La qualification des Bleus pour le mondial de football, une bonne nouvelle pour l'économie? Le raisonnement est tentant: la bande à Domenech en Afrique du Sud, c'est excellent pour le moral des ménages, cela va soutenir la consommation et nous apporter de la croissance en plus. Une aubaine pour la France qui en a bien besoin par les temps qui courent. Sauf que, pour les économistes, cette logique ne tient pas vraiment la route. A chaque Coupe du monde, les politiques tombent, eux, dans le panneau. En juin 2006, c'est le ministre de l'Economie de l'époque, Thierry Breton qui affirmait qu'avec le bon parcours de l'équipe de France en Allemagne, «le moral des ménages s'améliore, qu'on a plus confiance en l'avenir et qu'on peut consommer davantage». Erreur.
En réalité, la Coupe du monde a très peu d'impact sur le niveau global de la consommation. Non, la main de Thierry Henry ne va pas sauver la France du marasme économique. Même pour un pays organisateur, l'effet est limité. En 2006, le Mondial n'avait ainsi rapporté à l'Allemagne qu'entre 0,1 et 0,3% de croissance. Pas terrible. Certes, pendant les mois qui vont précéder la compétition sud-africaine, on s'attend en France à une hausse spectaculaire des ventes d'écrans plats. Le Mondial devient un prétexte pour changer sa télé contre un plasma flambant neuf. Comptez sur les distributeurs de produits électroménagers pour faire passer le message. Mais, selon Nicolas Bouzou, dirigeant du cabinet Asterès, «ce sont des achats qui auraient de toute façon eu lieu quelques mois plus tard. On ne fait que déplacer le moment de consommation en l'anticipant. Sur les ventes de l'année, ça ne change pas grand chose».
En fait, c'est un jeu à somme nulle. Si certains secteurs vont en profiter, d'autres risquent de souffrir. Parmi les gagnants prévisibles, les équipements pour le sport. Adidas envisage d'écouler environ 500.000 maillots de l'équipe de France. Les fabricants de produits dérivés ont déjà dans leur carton plein de gadgets, prêts à inonder le marché. Quant aux producteurs de bière, ils anticipent un pic de consommation. Un phénomène récurrent à chaque Mondial... à condition que le soleil soit de la partie. Mais les estomacs ont des limites et si on achète plus de bière, on avalera moins de sodas ou de vin. De même, si on reste chez soi, scotché devant sa télé en famille ou entre amis, difficile de partir en week-end: des secteurs comme le tourisme ou le transport devraient en faire les frais. Et en s'équipant d'un écran LCD, certains foyers renonceront peut-être à une voiture ou un voyage. Avec un pouvoir d'achat au mieux stagnant, la Coupe du monde n'entrainera qu'une redistribution de la consommation entre les secteurs. Certainement pas des points de croissance.
En poussant un peu plus loin le ballon, on pourrait même dire que l'événement perturbe l'activité économique. Par exemple, des études ont établi que pendant la plus médiatique des compétitions sportives, les salariés quittaient leur travail plus tôt ou installaient des radios ou des télés sur leur lieu de travail. Pas l'idéal pour faire fonctionner une entreprise. Un autre facteur risque de plomber l'impact du Mondial: selon un récent sondage sorti au lendemain du pénible France-Irlande, 81% des personnes interrogées se disant «intéressées par le football» considèrent que la qualification est «plutôt pas ou pas du tout méritée». On voit mal ces supporters déçus se ruer sur les produits dérivés et faire la fête l'été prochain. A moins que la France enfin libérée enchaîne les exploits et remporte le précieux trophée. Pendant plusieurs semaines, ce serait l'euphorie, comme en 1998. Plus personne ne parlerait de la main de Henry et ceux qui auraient eu honte des Bleus, au nom de la justice et de la morale, seraient peut-être les premiers à fêter la victoire. Oui, l'indice de confiance des ménages remonterait en flèche. Et alors que Raymond Domenech et ses joueurs triompheraient sur les Champs -Elysées, la Ministre de l'Economie Christine Lagarde annoncerait: «c'est bon pour le moral et pour la croissance». On peut toujours rêver.
Bruno Askenazi
Image de Une: Euro 2008. REUTERS/Max Ross