Santé / Égalités

Mais pourquoi les hommes peuvent-ils congeler leur sperme en cas de vasectomie?

Temps de lecture : 10 min

Pour les femmes, la congélation d’ovocytes (pour des raisons non médicales) ne peut se faire que dans le cadre du don d’ovocytes. Les hommes, eux, se voient aussi proposer cette possibilité en cas de stérilisation à visée contraceptive. Preuve que la société ne corrige pas les inégalités physiologiques et peut même les amplifier.

L’autoconservation d’ovocytes de «convenance» n’existe pas en France | Salvatore Barbera via Flickr CC License by

En France, l’âge moyen à l’accouchement est en constante augmentation. C’est l’Insee qui le dit: au 1er janvier 2016, il atteignait 30,5 ans, contre 29,8 dix ans plus tôt. Entre autres parce que le taux de fécondité des femmes de 40 ans ou plus augmente. Sans compter qu’il s’agit pour 26,4% d’entre elles en 2014 d’une première naissance. Et si cet âge auquel les femmes font des enfants ou du moins l’envisagent pose question, c’est pour des raisons physiologiques. En effet, la fertilité diminue avec l’âge –pas seulement pour les mères, les pères aussi sont concernés, plus tardivement et plus lentement, même si on en parle peu, entre autres parce que la parentalité est vue comme maternocentrée. On estime ainsi que, si une femme cherche à avoir un enfant vers 30 ans, elle a 75% de chances d’y parvenir en douze mois, contre 66% de chances si elle commence à 35 ans et 44% si elle débute à 40 ans. Le risque d’échec passe lui de 8% à 30 ans, 15% à 35 ans et 36% à 40 ans. En d’autres termes, à 30 ans, une femme sur 12,5 est stérile; à 35 ans, c’est une sur 6,7; et, à 40 ans, une sur 2,7. Ce qui peut aller de pair avec une diminution de la fécondité et donc avec des drames personnels et familiaux mais aussi causer à terme un problème démographique de non-renouvellement de la population. À moins que la médecine ne vienne renverser la donne.

Il est en effet possible d’offrir une solution technique à ces femmes qui attendent d’avoir une vie stable (amoureusement, financièrement…) pour élaborer un projet de grossesse: la congélation des ovocytes. Qui consiste à conserver dans de l’azote liquide à -196° C des gamètes. Sauf qu’en France cette possibilité n’est pas offerte à toutes les femmes. Et, pire, la loi, loin de vouloir gommer tant que possible les inégalités physiologiques entre femmes et hommes, vient en fait les renforcer. Car si, depuis 2004, la loi de bioéthique autorise la congélation des ovocytes et, depuis 2011, leur vitrification (congélation ultra-rapide) comme la congélation du sperme pour des raisons médicales (cancer, maladie auto-immune…), les possibilités (détournées) offertes aux hommes et aux femmes pour des raisons non médicales sont loin d’être identiques.

«Illusoire»

Certes, les donneurs de sperme n’ayant pas encore procréé, à l'instar des donneuses d’ovocytes nullipares, peuvent aujourd’hui conserver une partie des gamètes à leur bénéfice. C’est la révision de la loi de bioéthique en 2011 qui a ouvert cette possibilité. Mais, comme l’admet le professeur Louis Bujan, ancien président de la Fédération des Cecos, cette possibilité est «théorique» et même «illusoire» pour les femmes. La raison est double. D’abord, parce que, et c’est logique, «ce qui est privilégié, c’est le don et non la conservation pour soi». Ce qu’appuie la directrice de recherche au CNRS Dominique Mehl:

«La préservation ovocytaire est présentée comme un cadeau pour les donneuses mais elle est avant tout prévue pour inciter au don dans un contexte de pénurie.»

Ensuite, pour des raisons tenant à la nature des gamètes féminins: le nombre d’ovocytes matures recueilli par ponction après stimulation hormonale est en moyenne de 7,4. Or, d’après une étude menée sur 207.267 ovocytes recueillis entre 1992 et 2009 dans un centre bruxellois dans le cadre de fécondation in vitro, pour obtenir une naissance, il faut en moyenne vingt-deux ovocytes pour les femmes de 23 à 37 ans et cinquante-cinq après 38 ans. Pourtant, une seule ponction est réalisée dans le cas du don et la répartition des ovocytes entre le don et l’autoconservation a été fixée fin 2015 par un décret d’application puis un arrêté: si cinq ovocytes matures sont obtenus, alors tous sont destinés au don; si la ponction recueille six à dix ovocytes matures, au moins cinq sont donnés; et au-delà de dix ovocytes matures obtenus, au moins la moitié est consacrée au don. Au temps pour la conservation... «Ça paraissait une bonne et généreuse idée du législateur mais, dans la pratique, la loi s’est confrontée à son propre irréalisme, ainsi que l’arrêté et le décret en font prendre conscience», pointe Laurence Brunet, chercheuse associée à l’Institut des sciences juridique et philosophique de la Sorbonne et chargée de mission au Centre d’éthique clinique de l’APHP.

En bref, comme le résume Louis Bujan, qui est aussi directeur du pôle Médecine et biologie de la reproduction au Cecos Midi-Pyrénées (à l’hôpital toulousain Paule-de-Viguier), «il n’est pas impossible que des femmes se disent “je vais aller donner pour conserver pour moi” mais les chances sont très pauvres» d’un point de vue statistique. Tandis que le recueil de spermatozoïdes nécessite plusieurs recueils (le premier sert à analyser les caractéristiques du sperme et à déterminer le nombre de recueils au total, qui est en moyenne de quatre à cinq) et, comme le précise l’arrêté, «au-delà de trois recueils de sperme, un recueil peut être proposé en vue de la conservation au bénéfice du donneur n’ayant pas procréé si celui-ci le souhaite». Or un éjaculat «normal», entre 1,5 et 6 mL, contient plusieurs millions de spermatozoïdes. Cette possibilité détournée pour les femmes d’accéder à la vitrification ovocytaire ne vient donc pas gommer les disparités naturelles de fertilité entre les deux sexes.

Dossier d’information

Pire, la France ajoute à cette situation une particularité étonnante –que l’on peut entrevoir comme un traitement de faveur de la gent masculine. Bien que la conservation de gamètes soit prévue dans la loi, outre en vue du don, uniquement pour des raisons médicales, les hommes qui recourent volontairement à une vasectomie, soit une opération de stérilisation à visée contraceptive, se voient proposer une conservation du sperme. Les urologues doivent en effet informer leurs patients «des risques médicaux qu’[ils encourent] et des conséquences de l’intervention» ainsi que leur «remettre un dossier d’information écrit». Or, dans les faits, ce dossier d’information fait état de la possibilité de conserver au préalable du sperme. C’est ce qu’on retrouve dans la Fiche Info-Patient rédigée par l’Association française d’urologie en 2012, où il est écrit noir sur blanc qu’«il est possible de réaliser une autoconservation du sperme». Idem dans le Livret d’information «Stérilisation à visée contraceptive» du ministère de la Santé de 2015, dans lequel un paragraphe est intitulé «Conservation du sperme» et renvoie vers une annexe listant les centres spécialisés dans la conservation du sperme humain. «Dans la mesure où on doit l’aborder, on l’aborde», appuie la chirurgienne urologue Béatrice Cuzin, qui exerce au CHU de Lyon.

Théoriquement, les femmes effectuant une stérilisation tubaire pourraient demander une conservation des ovocytes

Louis Bujan, ancien président de la Fédération des Cecos

Historiquement, pointe le professeur Louis Bujan, également directeur du groupe de recherche en fertilité humaine à l’Université Paul-Sabatier, à Toulouse, cette possibilité offerte aux hommes a du sens: «Les urologues ont beaucoup poussé pour se couvrir légalement. Avant, dans les années 2000, lorsque la vasectomie était tolérée mais pas officiellement autorisée, ils ne pratiquaient l’opération que s’il y avait conservation du sperme.» En outre, comme le précise Béatrice Cuzin, «l’indication de vasectomie était souvent posée en raison d’une contre-indication à la contraception féminine, par exemple une femme qui avait eu un cancer du sein jeune et ne pouvait prendre une contraception hormonale». Il s’agissait alors d’atténuer l’irréversibilité de cette intervention, au cas où le couple changeait d’avis. Et c’est ainsi que la possibilité d’autoconservation de sperme est restée.

La chirurgienne urologue précise toutefois qu’elle n’insiste pas auprès des personnes qui ont déjà eu des enfants, seulement auprès des patients qui n’ont pas encore procréé:

«J’accepte de faire des vasectomies à des hommes qui n’ont pas eu d’enfants mais j’insiste sur le fait qu’ils gardent leur sperme congelé pendant cinq ans. Le consentement éclairé voudrait que les personnes assument leur décision [de stérilisation] mais ce n’est pas le cas en pratique. Il y a des regrets et je procède à trois à quatre vasovasostomies [c’est-à-dire des opérations des canaux déférents, qui ont été coupés ou obturés lors de la vasectomie] par an.»

Invasif

Ces «bonnes pratiques», même si elles ne sont pas inscrites explicitement dans la loi, n’en sont pas pour autant illégales. L’intervention chirurgicale qu’est la vasectomie remplit les conditions de l’article L2141-11 du Code de la Santé publique, où il est question de «prise en charge médicale […] susceptible d’altérer la fertilité». «La vasectomie peut être considérée comme un acte altérant la fertilité car, du reste, c’est son objectif. Cela répond tout à fait au texte de loi actuel sur les indications de la conservation», spécifie le professeur Bujan. Mais pourquoi alors ne propose-t-on pas aux femmes qui procèdent à une stérilisation tubaire de conserver leurs ovocytes alors que, comme pour la conservation du sperme avant vasectomie, cela n’est pas interdit par la loi, la pose du dispositif Essure pouvant elle aussi être considérée comme un procédé médical altérant la fertilité? Tout simplement parce que, techniquement, cela induit une procédure bien plus invasive.

Si, pour obtenir les gamètes masculins, il suffit aux hommes de se masturber –«le prélèvement de sperme, c’est ce que je dis aux étudiants, est l’acte le moins douloureux de la médecine si je peux m’exprimer ainsi», fait remarquer Louis Bujan–, pour les femmes, recueillir des gamètes nécessite comme pour le don d’ovocytes ou les FIV une stimulation ovarienne. Or cette stimulation n’est pas quelque chose d’anodin. En 2015, l’Agence de la biomédecine avait ainsi relevé 275 effets indésirables (graves à 92%) relatifs à la stimulation ovarienne: 213 cas de syndromes d’hyperstimulation ovarienne sévères avec hospitalisation d’au moins vingt-quatre heures, 14 cas d’accidents thromboemboliques. La ponction ovocytaire n’est pas non plus sans risque. Bien sûr, si c’était trop dangereux, le don ne serait pas proposé. Mais on ne peut qu’être d’accord avec le fait que la masturbation est bien plus anodine…

Les hommes peuvent préserver leurs capacités procréatives par "convenance" puisqu’il est admis qu’ils puissent avoir des remords, alors que les femmes n’ont pas le droit de prendre des précautions pour ne pas ensuite être rattrapées par leur horloge biologique

Laurence Brunet, chercheuse associée à l’Institut des sciences juridique et philosophique de la Sorbonne et chargée de mission au Centre d’éthique clinique de l’APHP

«Théoriquement, les femmes effectuant une stérilisation tubaire pourraient demander une conservation des ovocytes, poursuit l’ancien président de la Fédération des Cecos. Toutefois, lors de la pratique médicale sont mis en balance les bénéfices et les risques. Je ne suis pas certain qu’une équipe ferait une stimulation et une ponction ovarienne chez une femme faisant une stérilisation tubaire, et ce, d’autant plus qu’il faudrait éventuellement faire deux ponctions pour avoir suffisamment d’ovocytes pour ne pas être dans l’illusion.» Ce à quoi il faut ajouter une question de coûts, la procédure étant plus compliquée et donc plus chère, sans oublier que les ovocytes nécessitent une vitrification, soit une congélation rapide, et non une congélation lente, procédé qui suffit à congeler les spermatozoïdes. Et ce, souligne la juriste Laurence Brunet, alors qu’«il n’est pas sûr que les femmes y aient recours», puisqu’il est possible de vitrifier ses gamètes sans jamais les utiliser par la suite. Argument auquel elle rétorque par une pirouette: et si les ovocytes non utilisés étaient réorientés vers le don? «Est-ce que les femmes ne donneraient pas plus facilement leurs ovocytes vitrifiés en étant heureuses de ne pas y avoir eu recours?»

Précaution

En fait, plutôt que de réclamer une égalité de choix de conservation des gamètes en cas de stérilisation tubaire, il faut «se demander s’il n’est pas opportun de pratiquer la vitrification des ovocytes à la demande, comme cela existe dans plusieurs pays», note Dominique Mehl. C’est aussi ce qu’estime Laurence Brunet:

«La question, c’est: “Est-ce que par précaution on peut conserver ses gamètes?” Et il y a bien l’idée que pour les hommes il est possible de préserver leurs capacités procréatives par “convenance” puisqu’il est admis qu’ils puissent avoir des remords, alors que les femmes n’ont pas le droit de prendre des précautions pour ne pas ensuite être rattrapées par leur horloge biologique. Certes, la stérilité contre laquelle ils luttent n’est pas la même. Pour les femmes, elle est induite par l’âge. Pour les hommes, par une opération voulue. Mais on en revient à une question de choix personnels, de vie privée et de précaution dans les deux cas.»

C’est bien pour cela qu’en 2012 le Collège national des gynécologues et obstétriciens prônait une «autoconservation sociétale des ovocytes». Parmi les arguments qui «plaident en faveur de l’autoconservation ovocytaire», était listé le fait que cette possibilité soit offerte aux hommes dans le cas de la vasectomie:

«L’autoconservation de convenance est possible pour les hommes. Il n'y a pas de raison particulière pour que cela ne soit pas autorisé aux femmes. Il ne serait pas admissible, comme la loi le prévoit pourtant, de limiter la possibilité d'autoconservation aux seules femmes qui accepteraient de donner une partie de leurs ovocytes. Un tel chantage nous paraît éthiquement inacceptable.»

Et pourtant ce «chantage» perdure encore en 2017. «La frilosité de voir les femmes reprendre le contrôle de leur maternité jusqu’à un âge avancé» pourrait bien s’expliquer par des raisons essentiellement non médicales, juge le docteur Miguel Jean, responsable du Conseil interdisciplinaire d’éthique du CHU de Nantes: «C’est une forme de gestion paternaliste de la procréation. Doit-on fixer des limites à la liberté procréative des femmes? Et si on répond oui à cette question, qui est légitime pour fixer ces limites? Le législateur? Les médecins? Ou les femmes elles-mêmes?» Jusqu’à présent, les médecins en faveur de l’ouverture de la vitrification d’ovocytes à toutes les femmes ne se sont pas fait entendre. Les femmes, encore moins. Celles qui peuvent se le permettre vont à l’étranger, en Espagne par exemple. Les autres continuent de voir, injustement, les différences de fonctionnement ovarien et testiculaires être amplifiées par la société.

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