En ce moment même, des hommes cherchent à tuer la mort. Ceux qui se font appeler les «extropiens» placent ainsi tous leurs espoirs dans la science et les avancées technologiques qui, selon eux, permettront de devenir immortels et de réaliser l’impossible. Le site américain New Republic s’est longuement penché sur leur cas, en s'appuyant sur le livre To Be A Machine du journaliste Mark O’Connell.
Voilà comment Max More, philosophe et co-fondateur de l'extropianisme, décrit ce mouvement de pensée:
«Nous voyons l’humanité comme une phase de transition dans le développement évolutionnaire de l’intelligence. Nous défendons l’usage de la science pour accélérer notre passage d’une condition humaine à une condition transhumaine, ou posthumaine.»
Le courant philosophique en question n’est pas neuf. Ses principes de base, écrits par More, ont été publiés en 1993; et dès 1994, le magazine Wired publiait une très longue enquête sur ces hommes en quête d’immortalité, cherchant à «devenir plus que des humains». Une quête qui, en dehors de toute idée métaphysique, est également motivée par les avancées technologiques, et la crainte d’être un jour dépassé par les machines.
Un business en pleine expansion
Il semble facile de voir dans l’extropianisme un ensemble d'idées absurdes et loufoques. Pourtant, les géants du numérique ont déjà investi des sommes colossales dans les recherches contre la mort. Dmitry Itskov, le milliardaire russe, est un grand partisan de ce courant de pensée. Il a notamment lancé le projet 2045 et déclarait à ce propos en 2015 dans L’Obs:
«Tout le monde aura le droit de vivre éternellement. Au pied du mur vous le ferez, car personne n’a envie de mourir. Ni vous ni moi.»
Il n’est pas le seul à s’être positionné sur le sujet et à rêver d’immortalité, puisque ces dernières années, Google s’est aussi lancé dans la course. En effet, Larry Page, le co-fondateur de l’entreprise, a investi 750 millions de dollars dans Calico, un laboratoire de recherche sur les technologies anti-âge. Et Ray Kurzweil, internationalement connu pour être en faveur du transhumanisme, a été nommé ingénieur en chef de la société.
Quitter le corps?
Les extropiens se subdivisent en deux camps. Ceux qui, d’un côté, souhaitent se libérer de leur enveloppe de chair (et, pourquoi pas, finir par faire migrer leur conscience dans un hologramme), et ceux qui veulent conserver leur corps en bonne santé le plus longtemps possible. Max More fait partie de cette seconde catégorie. Il a ainsi créé Alcor Life Extension Foundation, qui propose de cryogéniser des corps humains, mais aussi des animaux de compagnie. Pour l’instant, l’homme abrite 149 «patients», même si la science n’a pas encore trouvé le moyen de réanimer un corps.
Il paraît néanmoins essentiel de noter que l’extropianisme pose de nombreux problèmes, autant d'un point de vue philosophique que social. Si on se projette dans un futur où l’Homme verrait son espérance de vie atteindre les 100 ans, tout serait chamboulé. Le concept même d’enfance finirait par évoluer, la planète serait probablement surpeuplée, et le paysage politique serait totalement modifié. En outre, comme le notait le philosophe Bernard Stiegler pour Sciences et Avenir, au vu des prix exorbitants de ces technologies, on peut supposer que seuls les riches auront accès à l'immortalité, et qu’un fossé finira forcément par se creuser entre les différentes classes sociales. Sans compter que ce rejet de la mort et des imperfections ressemble fort à une dictature du bien-être, telle que l'esquissent ces quelques mots d’Itskov, parus dans l’Obs:
«Rendez-vous compte : il n’y aura plus de vieillards, plus de malades, et tout le monde sera beau.»