Trois espagnols enlevés en Mauritanie le 29 novembre. La nouvelle a plongé les Mauritaniens dans la stupeur. Car les trois humanitaires catalans voyageaient en convoi. Ils circulaient sur le principal axe de Mauritanie. La route qui relie Nouakchott, la capitale politique, à Nouadhibou, la capitale économique. Jusqu'alors, cet axe était réputé inviolable. «C'est le seul endroit du pays où les étrangers sont en sécurité. Al Qaïda n'osera pas s'aventurer là-bas» se plaisaient à répéter les Mauritaniens jusqu'a ces jours derniers. Il est vrai que cet axe est jalonné de militaires qui procèdent à des contrôles très fréquents. La Mauritanie est un Etat policier. Les militaires dirigent le pays depuis plus de trente ans, presque sans interruption.
L'enlèvement n'a pas encore été revendiqué. Mais pour les services de sécurité mauritaniens l'identité de son auteur ne fait aucun doute. Il s'agit bien d'Al Qaïda qui fait régner la terreur en Mauritanie depuis près de deux ans. Mais qui n'avait pas encore réussi de prise d'otage. Depuis l'enlèvement des Catalans, même les Mauritaniens hésitent à s'aventurer sur la route. «Nous aussi, nous avons peur. Nous ne savons pas de quoi ces gens sont capables.» explique Aziz Ould, un médecin de Nouakchott. «Ce sont des compatriotes et pourtant ils commettent des actes que nous n'arrivons à comprendre. Quand ils ont assassiné l'année dernière, quatre Français qui pique niquaient, nous avons d'abord cru que ce n'était possible. Que nos compatriotes étaient incapables d'un tel fanatisme. Mais une partie de l'opinion, les plus déshérités, se sont radicalisés ces dernières années ».
Les services de sécurité avouent eux aussi une certaine forme d'impuissance. «C'est très difficile de combattre Al Qaïda. On ne sait pas qui et qui. A un moment ce sont des citoyens ordinaires. Quelques minutes plus tard, ils prennent une kalachnikov et tuent au nom de dieu. Nous affrontons un ennemi invisible. Et le territoire mauritanien est si vaste (deux fois la superficie de la France) que c'est impossible de tout contrôler» avoue un haut responsable des services de sécurité.
Le terrorisme a déjà coûté très cher à la Mauritanie. A la suite des menaces d'Al Qaïda, les organisateurs du Paris Dakar ont supprimé l'épreuve, qui constituait une «vitrine importante» pour la Mauritanie. Le tourisme s'est écroulé depuis l'assassinat des quatre français l'année dernière.
Le récent attentat suicide contre l'ambassade de France en août dernier n'a rien arrangé. La France est considerée par Al Qaida comme une cible de choix. Elle participe a la guerre en Afghanistan. Et surtout elle soutient le regime du president Abdelaziz. Paris reste très influent dans la region. La situation des Français devient périlleuse.
D'autant qu'Al Qaïda jouit de la «compréhension» d'une partie de la population. «Certains Mauritaniens acceptent qu'Al Qaïda tue des civils. Cela leur paraît terrible. Mais ils se disent que comme les Occidentaux tuent des civils en Irak et en Afghanistan, Al Qaïda est habilité à faire la même chose ici. C'est un raisonnement odieux, mais il existe fréquemment» souligne Hassan, un universitaire mauritanien.
Un embryon de tourisme subsistait jusqu'a ces derniers jours sur l'axe Nouakchott Nouadhibou. Des Français descendaient le long de la côte atlantique en voiture, sur l'axe Tanger, Nouakchott Dakar. Très souvent, ils vendaient à leur arrivée en Afrique noire le véhicule qui les avait menés à bon port. Ainsi, ils voyageaient à l'économie.
A Nouakchott, l'on croise aussi quelques... retraités. Ils suivent la même route du soleil dans des campings cars. Ainsi l'on peut encore rencontrer quelques français porteurs de bérets noirs, jusque dans les cybers café de Nouakchott. Même si cet accoutrement n'est pas le meilleur moyen de passer inaperçu. Et d'échapper aux mailles d'Al Qaïda.
Tout cela pourrait prêter à sourire, si un autre retraité français ne venait pas de se faire capturer dans la région. Trois jours avant les Espagnols. Au Nord du Mali.
Selon les autorités mauritaniennes qui travaillent en étroites collaboration avec leurs collègues maliens, le «Français aurait été livré à Al Qaïda par des Maliens avec lesquels il avait un différend financier. Pour se débarrasser définitivement de lui, ses rivaux financiers l'auraient fait enlever dans son hôtel avant de se rendre dans le désert pour le revendre à Al Qaïda».
A la suite de cet enlèvement le quai d'Orsay a conseillé à tous les ressortissants français de quitter le Nord Mali. L'Afrique sahélienne dans son ensemble devient une zone de grande instabilité. Même Dakar n'est plus à l'abri d'une action d'Al Qaïda.
Les assassins des touristes français y avaient trouvé refuge. Persuadés qu'Al Qaïda disposent de bases à Dakar, les Occidentaux - notamment les Français- renforcent les mesures de sécurité a Dakar. Ils se disent que demain, Al Qaïda n'hésitera pas à frapper jusqu'au cœur du Sénégal.
Pierre Malet
Image de Une: Trois espagnols ont été enlevés en Mauritanie sur cette route Rafael Marchante / Reuters