Culture

Paranormal Activity: un phénomène en trompe l'œil?

Temps de lecture : 5 min

Le film d'Oren Peli n'aurait jamais dû sortir sur les écrans. Pourtant il s'impose comme le hit U.S. de l'automne.

Paranormal Activity, petit film amateur réalisé pour 15.000 dollars, constitue depuis plusieurs semaines l'attraction médiatico-cinématographique de l'automne américain. En lice pour détrôner le Projet Blair Witch et son record du film le plus rentable de l'histoire (hormis Gorge Profonde, célèbre film X des années 70), PA relève plus du concept marketing mijoté aux petits oignons que de l'œuvre horrifique censée révolutionner le genre. En France, la sortie du film a été avancée au 2 décembre prochain dans l'espoir, sans doute, de profiter de l'incroyable réputation qui le précède.

Une trajectoire de conte de fée...

Incapable de prédire un tel raz-de-marée, la Paramount et son réalisateur, Oren Peli, organisent néanmoins quelques menues projections afin de prendre la température auprès d'un public ciblé à même de se déplacer lorsque le fameux blockbuster — remake sortirait sur les écrans. Le choc est violent, les réactions incroyables. Pire, une vague d'hystérie emporte les élus conviés à découvrir la «bête», projet filmique à des années lumières des sorties massives assénées à grands renforts de campagnes marketing pop corn.

Acte premier. Le studio, conscient du potentiel, retouche le film, envoie 12 copies dans 12 villes universitaires le week-end du 25 septembre. Parallèlement un site dédié au film voit le jour, diffuse une bande annonce façon [REC] dévoilant par l'intermédiaire d'une caméra infra rouge les réactions en temps réel des premières victimes de PA. Résultat: des files d'attente interminables, des salles bondées, des hurlements, et un public électrisé par cette histoire de fantôme pour grand-mère.

Acte deuxième. Une pétition en ligne, relayée par Facebook et Twitter, est lancée sur la toile. Son but, permettre à tous ceux qui veulent voir le film d'en faire la demande dans le cinéma de son quartier. Grâce au million de signatures recensées le film aura le droit à sa sortie nationale, idée inenvisageable quelques semaines plus tôt.

L'effet « Kiss cool » du net...

Implacable, le buzz fait son travail de sape: tête de liste des trendings topics sur Twitter, pas loin des 70 000 fans sur la page de Facebook en quelques semaines, multiplication des forums, notation globalement très bonne des internautes sur les sites Imdb (7,3/10) et Rottentomatoes (85% d'avis favorables). Paranormal Activity, sans échapper totalement au contrôle de la Paramount, se « communautarise » en devenant un objet de (re)connaissance. Twitter, Facebook, MySpace et les nombreux forums des spectateurs/bloggeurs l'adoptent en organisant une véritable OPA sur un objet culturel pourtant destiné à finir dans une boîte en carton. Le désir collectif d'aller voir ce qu'il en retourne comme de ne pas divulguer la part de mystère demeure indispensable pour créer l'effet, la sensation, l'envie, la curiosité. L'info 2.0 sature les neurones en fabricant du mythe à la pelle. En somme, les acteurs du Réseau auront créé, organisé, favorisé et lancé l'incroyable buzz responsable du succès de Paranormal Activity.

Ainsi, les réseaux sociaux définissent PA comme un film « enjeu », sorte de trip hallucinant au potentiel surévalué qui, de toute façon, vous fera dérouiller de peur.  Les « oseriez-vous y aller » ou « restez jusqu'au bout si vous en avez » deviennent les appels d'offre d'une expérience unique à laquelle il convient de participer. Peu importe, alors, la qualité intrinsèque d'un long-métrage dépassé par sa propre notoriété, le trop plein de buzz en noie les raisons « objectives ». Dans ce bruit communicationnel devenu inaudible chaque nouvel avis, bon ou  mauvais, alimente PA jusqu'à la lie dans sa marche triomphale.

Si ce buzz communautaire est d'origine spontanée, il sera nourri - rapidement d'ailleurs - via un marketing dit classique relayé par les TV, la presse, les sites spécialisés et la mise en place d'une promo institutionnelle surfant sur l'engouement de spectateurs toujours plus nombreux. Ce cumul des médias finit par brouiller une information censée accompagner la trajectoire du film devenu un « simple » phénomène médiatique de plus.

Rien ne sert, alors, de s'étendre sur la légitimité artistique d'Oren Peli, ni d'en précipiter le mouvement. Le bouche à oreille virtuel fonctionne, il convient de l'appliquer sur le terrain. Pour cela, le studio met en place une technique de distribution imparable, privilégiant l'extension du nombre de copies week-end après week-end à la sortie massive beaucoup trop risquée en terme de report de spectateurs. L'idée: ouvrir les portes du train fantôme au compte gouttes en espérant que la frénésie du net se retrouve dans les salles. Au cours du week-end du 9-11 octobre le film réalise une moyenne par copie hallucinante de près de 50 000$. Le pari semble gagné.

Box-Office de Paranormal Activity aux Etats-Unis (sources boxofficemojo)

La tentation sera la plus forte...

Le succès d'un long-métrage « façon » Paranormal Activity est, par définition, inattendu. De ce fait il est difficile, pour ne pas dire impossible, de le préméditer. Si la tentation est grande d'essayer via le Web de reproduire peu ou prou une telle plus value financière, les studios ne peuvent construire de la spontanéité en boite capable d'offrir des perspectives de rentabilité astronomiques. Il existe bien des filières de productions indépendantes (pour la plupart appartenant néanmoins aux grands studios hollywoodiens) produisant chaque année des petits films capables de séduire un public alternatif aux blockbusters estivaux comme de fin d'année. Nous pourrions citer en exemple Little Miss Shunshine, Juno ou encore Slumdog Millionnaire. La différence, de taille, est à mettre sur le type de promotion bien plus classique avec leurs campagnes d'affichages, d'interviews ou de bandes-annonces.

Bien sûr, il faut désormais compter avec le Web, véritable puissance médiatique à même de soutenir la promotion d'une œuvre. Celle de PA, communautaire et capable de bouleverser les plans d'un grand studio, n'est pas sans rappeler l'incroyable succès d'un petit film amateur sorti il y a tout juste dix ans, en pleine révolution du Web: Le Projet Blair Witch. Pour la première fois un objet filmique non identifié sortait de « terre », plébiscité via un marketing virtuel malin jouant sur l'authenticité des aventures de trois individus perdus en pleine forêt.

Si la forme n'était pas nouvelle - se rappeler des « faux docus » comme Cannibal Holocaust (78), C'est arrivé près de chez vous (92) et dernièrement Discrit 9 (2009) -, son schéma promotionnel, oui. Depuis les années 2000 plusieurs films ont utilisé le Web de façon similaire afin de créer un buzz capable de s'étendre sur la toile comme une tâche de sang dans la neige. [REC] de  Paco Plaza et Jaume Balagero et Cloverfield de J.J Abrams, pour ne citer qu'eux, utilisent des procédés marketing interactif plongeant le spectateur cible dans une relation aussi bien collective que  participative: bande-annonce incitative montrant les visages terrifiés de vrais spectateurs pour [REC] ; promotion 2.0 pour Cloverfield sur Youtube avec participation du consommateur.

Une étape vient d'être franchie avec PA. Embrayé et soutenu par un studio, relayé et entretenu par les médias, le buzz s'est manifesté par la volonté propre de spectateurs / consommateurs décideurs d'envie. Au final, le Web impose un produit culturellement proche des vidéos postées sur Youtube ou Dailymotion, entre voyeurisme et téléréalité sordide d'une intimité violée. La fenêtre « d'ouverture » a changé: il ne s'agit plus de la petite lucarne mais de
l'écran d'ordinateur.

Paranormal Activity ouvre le champ d'un cinéma à la carte pour tous les candidats malins s'improvisant cinéaste. La porte des studios est désormais ouverte, augurant l'existence d'une nouvelle catégorie de films directement présentés à l'appréciation des réseaux sociaux, juges de paix vers une éventuelle diffusion en salles.

Il aura fallu attendre 10 ans entre Blair Witch Project et Paranormal Activity.  On parie que le prochain délai sera plus court. A vos caméras, prêts, partez !

Geoffroy Blondeau

Paranormal Activity, en salles le 2 décembre. La critique du film sera publiée jeudi.

Image de une: DR

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