Culture

Michael Crichton et la règle du micro-pénis

Temps de lecture : 3 min

Ou comment un auteur climato-sceptique houspillé par la critique prend sa revanche.

Michael Crichton et le producteur John Wells, le 22 janvier 2005 à Culver City en Californie | Kevin Winter / AFP
Michael Crichton et le producteur John Wells, le 22 janvier 2005 à Culver City en Californie | Kevin Winter / AFP

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Il y a ceux qui pensent que toute critique permet à l’art d’exister –«Il n’y a pas de mauvaise publicité». Ceux qui refusent de la lire: «Publier un livre et puis lire les critiques est pernicieux. S’ils n’ont pas compris, cela vous met en rage ; s’ils ont compris vous lisez juste quelque chose que vous savez déjà et ce n’est pas bon pour vous. Pas aussi mauvais que de boire du Strega, mais pas loin», écrivait Hemingway à Bernard Berenson en 1952. Et puis il y a ceux qui ont du mal à encaisser la mauvaise critique. Dans cette dernière catégorie, il y a deux types d’auteurs: les hypersensibles, et les revanchards. Lorsqu’Alice Hoffman épingle son roman Un week-end dans le Michigan dans les colonnes du New York Times, Richard Ford achète le dernier livre d’Hoffman pour y tirer plusieurs ballesMa femme a tiré la première»). Ford est du genre hypersensible. Crichton est, quant à lui, plutôt revanchard.

Michael Crichton fait partie de ces écrivains qui le sont devenus pour payer les factures. Il commença, à la fin des années 60, par écrire des romans de science-fiction pour financer ses études de médecine. Il est devenu tellement bon dans ce domaine –le prix Edgar Allan Poe lui a été attribué en 1969– qu’il a fini par y consacrer tout son temps. Aujourd’hui, Crichton est reconnu comme un architecte du techno-thriller. La littérature (et Steven Spielberg) lui doivent entre autres Jurassic Park et Le Monde perdu. Il n’est pas loin, d’ailleurs, de faire partie de la liste des auteurs qui ont prédit le futur, avec l’éventuel retour du mammouth laineux. Ses études de médecine lui ont même permis de créer la série Urgences, après avoir écrit le film Mondwest devenu en 2016 une série télévisée HBO: Westworld. Si la plupart des écrivains ne voudraient pas être Michael Crichton, ils lui envient sûrement au moins sa réussite.

En 2005, l’écrivain sort un roman climato-sceptique intitulé Etat d’urgence. 646 pages qui agacent la communauté scientifique. Les fausses informations et autres petits arrangements littéraires sur le réchauffement climatique auraient pu passer au nom de la fiction si Crichton n’était pas intervenu peu de temps après en tant qu’expert devant une commission du Sénat américain. L’auteur n’est pas climatologue, et ça se voit. Dans le journal New Republic, un article parle du livre comme d’un outil de propagande anti-intellectuelle qui correspond bien au gouvernement Bush. Cet article est signé Michael Crowley.

Un détail physique pas anodin

Michael Crichton aurait pu hausser des épaules. Il aurait pu demander un droit de réponse. Il aurait pu critiquer à son tour le papier de Crowley dans ses interviews ou conférences. Il en a décidé autrement.

L’année suivante, l’auteur publie un nouveau livre, Next. A l’intérieur, les lecteurs découvrent alors un personnage abject: un pédophile doté d’un micro-pénis qui se nomme… Mick Crowley. Comme son homonyme, Mick Crowley est un journaliste d’une trentaine d’années, diplômé de Yale et qui habite à Washington. C’est peut-être parce que Crichton ne supportait pas de voir son archnemesis porter le même prénom que lui qu’il a choisi le diminutif de Mick. Ce n’était pas, en tout cas, pour des raisons juridiques. Car le détail physique attribué au personnage n’est pas anodin. Il s’agit de la «règle du micro-pénis».

La règle du micro-pénis est une tactique employée par les auteurs pour éviter les procès en diffamation. Révélée pour la première fois en 1998 dans le New York Times par Maître Friedman, elle consiste à pourvoir le personnage d’un petit sexe car, explique l’avocat, «Aucun homme ne va arriver en disant: «Dites donc, ce personnage avec un micro-pénis, c’est moi!».

Mais le véritable Michael Crowley assume. Sans aller jusqu’à porter plainte contre Crichton, il s’exprime librement sur le sujet: «Je suis victime d’un délit de fuite littéraire». Il se dit «étrangement flatté» par ses quinze minutes de gloire. En fait, il sait qu’il a touché là où ça fait mal:

«Je vais vous dire pourquoi. Il y a un corollaire à la règle du petit zizi, que nous pouvons appeler la règle du petit homme: si une personne offre une critique constructive à un auteur et que cet auteur répond à tapant sous la ceinture… il reconnaît alors que la critique était juste.»

Michael Crichton n’a jamais commenté son méfait. Il est décédé en 2008.

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