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«Mon père était au Qatar, sur le point d’embarquer pour Los Angeles, et il est renvoyé en Irak»

Temps de lecture : 3 min

L’Amérique commence à fermer ses portes aux musulmans étrangers, même à ceux qui sont déjà installés légalement sur son territoire.

À l'aéroport de San Francisco, le 28 janvier 2017. STEPHEN LAM / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP.
À l'aéroport de San Francisco, le 28 janvier 2017. STEPHEN LAM / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP.

Les aéroports du monde entier semblent être le théâtre de scènes de chaos et de confusion depuis que Donald Trump a signé un décret[1] interdisant de manière effective aux voyageurs originaires de sept pays à majorité musulmane –l’Iran, l’Irak, la Libye, la Somalie, le Soudan, la Syrie et le Yémen– d'entrer aux États-Unis au cours des 30 prochains jours. Ce décret suspend également pour quatre mois le programme d’accueil des réfugiés du pays. Plusieurs rapports de différentes sources indiquent qu’il affecte ceux qui ont déjà des cartes vertes et des visas.

Des voyageurs se font refouler dans des aéroports du monde entier et se voient interdire d’embarquement dans des vols à destination des États-Unis alors qu’ils sont en possession de tous les papiers nécessaires à leur voyage. Reuters, par exemple, a été informé par des sources de l’aéroport du Caire que six voyageurs –cinq originaires d’Irak et un du Yémen– s’étaient vu interdire d’embarquer dans un avion à destination des États-Unis alors qu'ils possédaient des visas valides. Mohammed al-Rawi, un journaliste irakien vivant aux États-Unis, a écrit sur Facebook que son père avait été empêché de monter à bord d’un vol partant du Qatar en direction de Los Angeles.

«Mon père de 69 ans était au Qatar, sur le point d’embarquer pour Los Angeles pour venir nous voir, et il est renvoyé en Irak. Des fonctionnaires américains lui ont dit que Trump avait annulé tous les visas.»

On signale également des exemples de voyageurs en route vers les États-Unis au moment où le décret a été signé et qui ont été retenus à l’aéroport à leur arrivée, partout sur le territoire américain, avant de se voir signifier qu'ils étaient dans l'obligation de repartir, raconte l’American-Arab Anti-Discrimination Committee. Des réfugiés déjà en chemin vers les États-Unis au moment où le décret a été signé ont eux aussi été détenus dans des aéroports, déclenchant des problèmes d’ordre juridique. «J’ai entendu parler d’une personne qui venait juste de rentrer, qui a été mise à l’écart à l’aéroport et retenue, et apparemment les agents ne savent pas quoi en faire», a confié au Guardian Ibrahim Hooper, directeur de la communication au Council on American-Islamic Relations (CAIR).

«C’est confirmé: les détenteurs de visas originaires des pays concernés par le décret se voient interdire l’accès à leur vol de retour vers les États-Unis.»

Juste après la signature du décret, des experts en droit ont averti que l’interdiction était bien plus restrictive que beaucoup ne s’y attendaient et qu’elle était susceptible d’affecter ceux qui vivent déjà légalement aux États-Unis, que ce soit avec des cartes vertes ou des visas étudiants ou de travail. Voici ce qu’explique le site ProPublica:

«Étant donné que le décret s’applique à tous les “étrangers” –terme qui englobe toute personne n’ayant pas la nationalité américaine–, il pourrait interdire aux possesseurs de visas en cours de validité ou même de cartes vertes de revenir aux États-Unis après un déplacement à l’étranger, explique Stephen Legomsky, ancien conseiller des services de l’Immigration et de la naturalisation américaines sous le président Obama.

“C’est d’une cruauté incroyable”, a-t-il déploré.

Le décret interdit “l’entrée” d’étrangers originaires de ces pays et exempte spécifiquement certains détenteurs de visas diplomatiques.

Cette exemption n’inclut cependant pas les personnes qui possèdent des visas temporaires à long terme –comme les étudiants ou les salariés–, qui ont le droit de vivre aux États-Unis pendant plusieurs années d’affilée, ainsi que de quitter et de regagner le territoire américain à leur gré.»

Voilà pourquoi l’ADC a pris l’incroyable parti de recommander aux ressortissants des pays concernés de ne pas quitter les États-Unis de peur de pas être autorisés à y revenir. Le National Iranian American Council adopte la même position, écrivant sur son site internet que «la version finale du décret est pire que le projet qui avait fuité en début de semaine», et recommande aux Iraniens titulaires d’une carte verte «de ne pas quitter le pays tant que la situation n’est pas davantage éclaircie».

Certaines entreprises, inquiètes, ne veulent prendre aucun risque. Google, par exemple, a ordonné à tous ses salariés voyageant à l’étranger et susceptibles d’être touchés par cette mesure de revenir immédiatement aux États-Unis. «Il est pénible de constater le coût personnel que ce décret présidentiel inflige à nos collègues», regrette Sundar Pichai, le PDG de Google, dans une note que Bloomberg News s'est procurée. «Nous avons toujours fait part publiquement de nos opinions sur le sujet de l’immigration, et nous continuerons à le faire.»

1 — Depuis l'écriture de cet article, une juge fédérale a ordonné un sursis d’urgence qui, souligne Le Monde, «interdit momentanément l’expulsion des personnes arrivées dans des aéroports américains avec un visa valide et les autorise à entrer dans le pays». Rappelons par ailleurs que le décret signé par Donald Trump a pour objet «d’empêcher les terroristes islamistes radicaux d’entrer aux États-Unis d’Amérique»: or, il ne concerne ni l’Arabie Saoudite, ni l’Égypte, ni la Turquie ni les Émirats Arabes Unis, pays dans lesquels Trump se trouve posséder de vastes intérêts économiques et dont des ressortissants ont causé la mort de près de 3.000 Américains entre 1975 et 2015. Retourner à l'article

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