la prévention des conflits d’intérêts. Il n’est pas question de délits financiers, de corruption ni de poursuites pénales.
La commission, rendant son rapport à l’automne 2012, préconise de supprimer «l’inviolabilité pénale du Président», la Cour de justice de la République et la pratique du cumul. Pour garantir la déontologie de la vie publique, elle recommande de définir précisément la notion de conflit d’intérêts et de l’inscrire dans la loi, proposant un certain nombre de mesures (déclaration d’intérêts, d’activités et de patrimoine, création d’une Autorité de déontologie...) pour l’empêcher sans envisager pour autant de le sanctionner.
Elle répond ainsi aux attentes du nouveau président de la République qui, dès la constitution de son premier gouvernement, a instauré un règlement déontologique que doivent suivre ses ministres. Il s’agit essentiellement de «prévenir tout conflit d’intérêts» en remplissant une «déclaration d’intérêts» et de restreindre le plus possible, dans le cadre d’une «présidence normale», le train de vie des membres du gouvernement dont les indemnités, conformément aux promesses, sont revues à la baisse. L’action essentielle de la «République exemplaire» consiste donc d’abord à restreindre les dépenses de l’exécutif, jugées trop dispendieuses sous Sarkozy. La charte signée par les ministres les incite ainsi à préférer le train à l’avion, à éviter l’emploi d’escortes, de logements de fonction, etc. Le président lui-même crée l’événement en privilégiant le chemin de fer pour ses premiers déplacements et ampute ses émoluments de 30%.
L’autre volet de la «République exemplaire» est la lutte contre les conflits d’intérêts, devenue la marotte du président. Une politique louable mais qui a le défaut de laisser à l’arrière-plan l’ensemble des délits financiers. Ce virage reflète le manque de promesses précises dont avait fait preuve le candidat Hollande durant la campagne, malgré une volonté affirmée de lutter contre la corruption des édiles. Sans doute n’est-il pas sans rapport avec le choix du nouveau Premier ministre: le président qui apparaît comme le plus désireux de promouvoir l’intégrité est aussi, en effet, le premier à nommer à Matignon un homme condamné par la justice. Ayant écopé de six mois de prison avec sursis pour favoritisme (condamnation éteinte, suivant la loi, en 2007), Jean-Marc Ayrault fait partie de ces (nombreux) élus reconnus coupables dans des affaires politico-financières. Des mesures qui porteraient l’inéligibilité à dix ans ou à vie, comme certains le demandent, dans les délits politico-financiers ne semblent dès lors pas très opportunes. Il est vrai que, dans ses promesses, le candidat Hollande avait pris soin de cibler la corruption et non l’ensemble des délits financiers, dont le favoritisme. Le président et son Premier ministre œuvreront à la même période pour pousser Harlem Désir, lui aussi condamné dans une affaire politico-financière, à la tête du Parti socialiste (un autre condamné, Jean-Christophe Cambadélis, lui succèdera).
L’affaire Cahuzac, ou l’accélérateur de réformes
La bataille contre les conflits d’intérêts, symbolisée alors par la déclaration remplie par chaque membre du gouvernement, apparaît d’autant plus comme un placebo que l’affaire Cahuzac, impliquant le ministre délégué au Budget du gouvernement Ayrault, qui débute dès décembre 2012, montre l’inefficacité, sinon l’inutilité, d'une «déclaration d'intérêts» sans vrai contrôle. Les mesures mises en place par François Hollande et développées par le rapport Jospin en novembre 2012 semblent passer à côté de l’essentiel. Certes, les ministres s’engagent à renoncer à toute activité annexe –«même non lucrative»– qui concerne leur ministère, à refuser toute invitation intéressée, à abandonner tout cadeau dont la valeur est supérieure à 150 euros, à ne pas avantager un proche ou un membre de leur famille, etc., mais au-delà de ces bonnes intentions, rien ne semble fait pour lutter efficacement contre les pratiques délictueuses ou moralement condamnables. L’affaire Cahuzac va montrer à François Hollande que les déclarations sur l’honneur ne sont pas suffisantes pour gagner la bataille de l’intégrité.
La crise engendrée par les mensonges et les dissimulations fiscales du ministre qui avait la charge de l’administration des impôts oblige, en avril 2013, le président de la République à se montrer plus offensif. Celui qui se faisait le champion de la probité apparaît particulièrement fragilisé par le scandale. Il promet une législation sévère qui ira au-delà de la simple lutte contre les conflits d’intérêts. La loi sur la «déontologie de la vie publique» qui devait naître du rapport Jospin se transforme en loi sur la «moralisation». L’intention de l’exécutif est de reprendre une partie des recommandations formulées à propos des conflits d’intérêts et d’y ajouter des mesures plus offensives, comme la création d’un «parquet financier» dédié exclusivement à la lutte «contre la corruption et la fraude fiscale», ou comme l’interdiction de cumuler un mandat avec un certain nombre d’activités jugées incompatibles, telle celle, très répandue et très lucrative, de «conseil».
En attendant la loi, les ministres sont invités à publier une déclaration de patrimoine détaillant tous leurs biens. Le «déballage» n’est guère apprécié par le monde politique, notamment dans le camp de François Hollande. Les élus sont réticents à la transparence voulue par l'exécutif et voient d’un mauvais œil une loi de «moralisation» qui va les soumettre à un semblant de contrôle. La bataille se cristallise autour de la déclaration de patrimoine que le gouvernement entend exiger de tous les élus pour la rendre publique et à laquelle les députés, dans leur ensemble, et les socialistes en particulier s’opposent. Les parlementaires renâclent aussi à restreindre les activités compatibles avec leur mandat: pas question de limiter les métiers et les revenus «annexes».
Devant l’opposition de son propre camp, le président est contraint de reculer et la loi, publiée en octobre 2013, n’est pas le grand texte espéré sur la moralisation. Les élus ont, une fois de plus, réussi à préserver l’essentiel de leurs avantages. Pas de métiers et de revenus annexes limités pour combattre les conflits d’intérêts et pas de publicité de la déclaration de patrimoine: les élus doivent bien en remplir une mais elle vaut à toute personne qui la divulguerait jusqu’à un an de prison et 45.000 euros d’amende.
La bataille a permis néanmoins quelques avancées, dont la création d’une autorité de contrôle –la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP)– chargée de vérifier les déclarations d’intérêt et de patrimoine auxquelles les élus sont soumis. Cette création n’est pas réellement une nouveauté: il existait déjà une Commission pour la transparence financière de la vie politique chargée de vérifier la déclaration de patrimoine de milliers de personnalités. Son efficacité était quasi nulle. La nouvelle instance est dotée de plus de pouvoirs et de moyens mais la masse de documents et la difficulté d’en vérifier la sincérité risquent d’en limiter sérieusement l’action.
À cette loi va s’ajouter bientôt la création du «parquet national financier», qui apparaît là aussi comme une demi-mesure. Le procureur qui le dirigera sera, comme les autres, soumis à la hiérarchie, c’est-à-dire au pouvoir politique. De plus, il existe déjà des pôles financiers spécialisés dans les enquêtes sur les crimes et délits «en col blanc», de sorte que cette structure n’apparaît ni innovante ni véritablement nouvelle. Seul son champ d’investigations pouvait lui donner une relative importance: en matière fiscale, en effet, la possibilité de poursuivre des contribuables est le monopole de l’administration, c’est-à-dire in fine, du ministère du Budget. En appuyant la création de ce parquet sur sa volonté de lutter contre la fraude fiscale, l’exécutif pouvait prouver son désir d’agir en transférant cette compétence au procureur financier. Il n’en a rien été. La justice ne peut toujours pas poursuivre les contribuables indélicats de sa propre initiative: elle n’a droit d’agir que si l’administration fiscale, dépendant du ministre du Budget, porte plainte, comme cela a été récemment le cas pour le porte-parole de François Fillon, Thierry Solère.
À la fin du quinquennat, une nouvelle loi, dite Sapin 2, «relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique», a cependant renforcé l’arsenal législatif avec, notamment, la création d’une Agence française anticorruption et des mesures pour protéger les lanceurs d’alerte et encadrer plus sévèrement le lobbying. Des dispositions jugées là aussi timides et, pour certaines, pas réellement nouvelles, mais qui, comme la loi sur la transparence, sont le reflet d’une présidence qui, quels que soient ses échecs, a tenté d’insuffler plus d’intégrité dans un monde politique en mal de probité.
Moins d’avantages, plus de contrôle, moins d’ostentation, plus de transparence
Comme pour le texte sur la moralisation, l’exécutif a rencontré des difficultés pour imposer une autre loi importante: celle sur la réforme du cumul des mandats. Celle-ci rogne à nouveau les avantages des élus peu enclins à abandonner une partie, même minime, de leurs acquis. La loi de 2014, qui sera effective aux prochaines élections législatives et sénatoriales de 2017, interdit aux parlementaires de cumuler la présidence d’un exécutif local (mairie et collectivités territoriales) avec leur siège de député ou de sénateur. Elle met fin à la vieille tradition du député-maire ou sénateur-président, qui mélangeait pouvoir exécutif et pouvoir législatif et fabriquait des professionnels de la politique aux allures de barons de province. Si certains regrettent que la limitation ne concerne pas aussi la durée, il reste que cette loi est une avancée sensible, dont on peut espérer qu’elle fasse évoluer les pratiques et renouvelle le personnel politique.
S’il a agi pour la moralisation de la vie politique, le Président lui-même a parfois cédé à l’attrait des avantages. L’affaire de son coiffeur payé comme un haut fonctionnaire afin qu’il soit en permanence à son service ou l’abandon rapide du train comme moyen de déplacement, les avantages indus que s’accordait son conseiller Aquilino Morelle, la baisse limitée du budget et des collaborateurs de l’Élysée, le cumul de certain ministre (Jean-Yves Le Drian) malgré les règles imposées, la présence au gouvernement de personnes condamnées par la justice (Jean-Marc Ayrault, Harlem Désir, Jean-Marc Baylet), les poursuites engagées contre plusieurs ministres ou secrétaires d’État (Jérôme Cahuzac, Yamina Benguigui, Thomas Thévenoud) laissent apparaître un monde encore empêtré dans des pratiques coupables.
D’autre part, nombre de réformes promises ou espérées n’ont pas vu le jour. La Cour de justice de la République n’a pas été supprimée, l’indépendance de la justice n’est pas d’actualité, les conflits d’intérêts ne sont pas condamnables et l’affaire Fillon a montré qu’on pouvait, en toute légalité, être législateur tout en étant payé par des grands groupes privés. La transparence est toujours limitée, les moyens de contrôle faibles, les avantages opaques. En insufflant des lois certes prudentes mais effectives, la présidence de François Hollande offre pourtant un bilan positif et ce d’autant plus qu’en laissant une certaine autonomie à la justice, elle a aussi permis que des enquêtes soient menées à bien et des sanctions prononcées. L’action et la personnalité du chef de l’État ont aussi mis un terme au climat d’affairisme qui régnait du temps de son prédécesseur et s’est traduit par nombre de procédures judiciaires. De plus, le travail de la Haute Autorité pour la transparence, très médiatisé, a démontré une certaine efficacité, permis de dénoncer plusieurs élus et, de ce fait, poussé le personnel politique à prendre au sérieux cette instance de contrôle.
De même, la réforme sur le cumul des mandats semble entraîner un véritable renouvellement puisque près d’un quart des députés comptent ne pas se représenter en 2017. Par petites touches que représentent des lois prudentes et limitées, la politique de François Hollande est allée dans le bon sens. Il reste que, comme l’affaire Fillon l’a montré et, à travers elle, les pratiques des parlementaires, la «République exemplaire» est encore à bâtir.