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Le sport à la télé encourage-t-il la violence domestique?

Temps de lecture : 4 min

Oui, selon une récente étude américaine.

Un match de football américain, REUTERS/Mike Blake
Un match de football américain, REUTERS/Mike Blake

A la fin de la semaine, les familles américaines savoureront leur dinde annuelle. Dans de nombreux foyers, on passera directement à une autre tradition de Thanksgiving : allumer la télé pour voir des hommes en bastonner d'autres, à la limite du coma, sur un terrain de football.

Que ce rituel soit dangereux pour la santé des joueurs, c'est une évidence, mais selon une nouvelle étude du Bureau National de Recherches Économiques (National Bureau of Economic Research), regarder du football américain serait aussi risqué pour les supporters et leurs familles. Fondée sur les rapports de police sur la violence domestique entre 1995 et 2006, l'étude montre que lorsqu'un match de la National Football League (NFL) se termine par une défaite, la ville de l'équipe perdante connaît une recrudescence subite de violence domestique.

Deux principales écoles de pensée expliquent l'origine de la violence, et elles ne sont nullement incompatibles. De tels actes peuvent être le résultat d'années de tensions rentrées et qui finalement explosent. Ou elles peuvent être le fait d'un impulsif qui, dans un moment de colère, s'en prend à toute personne se trouvant à sa portée (la chose peut-être suivie de honte et de regret). Pour un amateur fanatique de football américain, une défaite douloureuse peut déclencher de tels moments de colère.

Violence sur partenaire intime

Pour évaluer la connexion entre football et violence, les économistes Gordon Dahl et David Card ont collecté les archives de 12 ans de matches de la NFL et les ont mis en regard avec des données concernant la «violence sur partenaire intime» du Système National de Report des Accidents (NIBRS). Les données du NIBRS, incluant des informations sur tous les crimes répertoriés par la police sont souvent seulement disponibles par État. Les chercheurs se sont donc concentrés sur des États où il n'y avait qu'une équipe locale, afin d'éviter la cacophonie de ce qui arrive, par exemple, en Californie quand les 49ers gagnent et que les Raiders perdent. Après avoir encore réduit leurs analyses aux États où les données criminelles étaient correctement archivées, les chercheurs se sont arrêtés à six équipes: les Carolina Panthers, les Denver Broncos, les Detroit Lions, les Kansas City Chiefs, les New England Patriots, et les Tennessee Titans.

Combien de souffrance la défaite d'une équipe procure-t-elle à ses supporters? Si la défaite est totalement prévisible, probablement pas beaucoup: cette année, chaque défaite des Lions de Détroit était attendue avec résignation. Au contraire, la défaite des Steelers, la semaine passée, avantagés par une marge de sept points devant les Bengals, a sans aucun doute ulcéré de nombreux supporters à Pittsburgh. Pour quantifier la rage des supporters, Card et Dahl se sont penchés sur les pronostics de Vegas, indiquant quelle équipe est favorite, et par combien de points sa victoire est attendue. Une défaite moins attendue signifie des supporters plus énervés. Le classement des équipes se fait avec un écart d'au moins trois points si l'équipe est favorite.

Selon Card et Dahl, pendant les dimanches de la saison normale, les pertes des équipes favorites - c'est-à-dire les défaites douloureuse - sont associées à une augmentation de 8% de la violence sur partenaire intime. (Par exemple, dans le Massachusetts et ses 6,5 millions d'habitants, la perte inattendue des Patriots un dimanche se traduit par 7 incidents supplémentaires). Ces cas supplémentaires ont lieu tout de suite après la fin du match - de 15 à 18 h pour des matches qui commencent à 13h, et de 18h à 21h pour ceux qui débutent à 16h -, ce qui renforce les arguments selon lesquels la rage d'après match est à blâmer. Les flambées de violence sont presque deux fois plus importantes lors de rencontres à fort potentiel émotionnel entre des rivaux traditionnels, comme celle, annuelle, entre les Bears et les Packers, idem pour des matches avec beaucoup de retournements et de pénalités.

Types de criminalité

Il est important de voir, cependant, que les résultats de Card et de Dahl n'impliquent pas nécessairement que le football américain augmente toute sorte de violence. Dans un travail précédent, Dahl, aux-côtés d'un économiste de Berkeley, Stefano della Vigna, avait trouvé que les occurrences de crimes violents diminuaient lors de la sortie de films assez gores tels Hannibal ou Scream 2. Leur argument: que les agresseurs putatifs passaient leur soirée au cinéma plutôt que dehors à se jeter sur les passants. Si la NFL possède aussi son lot de supporters violents, les matches empêchent des criminels potentiels de sortir dans la rue, au moins pendant quelques heures les dimanches après-midi. Il est possible, en bref, que le football augmente la violence domestique mais abaisse d'autres types de criminalité.

Et si la défaite d'une équipe peut causer de la violence, cela ne signifie pas que le football est la raison fondamentale des violences d'après match. Il est plus probable que la défaite ne fait que provoquer une agression qui se serait de toutes les façons produite. Dans un monde sans football américain, les actes violents ne seraient que repoussés, attendant qu'une autre source de colère les déclenche. Sur le long terme, au lieu de jeter la pierre au football, nous devrions plutôt nous concentrer sur les causes profondes encourageant les relations violentes.

Selon les récents travaux de l'économiste de Brown, Anna Aizer, il y a une autre possibilité. Dans une étude à paraître dans l'American Economic Review, Aizer montre que le niveau de revenu potentiel est lié à la violence conjugale. De telles violences baissent quand les salaires dans des secteurs dominés par des femmes - comme le secteur hospitalier -, montent par rapport à ceux dominés par les hommes (par exemple, le BTP). Pour Aizer, plus les femmes ont de revenus, plus elles se sentent assez fortes pour quitter des maris potentiellement violents, vu qu'elles sont moins dépendantes du salaire de l'homme pour vivre. (Les hommes sont aussi moins enclins à maltraiter quelqu'un qui fait bouillir la marmite). Donner un moyen aux femmes battues de s'extraire d'un foyer violent - par des foyers ou des allocations spécifiques -, permet aussi de s'échapper d'une violence imminente, et non pas seulement de la remettre à plus tard. Et, comme les hauts salaires, ces mesures rendront plus crédibles les menaces de départ, et les partenaires violents réfléchiront à deux fois avant de se lâcher de manière impulsive. Cependant, comme j'ai prévu de digérer ma dinde devant le football jeudi après-midi, je croise les doigts pour la victoire de Green Bay face à Détroit et j'espère - quelque-soit l'issue du match - que les supporters se rappelleront qu'il ne s'agit que d'un jeu.

Ray Fisman

Traduit par Peggy Sastre

Image de Une: Un match de football américain, REUTERS/Mike Blake

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