Peut-on raisonnablement se résoudre à la grande fatigue démocratique? Constater l’affaiblissement grandissant des soutiens au régime démocratique, désormais dans les catégories diplômées, et l’affirmation de tentations autoritaires ou technocratiques (l’Histoire montre que les secondes ont tendance à converger vers les premières)?
Le sentiment que la démocratie fonctionne mal est devenu majoritaire depuis le début des années 1990. Le constat est connu, les propositions nombreuses, les adaptations insuffisantes.
Elles existent, par nécessité. Depuis le début des années 1990, l’institutionnalisation de la démocratie participative, entendue comme production d’une opinion publique informée entre deux élections, est remarquable. Pour autant, cet appel à la participation des citoyens, même s’il est injuste de généraliser, les maintient dans une position subalterne par rapport aux élus et peine à les convaincre.
Depuis la fin des années 1990, l’inclusion, encore inégale, des deux sexes au sein de la représentation politique a permis un renouvellement du personnel politique. Mais faute d’un portage féministe et démocratique suffisamment fort, la réforme de la parité ne contrarie pas les tendances à la spécialisation et la professionnalisation politiques, en premier lieu d’une part de son personnel.
Pesant sur les possibilités même de la démocratie locale, la limitation (mais non la fin) du cumul vertical des mandats (entre mandats locaux et nationaux) est limitée (elle n’aborde pas le cumul dans le temps), différée dans le temps, fragile.
Les plus professionnels des élus au Parlement ont produit, depuis près de vingt-cinq ans, des réformes démocratiques nombreuses, réelles, mais retenues, par un cynisme parfois coupable. Les adaptations de la démocratie institutionnelle aux évolutions profondes de la société depuis le début des années 1990 ne suffisent pas. Car la révolution silencieuse que constituent l’individualisation, la montée des connaissances et la diversification des modes d’information, même si elle rencontre une contre-révolution autoritaire, reste profonde et majoritaire. Tout un chacun veut faire entendre sa voix, se faire reconnaître, se reconnaître parmi ses représentants.
Le thème d’une réforme globale des institutions n’est plus à l’ordre du jour: il occupe une place marginale au centre du champ politique, centrale à ses marges. C’est donc une mesure ponctuelle de renouvellement des représentants alliant, dans un même mouvement, renouvellement alternatif, inclusif et tendant vers une forme directe de démocratie, qu’il faut porter.
Le tirage au sort est un mode de désignation qui permet de renouer avec une dimension oubliée de la démocratie: celle du pouvoir de tout un chacun. Les propositions émanant ça et là de mouvements citoyens sont souvent extensives, proposant un tirage au sort intégral des représentants. Or, si l’élection a des effets aristocratiques, elle est indissociablement démocratique en ce que chacun(e) peut voter et que les partis politiques structurent l’offre politique en proposant des visions de la société et de l’avenir.
En complément de l’élection, le tirage au sort pluralise les modes de désignation. Reste à déterminer les formes et l’étendue de ce complément. La part des tirés au sort parmi les représentants pourrait être proportionnelle au pourcentage de votes blancs exprimés lors de la même élection. Celles et ceux qui votent blanc lors d’une élection sont attaché(e)s au droit de vote, font l’effort d’aller voter mais ne se reconnaissent pas dans l’offre électorale présentée. La non-reconnaissance du vote blanc est une critique rituellement adressée au mode de désignation par élection. Ce mode de scrutin conférerait aux électeurs et électrices le pouvoir d’établir le curseur en fixant, par leur vote blanc ou non, la part de désignation des représentants par élection ou tirage au sort.
Les partis politiques, aujourd’hui exsangues mais qui gardent le monopole de désignation des élu(e)s, seraient utilement stimulés pour renouer avec l’effort à accomplir pour être attractifs. La liste des votant(e)s pour chaque élection a vocation à fournir celle pour le tirage au sort, avec un effet attendu d’une augmentation de la participation. Enfin, si ce mode de désignation est plus immédiatement imaginable pour les scrutins de liste, il est adaptable pour les élections au scrutin uninominal, notamment pour celles des député(e)s.
La démocratie n’est ni achevée ni dépassée. Pour rester à venir, elle doit être désirable. Ni de droite, ni de gauche, radical, raisonnable et adapté aux attentes qui s’expriment de mille manière dans la société, l’enrichissement de l’élection par le tirage au sort comme mode de désignation des représentant(e)s pourrait utilement contribuer à la légitimité du régime politique par et pour les citoyens.