En théorie, Dubaï était une oasis de liberté et de compétitivité dans une région généralement hostile au libéralisme. N'ayant pas de réserves de pétrole, l'émirat s'était fixé pour objectif d'aspirer une partie de l'argent de ses voisins: il serait le terrain de jeu, le centre commercial et financier, la zone culturelle, la station balnéaire et la maison de campagne du tout-pétrole; en somme, un concentré de New York, de Las Vegas et de Miami. Dans une zone du monde assez dangereuse sur le plan politique, Dubaï faisait figure de pays franchement accueillant, ouvert à tous les investisseurs. Pour l'élite financière mondiale, l'émirat était devenu une valeur sûre. Dubaï arrivait en 23ème place dans le classement des économies les plus compétitives de 2009 établi par le Forum économique mondial; il était 31ème l'année dernière. Il arrivait en tête des pays n'appartenant pas à l'Europe, à l'Asie développée et à l'Amérique du Nord. Les conservateurs chantaient haut et fort ses louanges: Dubaï, pays libéral par excellence, véritable paradis capitaliste. «Dubaï : un pays riche et libre», comme l'écrivait Donna Wiesner Keene dans une lettre au New York Times.
Bien évidemment, Dubaï n'a jamais été particulièrement libre. Et aujourd'hui, il n'est pas particulièrement riche. Pour couronner le tout, l'émirat est privé d'accès à l'argent facile et criblé de dettes; il devient donc de moins en moins compétitif. Comme tant de ces «valeurs sûres», il devait sa bonne santé financière à ses emprunts ainsi qu'à la bulle de l'immobilier commercial. Maintenant que l'émirat a cessé de payer les dettes contractées par ses sociétés nationalisées, Dubaï ressemble de moins en moins à Singapour - et de plus en plus à une institution ayant largement contribué à la paralysie du système financier international en 2008: Lehman Brothers.
Tout comme Lehman, Dubaï a fait l'erreur d'emprunter à court terme pour acquérir des actifs illiquides à long terme. Les holdings Dubai World et Nakheel ont ainsi emprunté 10 milliards de dollars aux marchés financiers internationaux pour entrer dans le capital du Cirque du Soleil et de Barney's, pour acquérir des entreprises du secteur maritime, des sociétés de services financiers, et (surtout) pour investir dans l'immobilier. Lehman avait pour sa part emprunté des centaines de milliards de dollars pour acquérir des immeubles de bureaux ou des complexes résidentiels (lorsqu'il a fait faillite, Lehman Brothers possédait pour plus de 40 milliards de dollars de biens immobiliers).
Lehman exploitait tous les nouveaux outils de l'ingénierie financière -marché des billets de trésorerie, CDO, etc. Dubaï a fait de même, en utilisant tous les nouveaux outils de l'ingénierie civile: île artificielle en forme de palmier, construction du plus haut building du monde...
En théorie, Lehman était un nouveau modèle de gouvernance d'entreprise, moderne et innovant. Les actionnaires publics étaient représentés par un conseil de surveillance sensé superviser un président expérimenté. En réalité, c'était un régime autocratique; on y avantageait largement les initiés et on y méprisait les parties prenantes de l'extérieur. Même chose à Dubaï, ou les sociétés les plus importantes sont contrôlées par la famille royale et ses associés. Lorsqu'on lui demanda de s'expliquer au sujet des problèmes financiers qui commençaient à poindre, Dick Fuld, président de Lehman Brothers, joua les gros bras: «J'aurai la peau des vendeurs à découvert; c'est mon but», déclarait-il ainsi durant l'été 2008. Lorsque Dubaï a commencé à montrer des signes de faiblesse, l'émir Mohammed ben Rachid al Maktoum s'est contenté de rétorquer: «Quant aux détracteurs de Dubaï et Abu Dhabi, je n'ai qu'une chose à leur dire: taisez-vous!». Au total, aucun des deux n'étaient dignes d'éloges; aucun ne possédait les qualités que les marchés leur prêtaient.
Lehman Brothers n'avait jamais imaginé que le gouvernement (et que ses confrères des autres banques d'investissement) la laisserait couler. De même, les places financières (et -qui sait- les dirigeants de l'émirat eux-mêmes) était certaines que les Emirat arabes unis, fédération politique aux riches ressources pétrolières, honoreraient les dettes de Dubaï. A l'heure où nous écrivons ces lignes, aucun pays n'a proposé d'éponger totalement l'ardoise de l'émirat.
C'est peut-être la meilleure comparaison qu'on puisse faire entre Lehman et Dubaï: ils ont tout deux pensé qu'ils étaient trop puissants pour sombrer. Ils avaient tort.
Daniel Cross
Traduit par Jean-Clément Nau
Image de Une: Un investisseur regarde l'évolution du cours de la bourse au marché financier de Dubaï. Ahmed Jadallah/REUTERS
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