Culture

Comment s'éduquer au cinéma aujourd'hui?

Temps de lecture : 8 min

Alors que le grand chantier de l'enseignement artistique est loin d'avoir produit les effets espérés, l'activisme de terrain des enseignants en cinéma et des associations trouve des relais féconds sur la toile.

La page d'accueil du site Upopi
La page d'accueil du site Upopi

On ne pourra en tout cas pas reprocher aux candidats à la présidentielle de soûler leurs auditoires avec des propositions en matière de politique culturelle. Après avoir tenu un rôle important dans les discours et dans les actes des responsables politiques durant les années 1980-2005, l’action publique dans le domaine des arts n’a cessé de s’estomper pour ne devenir depuis dix ans qu’une variable d’ajustement des restrictions budgétaires.

Cette quasi disparition, concernant un secteur producteur de richesses aussi financières (83,6 milliards d’euros) et qui est un important bassin d’emploi (1,3 million), selon un récent rapport, était déjà perceptible lors de la précédente campagne. Pourtant, le candidat François Hollande avait inscrit une question de culture dans ses «grands chantiers», l’éducation artistique.

Malgré un geste législatif et budgétaire, le moins qu’on puisse dire est qu’en la matière, on n’a pas assisté à des développements spectaculaires au cours du quinquennat. Il serait injuste de prétendre que rien n’a été fait, comme l’atteste un récent rapport parlementaire. Mais, tout ce quinquennat et ses impasses en témoignent dramatiquement: une politique ce n’est pas qu’une série de mesures techniques. C'est un discours, un engagement, un élan. De ce côté, le bilan est maigre, et surtout invisible.

Les élèves de la terminale option cinéma du Lycée Frédéric Mistral d'Avignon en plein tournage. (Photo P. Bastit)

Et l’annonce d’un programme ambitieux en la matière par trois ministres (Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Audrey Azoulay, ministre de la Culture et de la Communication, et Patrick Kanner, ministre de la Ville, de la Jeunesse et des Sports) en conseil des ministres du 1er février 2017 apparaît pour le moins tardive.

Pourtant, des pratiques d’enseignement artistiques innovantes, passionnantes, diversifiées sont repérable sur le terrain. C’est notamment le cas des enseignements du cinéma à l’école («l’école» désignant ici l’ensemble du parcours scolaire, de la maternelle à la terminale). En précisant qu’il s’agit bien ici de cinéma, et non pas de «l’image», notion fourre-tout, paresseuse et dangereuse, comme le dénonce à juste titre un des nombreux acteurs de ce domaine, l’association Plan Libre Cinéma.


Les grands dispositifs

Les principaux dispositifs en matière de présence du cinéma dans le monde scolaire restent École et cinéma, Collège au cinéma et Lycéens et apprentis au cinéma coordonnés par le Centre national du cinéma (CNC), l’Éducation nationale et les collectivités territoriales.

Le dispositif qui s’adresse aux plus jeunes (maternelle et école communale) est mis en œuvre sur le terrain par l’association Les Enfants de cinéma, qui vient de faire paraître un impressionnant bilan de vingt ans d’action, École au cinéma 1995-2015.

Une des principales figures de ce dispositif, Carole Desbarats, y rappelle les enjeux de la présence du du cinéma au sein de l’école:

«Le cinéma n’a pas à être défendu contre la télévision ou la littérature. Il a être revendiqué parce que partie prenante des humanités modernes (…) [en l’absence d’éducation au cinéma] on condamne ceux qui ne sont pas des héritiers à ne voir que des produits industriels, à être abreuvés de junkfilm comme l’industrie agro-alimentaire les abreuve de junkfood

Un tel discours combattif s’adresse aussi bien aux autorités académiques (rectorat, inspection, rédacteurs des programmes) qu’aux proviseurs mais aussi aux enseignants, loin d'être tous conquis, et aux parents.

La place réelle et la dynamique du cinéma au sein des dispositifs scolaires repose en effet encore très largement sur l’engagement personnel, au-delà des exigences minimum de métiers dont on sait par ailleurs les contraintes considérables.

Cette place, elle est d’autant plus forte que sont activés au mieux les relations du milieu scolaire avec le monde du cinéma, à la fois par la fréquentation des salles –fréquentation fragilisée, comme toutes les sorties des établissements, par les mesures de sécurité post-attentats– et la présence de professionnels accompagnant les élèves dans des pratiques liées au cinéma, de l’écriture de scénario au tournage, au montage et au mixage.

Le web à la rescousse

À l’ensemble de ces dispositifs, destinés en principe à tous les établissements scolaires, il faut ajouter des parcours plus spécialisés, notamment en vue du Bac L option cinéma et audiovisuel.

Ce maillage largement appuyé sur l’engagement des enseignants qui le mettent en œuvre compte désormais, outre les structures existantes, d’importants relais en ligne. Parmi les très nombreuses ressources concernant le cinéma sur internet, celles plus spécialement dédiées à l’enseignement occupent une place croissante.

Elles visent à la fois à faciliter le travail des enseignants et des élèves, pour associer davantage de professionnels, et à étendre la visibilité, l’accessibilité et l’attractivité du pensé comme source de connaissances, de découvertes et de plaisirs.

Le site pédagogique de l’Éducation nationale, Eduscol, consacre depuis fin 2016 un espace dédié au cinéma. Si le graphisme souffre de l’esthétique pas très funky des portails de l’administration, les ressources mises en partage sont de qualité, de Charlot à Satyajit Ray, d’un cours en ligne à une conférence enregistrée à la Cinémathèque française, ou aux informations factuelles sur les diverses formations.

Nettement plus ludique, et sans renvoi visible à l’univers scolaire quoiqu’entièrement conçu dans une perspective pédagogique, Upopi (pour Université populaire des images) propose entre autres des outils en ligne d’expérimentation de gestes cinématographiques, aussi bien que des tutoriels et des formes courtes d’enseignement sur des thèmes et des œuvres très variés.

Des tout petits aux ados

S ‘adressant aux enfants de 2 à 11 ans, Benshi s’appuie sur l’actualité des sorties, et propose des parcours thématiques (sur la musique, les chats, les genres…). Le site est réalisé par un groupe de passionnés, directement issus de cet activisme de terrain qui, dans les salles Art et Essai coutumières de programmation «jeunes publics», dans des associations ou des organes pédagogiques, travaillent à la rencontre entre les films et les enfants.

Autre proposition s’adressant aux tout petits, les Ciné-jeux font partie de l’offre du Forum des images à Paris, dont les programmes jeunes publics ont la particularité de s’adresser aux enfants dès… 18 mois.

Autre grande institution parisienne, la Cinémathèque française a également son offre jeune public , et ouvrira le 29 mars l’exposition Môme et Cie. Elle a vocation à mettre en valeur les multiples activités pérennes de la maison, comme les ateliers, ou le programme Cinéma cent ans de jeunesse, auquel on doit d’excellentes publications coéditées avec Actes Sud, a lui aussi créé son site, dont une des particularités est d’être connecté à des expériences pédagogiques dans une quinzaine d’autres pays, Allemagne, Brésil, Inde, Portugal, Bulgarie, Finlande…

Dans les salles comme dans les institutions, les programmations destinées aux jeunes, pendant et hors temps scolaires, sont évidemment aussi très présentes en régions –par exemple à L’Institut Lumière à Lyon. Upopi est ainsi une émanation du Ciclic, agence de la Région Centre-Val de Loire, tandis que le site de 100 ans de cinéma est réalisé avec le très dynamique Pôle régional d’éducation à l’image Le Lux de Valence. Celui-ci a également mis en place un excellent site de ressources, transmettrelecinema.

On peut en revanche s’interroger sur ce qu'il adviendra du principal dispositif national de rencontre entre les jeunes et le cinéma hors temps scolaire, Passeurs d’image, qui a fait pendant vingt-cinq ans un travail remarquable notamment dans les cités: le retrait de l’association qui a porté le dispositif durant tout ce temps, Kyrnea, laisse en effet planer l’incertitude sur un avenir confié à des entités territoriales dont on connaît par ailleurs les difficultés de financement croissantes, et où ces enjeux sont loin d’être toujours tenus pour importants.

Nanouk, aujourd'hui et demain

Parmi les sites, il faut faire une place à part à Nanouk, mis en place par Les Enfants de cinéma. Le site a en effet la particularité de posséder une partie dédiée aux enseignants (sur la base de leur adresse e-mail de l’éducation nationale), une partie dédiée aux usages à l’école même par les élèves, et une partie conçue à l’intention des familles (pour l’heure encore embryonnaire).

Une des ressources essentielles offertes par ce site est de rendre accessibles en ligne les devenus fameux «cahiers verts» (dont le nom officiel est Carnet de notes sur...), documents pédagogiques consacrés chacun à un film, et recelant de véritables trésors en terme d’analyse de chacun des quelque 100 films qui ont fait partie du dispositif.

Le cinéma, moins les films

Aujourd’hui, les propositions d’exploration et d’apprentissage du et avec le cinéma sur internet sont considérables. Il ne manque… que les films eux-mêmes. Leur présence sur les sites fait l’objet d’un débat complexe.

Il se pose, évidemment, un problème de droits. Mais pas seulement: l’enseignement du cinéma passe toujours par la rencontre des films en salles, même avec les compléments indispensables qu’offrent les autres supports. Cela avait été le rôle de la très regrettée collection de DVD pédagogiques (avec les films!) Eden Cinéma –même si on trouve certaines ressources très utiles sur le site de l’organe de documentation de l’Éducation nationale, Canopé.

Inventer pour demain les meilleurs usages des ressources en ligne tout en gardant l’expérience de la salle, pour les élèves-spectateurs, et aussi les ressources que la venue des scolaires représente pour les cinémas indépendants qui les accueillent, est un des principaux défis pour les prochaines années. Pas sûr que cette question figure sur l’agenda de beaucoup de responsables présents ou futurs.

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