La nouvelle ministre de l'éducation de Donald Trump, la philanthrope milliardaire Betsy DeVos, n'aime ni les écoles publiques, ni l'intervention du gouvernement. Dans son Etat du Michigan, elle a dépensé des millions de dollars pour que de nombreuses écoles publiques soient remplacées par des écoles semi-privées moins régulées (les charters schools), et dans un discours de 2015, elle a expliqué que «le gouvernement, ça craint vraiment».
Elle a aussi dit que le système d'éducation public américain était une «impasse» et qu'il fallait l'ouvrir aux «entrepreneurs et aux innovateurs» afin de créer les «équivalents éducatifs de Google, Facebook, Amazon, PayPal, Wikipedia ou Uber.»
Alors qu'aux Etats-Unis, le ministère de l'éducation a beaucoup moins de pouvoir qu'en France, c'est pourtant la nomination de DeVos qui a jusqu'ici déchaîné le plus de passion. Le symbole d'une milliardaire anti-écoles publiques à la tête du ministère a généré beaucoup de colère. Des dizaines de milliers d'enseignants, élèves et parents d'élèves ont manifesté et inondé les lignes téléphoniques de leurs sénateurs pour les supplier de voter contre elle. Dans le cas de la sénatrice républicaine d'Alaska, Linda Murkowski, la pression a fonctionné: après environ 30.000 appels téléphoniques de résidents en colère, elle a décidé de votre contre DeVos. Une autre sénatrice républicaine a voté contre elle, et seul le vote du vice-président Mike Pence lui a permis de ne pas être rejetée.
«Le gouvernement, ça craint vraiment»
DeVos n'est pas en soi critiquée pour son soutien aux «charters schools»: l'administration Obama et de nombreux démocrates leur étaient aussi favorables. Certains de ces établissements, qui sont gratuits, ouverts à tous mais indépendants du cadre syndical habituel, sont des réussites. L'idée de l'école à charte est d'injecter des éléments du privé dans le public –notamment des évaluations chiffrées, un recrutement (et licenciement) plus libre des enseignants (qui ne sont pas syndiqués), ainsi que la possibilité de recevoir des subventions privées. Mais en général, cette approche va avec une obligation de résultats: si le niveau des élèves ne s'améliore pas, l'établissement peut être fermé.
Or, là où DeVos est extrémiste, c'est que contrairement aux défenseurs habituels des charter schools, elle a encouragé, dans le Michigan, ces établissements à continuer à être financés même après plusieurs années de résultats catastrophiques. L'organisation qu'elle a financée, le Great Lakes Education Project, s'est toujours battue pour que ces établissements soient le moins régulés possible.
Résultats catastrophiques
Peu après sa nomination, Stephen Henderson, un éditorialiste du principal quotidien de Detroit, une ville très affectée par le lobbying éducatif de DeVos, avait écrit:
«Le point de repère de DeVos, c'est sa conviction que n'importe quelle école non traditionnelle est meilleure qu'une école publique traditionnelle, simplement parce qu'elle n'est pas gérée par le gouvernement.»
Comme le note Henderson, le Michigan est un des rares Etats où les écoles à charte peuvent être dirigées par des organisations à but lucratif, ce qui veut dire que «même des écoles qui ont des résultats scolaires désastreux peuvent rester ouvertes si elles génèrent de l'argent».
A Detroit, l'expérimentation de la dérégulation scolaire, poussée par DeVos et sa famille, a eu des résultats catastrophiques. L'idée était d'encourager la concurrence et de forcer les écoles à innover, mais la ville s'est retrouvée avec un nombre très élevé d'établissements médiocres qui se battent pour attirer un nombre limité d'élèves (en proposant par exemple de l'argent, un iPad ou un vélo au moment de l'inscription). Ces écoles sont très instables —avec de nombreux changements de proviseurs et d'enseignants— mais leur présence est problématique car tous ces établissements doivent se partager les fonds publics.
En juin 2016, un long reportage du New York Times sur les écoles de Detroit résumait ainsi la situation:
«Pendant les cinq dernières années, un mélange de politique partisane, d'idéologie éducative et de course aux profits ont produit un fiasco scolaire peut-être unique aux Etats-Unis.»
DeVos et sa famille avaient encouragé cette transformation dès les débuts, et malgré ce genre d'expérience ratée, Trump a pu dire en septembre au sujet de l'éducation:
«La concurrence réussit toujours. Les faibles disparaissent et les forts s'améliorent. C'est formidable.»
La bonne nouvelle, c'est qu'en tant que ministre de l'éducation aux Etats-Unis, DeVos n'aura pas le pouvoir de mettre en place ce qui s'est passé à Detroit et dans le Michigan. En effet, les écoles publiques sont surtout financées au niveau de la ville et de l'Etat. Elle pourra tout de même rediriger des fonds fédéraux pour aider des familles à se payer des écoles privées (une cause chère à son cœur), mais pas partout, car plusieurs Etats empêchent cette utilisation de fonds publics vers les écoles religieuses.
Bien que la plupart de ses opposants aient surtout été inquiets du sort des écoles publiques, c'est peut être au niveau de l'enseignement supérieur que DeVos aura potentiellement le plus de pouvoir: elle pourrait notamment revenir sur les efforts de l'administration Obama pour mieux réguler les universités privées à but lucratif. Ces établissements ont souvent des pratiques douteuses, comme la Trump University, fondée par l'actuel président, qui vient de payer 25 millions de dollars de dommages et intérêts à des milliers d'anciens étudiants.