De ces deux interrogations, c'est tout de même la dernière qui me chiffonne le plus: avoir 20 ans, la vie devant soi, être dans la fleur de l'âge et bander pour des valeurs aussi traditionnelles que le travail ou la patrie, voilà qui me surprendra encore et toujours.
Aurais-je eu un enfant versé dans la béatification du travail, la glorification de la patrie, l'amour de l'ordre et de l'autorité que j'aurais procédé à une vasectomie en règle sur cette misérable engeance avant de m'occuper de mon cas personnel. J'aurais demandé des comptes à sa mère, j'aurais exigé un test de paternité, j'aurais porté plainte contre la maternité pour échange éhonté de nouveaux-nés, j'aurais interrogé mes propres parents afin de savoir si parmi nos glorieux ancêtres pareille tragédie avait déjà eu lieu.
Si à 20 ans, on n'est pas naïf, brut de révolte, désireux de bousculer l'ordre établi, écœuré par les puissances de l'argent et de la finance, en butte contre une société jugée comme trop inégalitaire, plein de rêves et d'utopie, prompt à vouloir changer le monde et à renverser les anciennes croyances, à s'attendrir du sort réservé aux déshérités et autres gueules cassées du système, à œuvrer pour un système de répartition des plus justes, à quémander un peu d'amour pour soulager le fardeau d'une vie passée à trimer... alors, c'est à désespérer de tout.
De tout.
J'ai cherché à comprendre.
J'ai essayé d'intégrer une section de jeunes patriotes mais ma calvitie m'a trahi, j'ai fait la sortie d'écoles privées réputées situées dans des arrondissements au-dessus de tout soupçon mais personne n'a voulu m'adresser la parole, j'ai fait la quête au sortir des églises afin de lier des amitiés droitières mais je n'ai récolté que des quolibets; à bout d'idées, désespéré de comprendre un jour ce qui poussait un jeune à s'amouracher d'un tel fatras idéologique, n'écoutant que mon courage, je me suis rendu sur le site des Jeunes Républicains.
Je n'ai pas été déçu.
Ainsi donc quand tu es jeune et Républicain, tu es à la fois «patriote et humaniste», tu crois «au mérite, à l'effort et au talent», tu penses que «c'est le libre-arbitre qui garantit l'épanouissement des talents», tu refuses «l'assistanat et la fraude», tu affirmes que «le travail permet à l'homme de s'épanouir et de réussir», tu prônes «l'égalité des chances pour tous ceux qui par leur travail, se donnent les moyens de réussir» tu chéris «la Nation qui s'est construite à travers une histoire millénaire», et tu mets par dessus-tout «la Marseillaise, Marianne et le drapeau tricolore».
«Le libre-arbitre qui garantit l'épanouissement des talents», non mais quel culot !
J'ai dû avaler un triple bourbon mélangé à un cocktail de Valium afin de calmer mon palpitant qui tambourinait comme un assisté social à l'heure de recevoir son RSA, je me revoyais à leur âge, désœuvré, oisif, rétif à toute idée de travail, passant mes journées à lire et à boire et à aimer et à rêver, ivre de colère et me moquant de la Nation comme de ma première cuite.
Et évidemment j’abhorrais la Nation et tout le charabia qui va avec.
Un petit branleur de gauchiste qui deviendrait un jour un enfoiré d'assisté!