Quand on fait une bêtise, il y a deux solutions. La bonne, s'arrêter. La mauvaise, continuer. L'Elysée a choisit la seconde en forçant le constructeur de centrales nucléaires Areva à vendre une de ses filiales stratégiques dans des conditions hautement contestables. Le chef de l'Etat a décidé de céder cette firme, Areva T&D, spécialisée dans les équipements de réseaux électriques, au tandem Alstom-Schneider, alors que les cadres supérieurs de cette maison y sont violemment opposés et à un prix inférieur à des offres concurrentes. Motif: cette solution est française. On imagine facilement les grognes à venir, les recours avec en prime la crainte des syndicats de suppressions d'emplois.
Cela commence à faire désordre dans la filière nucléaire française. Après 20 ans de sommeil, cette technologie voit l'avenir s'ouvrir, à cause du besoin mondial croissant d'énergie et à cause de la rentabilité encore peu évidente des technologies alternatives (solaire, éolien, géothermie, etc). On compte au moins 250 projets de construction de nouvelles centrales nucléaires dans le monde. La France est très bien placée, elle dispose d'un parc de 58 centrales fiables, sans incident notoire, et son industrie, à commencer par Areva, a préservé son savoir faire pendant la traversée du désert. Voilà au moins un secteur d'avenir pour le pays.
Qu'il faille réorganiser la filière, la consolider, la préparer, pourquoi pas. Le débat pourrait s'ouvrir. Mais rien de tel. Tout se passe à l'Elysée dans le plus grand secret, entre le président et le secrétaire général de l'Elysée, Claude Guéant. Et ce tandem vient de faire successivement trois couacs très inquiétants.
D'abord, la nomination de Henri Proglio, pdg de Veolia, à la tête de l'EDF. Mi septembre, Nicolas Sarkozy était contre tout rapprochement avec Veolia. En quatre jours, il a été «retourné», par une offensive puissante de Guéant, Borloo, de la CGT et de Proglio lui-même. Finalement, sans qu'on sache pourquoi, un rapprochement entre EDF et Veolia n'est plus interdit. Rappel: le gouvernement avait contraint Suez à se défaire de son eau et de son environnement pour pouvoir fusionner avec GDF. Pourquoi accepter avec Veolia? Pour quoi faire?
Avant même d'être nommé, Henri Proglio déclare que la création d'Areva a été «une erreur» et qu'il faut redessiner la filière. Finalement, il se rétractera. Mais ses déclarations n'ont pour le moins, pas créé un bon climat de coopération entre les partenaires français.
La semaine passée, Claude Guéant convoque dans son bureau Suez-GDF, Areva et Total qui se sont liés pour répondre à un appel d'offre de centrales à Abou Dhabi. Le projet français serait en mauvaise place face aux Coréens, dit-on, car trop cher de 30%. Le secrétaire de l'Elysée ajoute EDF dans le consortium - EDF qui pourtant avait refusé de venir au lancement du projet - et lui confie la direction d'ensemble. Proglio devient, comme il le souhaitait, le «chef de file». On imagine franchement mal comment va s'effectuer concrètement la coopération de Suez et d'EDF. En outre, en quoi cela va faire baisser le prix de l'offre française? Mystère.
Troisième couac: Areva T&D. Areva a besoin de fonds pour grossir face à la demande mondiale; son PDG Anne Lauvergeon a trouvé des groupes étrangers candidats à entrer, de façon très minoritaire, à son capital. Mais l'Elysée refuse et force le groupe à se défaire d'Areva T&D. Cette firme avait été acquise à Alstom qui la négligeait et Areva l'a développée comprenant que la gestion «intelligente» des réseaux électriques était déterminante pour l'avenir. Pour se recapitaliser, Areva doit se défaire de sa belle filiale. Mais à qui la vendre? Patrick Kron le PDG d'Alstom est candidat associé à Schneider avec pour idée de se séparer les activités et de se les répartir. Un charcutage qui provoque l'ire des syndicats et des cadres. En face, General Electric et Toshiba, qui offrent une valeur supérieure, même si le tandem français aurait accepté de s'aligner.
L'Elysée a tranché en faveur des groupes français, malgré les nombreux inconvénients à venir. Ce choix est compréhensible au nom de la politique industrielle nationale. Mais pourquoi aller au devant d'autant d'ennuis, pourquoi tout simplement ne pas renoncer à une mauvaise vente?
Aucun de ces choix n'est explicite et, du coup, on se demande ce qui motive vraiment toutes ces décisions dans la filière nucléaire française. Un goût nouveau et amateur pour jouer au mécano industriel? Ou est-ce pour faire plaisir aux amis Henri Proglio et Patrick Kron? On n'ose le penser.
Eric Le Boucher
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Image de Une: La centrale de Golfech, REUTERS/Regis Duvignau