Bousculé pendant près d'une heure par le Real de Madrid et les accélérations de Christiano Ronaldo, puis réduit à dix, Barcelone s'en est remis à un geste de grande classe de son attaquant Ibrahimovic à peine entré en jeu pour remporter dimanche 29 novembre le 159éme Clasico de l'histoire. Cette victoire permet aux Catalans de prendre les commandes de la Liga, le championnat espagnol.
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En Espagne, c'est simple, il y a deux «matchs du siècle» par an. L'aller du Madrid-Barça et... le retour du Barça-Madrid. Ce week-end, le F.C Barcelone accueille, pour la première fois cette saison, le Real Madrid. Un match très attendu après l'humiliation historique subie par les merengues à domicile il y quelques mois. L'occasion aussi de voir le vrai retour de Cristiano Ronaldo après deux mois d'absence et de connaitre le niveau réel des nouveaux galactiques de Florentino Perez.
Ce match est-il le meilleur match d'Europe? Comment se compare-t-il à un Milan-Inter ou à un OM-PSG?
Le palmarès
Le Madrid et le Barça ont remporté, à eux deux, 50 fois la Liga, soit presque 65% des titres qui ont été mis en jeu. Il n'existe aucune autre confrontation en Europe qui puisse rivaliser en ce qui concerne le nombre de titres. En deuxième position on retrouve le Juventus-Milan AC ou le Juventus-Inter car la Vecchia Signora possède 27 titres et les deux équipes de Milan 17 chacune. Ensuite vient l'Angleterre où un match entre Manchester United et Arsenal réunit 36 titres (18 pour chaque club). Loin derrière viennent l'Allemagne, où le Bayern domine très largement avec 21 titres et la France, où l'OM et l'OL comptent 8 et 7 titres respectivement. La seule exception reste le Portugal où les 28 victoires en championnat du Benfica Lisbonne et les 23 du F.C Porto en font un face-à-face plus titré que le clásico espagnol. Mais force est de constater que le choc n'est pas aussi glamour...
L'équilibre
À cette rivalité historique il faut ajouter un équilibre qui rend le match toujours incertain et imprévisible. On se souvient du fameux 5-0 en faveur du Barça, en 1994, qui, quelques mois plus tard devenait un 5-0... en faveur du Réal. Plus récemment (en 2008) les joueurs du Barça ont dû faire un humiliant pasillo (une haie d'honneur pour féliciter le champion) à l'eternel rival mais se vengeaient un an plus tard avec un 2-6 au stade Santiago Bernabeu. Car même si la différence entre les deux clubs (31 titres pour le Real et 19 pour le Barça) est plus grande qu'entre les autres équipes européennes, cela reste un effet d'optique. Le Real Madrid a gagné beaucoup de ses titres il y a relativement longtemps. Si on regarde les résultats depuis l'an 2000, par exemple, on voit que les deux équipes se partagent largement les victoires en Liga. Le Madrid l'a remportée quatre fois depuis le début du siècle et le Barça trois. Il n'en va pas de même dans les autres championnats où Lyon, avec 7 titres, ou l'Inter de Milan, avec 5 titres, dominent facilement les statistiques ces dernières années. En Angleterre, l'arrivée du nouveau riche Chelsea a aussi bouleversé la donne même si Manchester a quand même remporté 5 fois la Premier League depuis l'an 2000. Le même total que le Bayern de Munich, qui n'a pas de vrai adversaire stable en Allemagne.
Le prestige européen
De nos jours, il n'y a guère qu'un Manchester-Liverpool (ou un Manchester-Chelsea) qui puisse rivaliser en prestige avec le derbi espagnol. En effet, si on regarde les 10 derniers vainqueurs de la Ligue des Champions, c'est le seul affrontement entre deux équipes du même championnat en plus du Madrid-Barça. Sans oublier que, pour cette période, l'Espagne est le pays qui compte le plus de victoires (4) face à l'Angleterre (2) et l'Italie (2). Il est vrai que les équipes anglaises ont largement occupé les places d'honneurs (finale et demi finale) dans les éditions récentes mais un duel entre Manchester et Chelsea, par exemple, manquera toujours (pour l'instant) de ce folklore qui pimente vraiment la rivalité dans le foot.
Les joueurs
Une auréole médiatique qui se voit décuplée par la fantastique panoplie de stars qui seront sur le terrain dimanche. Ibrahimovic, Cristiano Ronaldo, Messi, Kakà, Iniesta, Xavi, Casillas, Benzema...des noms qui font rêver et qui font de ce match un spectacle inégalable. Car il n'existe pas de clubs en Europe qui réunissent autant de talent. Manchester a Rooney, Chelsea a Drogba, le Bayern a Ribéry, Liverpool a Torres....Mais le Madrid a les deux derniers ballon d'or et le Barça celui qui semble prêt à l'obtenir, dans quelques jours, et le meilleur joueur de l'Euro 2008 (Xavi). Sans oublier, le meilleur gardien du monde (Casillas) et un des défenseurs les plus en forme (Piqué).
Puissance commerciale et populaire
A cela, il faut ajouter l'incontestable puissance économique, commerciale et populaire des deux clubs. Avec un budget supérieur à 400 millions d'euros, en 2010, le Real Madrid et le F.C Barcelone se placent dans le Top 3 des équipes les plus riches d'Europe depuis plusieurs années, selon une étude de Deloitte. Pour se faire une idée (si cela est possible), le budget annuel du Xerez, une petite équipe de la Liga, est de 9 millions d'euros, moins que le salaire de Ronaldo, Kakà ou Raul. On estime ceux du PSG ou de l'OM, pour l'exercice 2008-2009, à près de 65 et 85 millions d'euros respectivement. Une richesse qui est due, en grande partie, au soutien populaire des dizaines de milliers de socios des deux équipes (170.000 pour le Barça et plus de 100.000 pour le Madrid). D'autres clubs en Europe jouissent d'un nombre d'abonnés comparable et quelquefois (Manchester United ou le Bayern) supérieur. Reste que, là encore, parmi les 10 clubs avec le plus d'abonnés, seul un duel espagnol en réunit autant. À l'exception, là encore, d'un Benfica-F.C Porto. En France, l'OM arrive en tête avec la douzième meilleure affluence d'Europe.
La rivalité
Le clásico c'est une rivalité historique mais aussi stylistique, sociale, politique, territoriale, idéologique (philosophique diront même certains passionés). C'est la fougue d'un OM-PSG avec le jeu qu'on a pu voir récemment dans l'OM-OL. C'est un Naples-Milan A.C à l'époque de Maradona et, en même temps, celle de Sacchi. C'est plus qu'un match de foot. C'est la philosophie régionale de la Masía (le centre de formation catalan) face à l'universalisme des galactiques. C'est la superbe du Madrid, pour les uns, et la victimisation du Barça, pour les autres. C'est le nationalisme des dirigeants catalans face au supposé impérialisme du centralisme madrilène. Ce n'est pas un hasard si Laporta défile dans les manifestations indépendantistes en Catalogne ni si Thierry Henry affirme allègrement (après seulement deux ans de vie à Barcelone...) que «la Catalogne ce n'est pas l'Espagne». Affirmations auxquelles répond Jorge Valdano, en déclarant que «le Barça regarde depuis la Catalogne vers l'intérieur tandis que le Madrid le fait depuis l'Espagne vers l'extérieur». Ambiance...
Car ce simple match de foot représente presque une vision du pays et de son (complexe) agencement territorial. On pourrait ainsi croire que le fait que José Luis Rodríguez Zapatero, actuel Premier Ministre socialiste de l'Espagne, soit supporter du Barça tandis que son prédécesseur de droite, José Maria Aznar, était un assidu de la loge du Bernabeu n'est pas un hasard. En tous cas, la coïncidence des cycles de victoires respectifs des deux clubs avec les mandats politiques des deux dirigeants a fait couler beaucoup d'encre. Comme pour rappeler la force transcendantale et presque magique que peut avoir le football en Espagne...
Le jeu
Ce n'est évidement pas le seul beau match que l'on peut voir en Europe. Cette année, OM-OL ou Chelsea-Manchester ont été très spectaculaires. Mais le Barça-Madrid a souvent laissé des moments forts aux amateurs de foot. Raul faisant taire le Camp Nou l'index sur les lèvres, Stoitchkov agressant un arbitre, Romario laissant sur place Alkorta d'un coup de hanche, le magnifique lob de Zidane au-dessus de Bonano. Ce ne sont que quelques exemples de ce que peut offrir le clásico. Un face à face sans merci qui se vit à fond. Ce n'est pas pour rien que le terme «traidor» (traître) est réservé, dans le jargon footballistique espagnol, aux 28 joueurs qui ont portés les deux maillots ennemis. Cela a donné lieu à des moments de tension comme le but de Luis Enrique à Madrid ou l'accueil infernal que le Camp Nou a réservé à Luis Figo lors de son retour à Barcelone sous les couleurs du Réal. Avec jet de tête de cochon inclus...
Mais il y a aussi de la place pour le fair play. Le public barcelonais a toujours admiré la classe de Zinedine Zidane et les supporters madrilènes ont même applaudi Ronaldinho lors de son exhibition en 2005. Car ce match est avant tout un spectacle visuel. Et ce n'est pas une manière de parler... La maison de production Mediapro est ainsi arrivée à un accord avec 51 salles de cinéma espagnoles pour diffuser le match en direct comme s'il s'agissait d'une superproduction hollywoodienne. Le prix de la séance est de 8 euros pour les adultes et de 6 euros pour les enfants pour voir le match en Haute Definition et Dolby Surround.
Tous les ingrédients sont donc réunis pour ce qui semble être le plus beau match du monde. Si on sait, de plus, que le match nul est le résultat qui se produit le moins et que, depuis 1974, il n'y a eu qu'un seul 0-0 (saison 88-89) dans les affrontements entre les deux équipes aux Camp Nou, on peut légitimement espérer voir du spectacle ce soir au Camp Nou.
Aurélien Le Genissel
Image de Une: Ronaldinho et Ronaldo en 2004, REUTERS/Gustau Nacarino