L'approche des fêtes de fin d'année est toujours propice aux bras de fer qui prennent le consommateur en otage. Surtout dans les transports. Les pilotes s'y sont déjà essayés, ainsi que les cheminots. Les routiers également, salariés ou patronat du secteur, renouent avec cette stratégie. Cette année, alors que les négociations sur les revalorisations salariales sont au point mort entre les syndicats de conducteurs et les fédérations patronales, les premiers menacent de blocages à partir du 13 décembre et pour une durée indéterminée.
Les routiers n'avancent pas masqués. Ils brandissent la menace d'un torpillage des fêtes en empêchant les agapes par faute d'approvisionnement. Tant pis pour les foyers qui projetaient d'oublier la crise à Noël, tant pis aussi pour les professions - notamment de l'agroalimentaire- qui réalisent une part de leur chiffre d'affaires déterminante pour leur survie à cette occasion. Alors, les routiers oseront-ils vraiment enrayer la mécanique de Noël?
Patrons du secteur et conducteurs salariés ont un objectif commun: contraindre l'Etat à entrer dans la boucle des négociations. Celles-ci s'inscrivent pourtant dans un cadre paritaire où la puissance publique n'a pas sa place. Mais les uns et les autres savent que si des grèves venaient pourrir les fêtes des Français parce que le gouvernement aurait laissé s'étendre le conflit, celui-ci serait la cible de toutes les colères et le premier perdant du bras de fer. Le message a d'ailleurs été entendu: Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat aux Transports, a déjà fixé un calendrier de rencontres.
En réalité, les salariés sont moins directement intéressés par cette intervention de l'Etat que les chefs d'entreprises. Depuis 2007 et le Grenelle de l'Environnement, ces-derniers supportent difficilement le discours des pouvoirs publics. Ils estiment être sacrifiés à la cause du développement durable au bénéfice de modes de transport moins émetteurs de CO2 (chemin de fer et fluvial). Ils s'inquiètent des reports de trafic de la route vers ces autres modes (bien que les précédentes tentatives pour opérer un rééquilibrage aient toutes échoué). Et ils sont vent debout contre les «taxes vertes» qui les visent. A commencer par l'écotaxe (bien qu'elle ait une dimension européenne) et la taxe carbone qui doit s'appliquer dès 2010.
L'écotaxe (qui doit rapporter environ 1 milliard d'euros à l'horizon 2012... en théorie) doit mettre fin à la gratuité de l'utilisation des grands axes routiers (hors autoroutes). Toutefois, il ne s'agit pas d'une charge sans compensation. Le gouvernement a déjà prévu une baisse de la taxe à l'essieu. Mais les transporteurs des régions les plus excentrées de l'Hexagone, et les plus éloignées des grands centres de consommation, dénoncent une perte de compétitivité pour eux-mêmes et toutes les entreprises des régions concernées. Aussi, des allègements de l'écotaxe ont été concédés, comme pour la Bretagne. Ce qui pousse les professionnels d'autres régions à monter au créneau pour bénéficier des mêmes dispositions.
Concernant la taxe carbone, les routiers n'apprécient pas que des mesures conservatoires aient été décidées pour les agriculteurs et les marins pêcheurs, et qu'ils n'en profitent pas. Certes, le gouvernement s'est engagé à veiller à ce que les clients du transport paient, au final, cette taxe - en l'identifiant clairement sur les factures. Mais les routiers n'y croient guère. Lorsque leurs clients font jouer la concurrence et procèdent par appels d'offres en privilégiant le «moins -disant», les théories sur les transferts de charges n'existent plus. C'est notamment le cas dans les appels d'offres de la grande distribution, accusée de raboter tous les éléments de facturation et de laminer les marges de leurs transporteurs. Dans le face à face, le prestataire routier baisse les bras. Si en plus la taxe carbone vient compliquer la négociation...
Dans ces conditions, en laissant monter la pression, les fédérations patronales du transport routier (FNTR et TLF) comptent bien mettre le gouvernement le dos au mur pour l'obliger à céder sur la fiscalité, afin qu'elles-mêmes lâchent du lest sur les salaires de conducteurs. Pour que ceux-ci, en renonçant au blocage, éteignent la mèche.
Les salariés, en l'occurrence, font le jeu du patronat. En obligeant l'Etat à entrer dans la boucle, les routiers créent une situation dans laquelle tout le monde se tient par la barbichette.
On peut aussi supposer que, voulant pousser leur avantage à proximité des fêtes, ces fédérations patronales se rappellent au bon souvenir du parti de la majorité. Elles souffrent d'une désaffection de leurs membres qui les trouvent trop complaisantes à l'égard des pouvoirs publics jugés trop prompts, selon eux, à porter atteinte à l'image du transport routier. En durcissant leurs positions voire en se radicalisant, ces fédérations comptent bien ramener à elles des entreprises qui s'en éloignent. Et en même temps manifester le danger pour le parti de la majorité de tourner le dos à des chefs d'entreprises qui, pour la plupart, sont toujours des grognards de la droite.
Ajoutons à cela la concurrence que se livrent ces fédérations pour revendiquer la plus forte influence à l'intérieur de la profession... et le cocktail est parfait pour que la pression atteigne vite un niveau maximum. D'où la réaction rapide de Dominique Bussereau sans chercher à laisser pourrir la situation.
Gilles Bridier
Image de Une: Des routiers bloquant une autoroute Reuters