France

Ce document montre comment Marine recycle Le Pen

Temps de lecture : 5 min

Il y a un an, la candidate frontiste dévoilait son premier slogan de campagne, «La France apaisée», dont on apprend aujourd'hui qu'il avait été suggéré à son père dix ans plus tôt. La preuve que, loin de l'image d'un néo-FN qui n'aurait plus du lepénisme que le nom, ce n'est pas tant son parti qui a changé en dix ans que le pays.

Expliquer, convaincre, c'est utiliser mille fois les mêmes mots. Cela vaut en politique, y compris quand on se fait fort de représenter quelque chose de nouveau. C'est le cas de Marine Le Pen, puissante dans les sondages, omniprésente dans les médias. Il y a trente ans, son père disait que «la politique, c'est l'art de la répétition», et que, pour faire un message, il fallait user de symboles parlant aux imaginaires. Sa fille répète ce qu'elle dit, ce qu'il a dit, ce qui se dit, dans la forme comme dans le fond.

Unifier

Mardi 28 février, la candidate visite le Salon de l'Agriculture. Elle lance à un interlocuteur «Tenez-bon, on arrive!». C'était là l'un des slogans du Front national à l'époque de Bruno Mégret, juste avant la scission de la fin des années 1990.

Mieux, la veille, au Mont Saint-Michel, elle proclame: «Je veux faire de la France une nation de cœur, une communauté de solidarité entre Français, une communauté de destin comme si un seul cœur battait dans 66 millions de poitrines.» Tout est là. La forme emprunte à son discours de la dernière université d'été, quand elle déclarait: «Un peuple c’est un seul cœur qui bat dans des millions de poitrines, c’est un même souffle, une même espérance». Le fond est celui qu'elle récuse, mais auquel il faut bien admettre que des pans entiers de la société française souscrivent aujourd'hui: c'est une vision organiciste de la société. Un culte du «nous» solide, compact, ne formant qu'un corps: c'est là le cœur idéologique de la vision du monde de tous les courants des extrêmes droites. Pour un courant auquel Marine Le Pen et le FN n'appartiennent pas, c'est ce que disait Robert Brasillach du fascisme, le définissant ainsi: «C’est l’esprit même de l’amitié, dont nous aurions voulu qu’il s’élevât jusqu’à l’amitié nationale.»

Chez les opposants aux extrêmes droites, cela est souvent incompris. Ils ne veulent y voir qu'une idéologie de l'exclusion, en refusant de comprendre que c'est l'articulation entre l'altérophobie (le rejet de l'autre) et l'autophilie (le culte du «nous») qui structure l'offre politique d'extrême droite et peut la rendre désirable à des milliers d'individus. Comme ils ne voient du fascisme que l'huile de ricin, la matraque et les bottes cirées, ils pensent qu'il se réduit à cela. Comme ils ne voient du lepénisme que les saillies altérophobes, ils s'écrient que des millions de Français veulent s'enfermer. Comprendre la pulsion de l'attraction de l'organicisme est complexe pour des libéraux, au sens classique du terme de partisans de la liberté et de l'autonomie individuelle. Mais sans cela, on ne comprend pas les dynamiques à l’œuvre.

Faire du neuf avec du vieux

Or, dans la grande entreprise de répétition à l’œuvre, il s'avère que l'on trouve bien des jeux qui ont à y voir. Bien des médias et des pseudos-intellectuels ont chanté à quel point Marine Le Pen représentait une sortie de l'extrême droite, un néo-FN qui n'aurait plus du lepénisme que le nom. Quand on observe le programme de 2017 de la candidate, on s'aperçoit qu'on y retrouve bien des strates des programmes antérieurs, dites différemment. La comparaison est particulièrement intéressante avec 2007, la dernière campagne présidentielle de Jean-Marie Le Pen, dont Marine Le Pen était la directrice stratégique, pour un score décevant à la clef (10,44%).

Certes, le concept central n'est plus le choc démographique, mais la reconquête de la souveraineté. Celle-ci est aussi nationale que populaire, avec une insistance sur le référendum, l'adoption de la proportionnelle et la notion de proximité. Ce sont là des principes de longue date du FN, la notion de VIe République étant d'importance dans la campagne présidentielle de 1988 de Jean-Marie Le Pen, celle de République référendaire étant au cœur de sa campagne de 2002, et trouvant son origine dans l'extrême droite française de la fin du XIXe siècle.

De même, on retrouve dans le programme de 2017 la notion de liberté de choix de l'inscription en école publique ou privée, mais elle n'est pas intégrée à des conceptions natalistes comme en 2007, mais à la page «Refaire de la France un pays de libertés». Même chose pour la revendication nationale-populiste classique de «liberté syndicale» remplaçant l'actuel système représentatif, qui en 2007 figurait dans le chapitre «Social: unir les Français», dont l'intitulé même était idéologiquement fort marqué. En 2017, l'angle est rigoureusement néo-populiste, puisque ces passages sont ici amalgamés avec la défense des libertés numériques (avec la proposition d'une licence globale) ou celles des femmes contre l'islamisme.

Le souverainisme intégral proposé par le programme 2017 fuit ainsi tout ce qui relève des régimes d'extrême droite, mais c'est pour proposer une gouvernance d'extrême droite. Le remplacement du slogan «La France apaisée», choisi pour le lancement de la campagne début 2016, par celui de «Remettre la France en ordre en cinq ans» est tout à fait adapté et adéquat. Pour autant, là aussi, cette première idée, qui transparaît encore dans certains discours de campagne comme celui du Mont Saint-Michel, venait de loin.

Les slogans des Le Pen

L'ordre et l'apaisement. La radicalité anti-système et la normalisation. L'altérophobie et l'autophilie. Voilà l'alchimie gagnante de la dynamique. Elle n'est pas sorti de la cuisse de Florian Philippot. L'hebdomadaire Minute en date du 1er mars publie un article qui révèle comment le slogan «La France apaisée» avait été proposé en 2007 à Jean-Marie Le Pen par Hubert de Mesmay, élu frontiste qui a depuis rendu sa carte par désaccord avec l'évolution du parti. Hélas, l'hebdomadaire ne publie pas le document. Le voici reproduit ci-dessous, expliquant à l'époque comment un «clin d'œil» à la célèbre affiche «La force tranquille» serait susceptible de «rassurer les Français».

Concilier l'ordre et rassurer. Atténuer la dureté, pour préserver le fond. On le voit, tout y est. La France apaisée c'est, pour beaucoup d'électeurs de 2017, avoir leur ville avec plus d'ordre, de sécurité, et plus ethniquement homogène.

LCI a quant à elle repéré comment le clip de campagne de Marine Le Pen ressemblait à celui de son père en 2007. Dans le fond comme dans la forme, ce n'est pas tant le FN qui a changé entre 2007 et 2017, même si de vraies modifications existent.

La paix et l'épée

Ce qui a le plus changé, c'est nous. La société que nous sommes. La façon dont nous nous regardons dans le miroir que nous tendent les Le Pen. La manière dont, face aux divisions, face aux craintes de fragmentation, nous aspirons à faire corps de manière unitaire. Ce désir de rassemblement pourrait s'exprimer dans «l'esprit du 11 janvier». Mais le rejet de la société multi-ethnique et de l'immigration sont tels, et la demande autoritaire si prégnante, que le mouvement soutient puissamment le FN –les insiders de la globalisation trouvant quant à eux en Emmanuel Macron une formulation ouverte de ce désir de rassemblement.

Le problème est que nous ne pouvons avoir ensemble l'ordre et la paix. Quand, le week-end dernier, Marine Le Pen menaçait les fonctionnaires, elle rappelait qu'elle voulait un État idéologiquement normé, et ainsi, malgré elle, comment la colère et l'autoritarisme sont les traits structurants du caractère d'extrême droite. Même chose quand, durant le mouvement social contre la loi Travail, elle nous disait qu'il fallait interdire les manifestations durant l’État d'urgence –c'est-à-dire que, depuis novembre 2015, la concorde serait obligatoire...

L'extrême droite veut l'unité, mais elle porte la conflictualité comme la nuée l'orage. Jadis, pour rendre hommage à ses anciens numéros deux issus des rangs activistes, François Duprat et Jean-Pierre Stirbois, Jean-Marie Le Pen, par deux fois, a repris une phrase de Brasillach citant l’Évangile, afin de certifier que les militants d'honneur du FN «n'apportaient pas la paix mais l'épée».

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