Depuis quelques années, le mouvement sida s'est assoupi depuis que les nouvelles avancées thérapeutiques ne cessent d'améliorer la santé des personnes séropositives qui y ont accès. C'est sûrement le cas aux États-Unis ou en France, les deux pays où les programmes de PreP, en prévention du VIH, sont les plus avancés. Mais l'élection de Donald Trump a réveillé une communauté affolée à l'idée que les droits acquis puissent être remis en question. En quelques mois, l'ambiance est passée de la mobilisation à la résistance et fusionne désormais avec toutes les forces qui s'unissent à travers le pays, comme l'a si bien montré l'immense mobilisation lors de la Women's March à Washington en janvier.
Tout a même commencé avant les élections américaines. Sur Facebook, les leaders historiques de la lutte contre le sida, souvent issus d'ACT UP, se sont mobilisés au fur et à mesure que les sondages suggéraient que Trump allait l'emporter. Parmi eux, beaucoup de supporters de Bernie Sanders, pas vraiment fans d'Hillary Clinton –mais cette dernière était bien la seule à faire barrage aux idées les plus réactionnaires du Parti républicain. Les messages étaient alors désespérés, rappelant les échanges guerriers que l'on a entendus lors du débat sur le Brexit en Angleterre. Pro et anti Clinton s'affrontaient directement, personnellement. Quand Donald Trump a été élu, ces militants étaient KO. Un article a résumé ce choc: «Il est temps de paniquer: c'est comme le début du sida à nouveau». La mobilisation était lancée.
La transversalité des luttes
En décembre dernier, un article publié sur la version américaine de Slate comment le mouvement sida a donné naissance à la résistance contre Trump. En effet, les premières réunions d'appel à la résistance ont été à l'initiative d'anciens membres d'ACT UP mais partout à travers les États-Unis, de telles réunions étaient en cours. Et la Women's March sur Washington du 21 janvier dernier, même si elle a bénéficié du soutien actif de la communauté LGBT et sida, avait déjà son comité d'organisation. Le succès de cette marche et de toutes les manifestations qui se sont multipliées à travers le pays et dans le reste du monde réside dans la transversalité des luttes. Droits des femmes, droits LGBT, inégalités raciales, environnement, combats sociaux, tout a conflué vers un mouvement qui déborde largement de l'histoire d'ACT UP. Il faut donc remettre les choses à leur place: la communauté sida possède une longue histoire de lutte depuis trente ans, mais la protestation face à Trump est multi-générationnelle et largement dominée par les femmes.
Pourtant, le noyau des anciens militants a réussi à réveiller une communauté endormie. Peter Staley, Michelangelo Signorile, Andrew Sullivan, Larry Kramer, Gregg Gonsalves, Gerard Koskovich, Vincent Gagliostro, tous ceux qui sont encore crédibles dans le combat contre le sida sont en première ligne. Des mémos sur les modes d'action d'ACT UP apparaissent pour les activistes anti-Trup. Des vidéos expliquent comment rebondir après un backlash politique (Resist : How to Triumph in Trumpland). Et les grands médias encouragent cette mobilisation comme un signe de la sincérité de son engagement. Le New Yorker admire l'unité qui s'est formée après la fusillade d'Orlando et qui s'est manifestée lors d'une manif à Manhattan devant le Stonewall Inn, lieu historique du début du mouvement gay. Le 13 février dernier, le New York Times disait que le pouvoir de la perturbation fédérait tous les exemples de rébellion américaine comme ACT UP, Occupy Wall Street, Black Lives Matter et le mouvement des Amérindiens à Standing Rock. Il y a 6 jours, le New York Times célébrait encore ce rassemblement de tous les activistes contre un seul ennemi: Trump.
Après plus d'une décennie concentrée sur le mariage gay, la mobilisation actuelle inclue toutes les minorités ethniques et sexuelles. La lutte contre le racisme est devenue centrale, répondant au décret anti-musulman de Trump. Les militants sida ont largement salué la mobilisation des bodegas yéménites de Brooklyn qui ont protesté contre la même directive. C'est donc une coalition rarement vue dans l'histoire récente des Etats-Unis qui se met en place avec pour objectif une stratégie de l'impeachment comme l'expliquait il y a trois jours, Nicholas Kristoff dans «Comment nous pouvons nous débarrasser de Trump».
Un tel mouvement serait-il possible en France?
L'élection présidentielle française n'a pas encore officiellement commencé donc le choc lié à une éventuelle présidence de Marine Le Pen ou François Fillon n'existe pas. Mais l'inquiétude est grande dans la communauté LGBT. Pour l'instant, on en est à répondre, cas par cas, aux errances de Macron sur les «humiliations» commises par le mariage gay ou le programme social de François Fillon. Mais il est clair que les associations LGBT ou de lutte contre le sida sont loin d'une approche aussi transversale que celles des groupes américains. Quel est le chainon manquant? La lutte contre le racisme. Par exemple, les protestations sont ponctuelles face à la violence du viol policier contre Théo mais il n'y a pas de mouvement de fond contre ces violences. Les associations peinent à développer des programmes d'assistance aux migrants LGBT, contrairement à ce qui se passe en Allemagne ou ailleurs. Nous avons pourtant un savoir-faire unique en ce qui concerne l'accès aux traitements et aux soins. Dans les années 1990, le mouvement sida français a été le plus mobilisé de toute l'Europe. Dans les années 2000, les médias gays étaient nombreux. Peut-être faudra-t-il un retour de bâton traumatisant pour que la communauté se réveille et s'associe à toutes celles et ceux qui crient justice. Pour l'instant, on en est loin.