Depuis la crise asiatique de 1997, les investisseurs ont appris à se méfier de l'effet du battement d'aile d'un papillon de l'autre côté de la planète. Une crise mondiale peut partir d'un pays comme la Thaïlande, qui n'est pourtant pas un poids lourd de l'économie mondiale. La défaillance de Dubaï inquiète, car elle pourrait relancer une partie de dominos. Avec la montée en puissance des pays émergents, le nombre des économies et des places financières à surveiller n'a cessé de grandir. Mais toutes n'ont pas droit aux mêmes égards que la Chine. Les gérants qui regardaient le matin ce qu'avaient fait les Bourses de Tokyo et Hong Kong ont appris maintenant à jeter aussi un œil sur les indices de Shanghai et Shenzhen.
Dans la plupart des cas, l'information recherchée n'est pas strictement boursière: l'indice SSE de Shanghai ne préfigure pas l'évolution de l'indice CAC 40 du jour. Ce qui est jugé important, ce sont les informations économiques qui ont fait bouger le SSE et peuvent avoir un impact sur les entreprises cotées en Europe. Comme le rappellent les gérants actions d'Allianz Global Investors, la part des bénéfices opérationnels enregistrés dans les pays émergents par les 600 plus importantes entreprises européennes cotées est passée en dix ans de 10% à 20% du total. La sortie de crise s'annonce lente en Europe et les perspectives de croissance ne sont pas non plus très brillantes aux Etats-Unis; dans ces conditions, la tendance est forte de privilégier davantage encore les entreprises bien implantées dans les pays émergents où l'activité semble repartir à un rythme soutenu. Que l'économie chinoise soit en mesure de dépasser le seuil de 8% de croissance fixé par les autorités est une des meilleures nouvelles de l'année.
Faut-il aller plus loin et chercher un lien entre les indices boursiers chinois et les indices européens et américains? Les économistes de marché sont très réservés sur ce point. Jean-Louis Mourier, chez Aurel BGC, se montre sceptique: «la corrélation entre la Bourse de Shanghai et le S&P 500 [un des indices phares de la Bourse New-York] est mauvaise; Shanghai est beaucoup plus volatile; elle reste un marché émergent». La comparaison des évolutions au jour le jour le confirme. Mais, dans la même société, Alexandre Le Drogoff, qui est, lui, spécialiste de l'analyse graphique, a un point de vue un peu différent: il admet qu'il n'y a pas de corrélation nette avec les marchés occidentaux, mais, ajoute-t-il, depuis 2007, on a pu constater à quatre ou cinq reprises que la tendance du marché chinois anticipait celle du marché américain de quelques mois, et cela dans les deux sens.
Ainsi, Alexandre Le Drogoff voit un exemple de convergence baissière au tournant des années 2007 et 2008: les indices américains étaient au plus haut, voire à des niveaux records pour certains, en octobre 2007 alors que le marché chinois commençait déjàà baisser; le marché américain a suivi en 2008. En sens inverse, le marché chinois a commencé a se redresser à la fin de 2008, alors que les marchés européens et américain n'ont amorcé leur remontée qu'en mars 2009. Et à voir la tenue du marché chinois depuis le début d'août, M. Le Drogoff n'est pas optimiste pour le CAC 40 (d'autres facteurs techniques expliquent aussi sa crainte d'une correction, formulée avant l'annonce des mauvaises nouvelles en provenance de Dubaï).
Si l'on pense que le marché chinois peut avoir une valeur prédictive pour les pays développés, il est intéressant de demander à des gérants locaux comment ils voient l'avenir. En résumé: tout va bien. Pour Liu Hong, gérant à Shanghai de fonds du groupe Fortis, le marché des actions A (cotées en yuans et réservées aux investisseurs locaux ainsi qu'aux institutionnels étrangers ayant une licence) est soutenu par le plan de relance: l'investissement et la consommation intérieure compensent la faiblesse des exportations, la croissance 2010 devrait être supérieure à celle de 2009 (8,7 %, dans une hypothèse prudente, contre 8,4 %). S'il y a peu à attendre dans les secteurs des télécommunications, des banques et de l'énergie, de belles performances sont espérées dans les biens de consommation, les matériaux de base et l'immobilier. La Bourse de Shanghai a progressé de plus de 70% depuis le début de l'année; elle peut encore grimper de 40% l'an prochain! Les Chinois sont confiants: ils sont déjà 200 millions à avoir un compte-titres et 120 millions d'entre eux sont des actionnaires actifs. Des sociétés de gestion (le pays en compte maintenant environ 70) parties de rien il y a trois ou quatre ans ont déjà des encours de 30 milliards d'euros!
Pourtant, en Occident, beaucoup d'experts estiment que le marché chinois est cher maintenant, et donc vulnérable. Réponse de M. Liu: il ne capitalise que 21 fois les bénéfices attendus en 2010, il y a encore de la marge. Peut-il y avoir un krach en Chine? Réponse d'un gérant : «Je m'en f... !». Sous-entendu: ce ne serait qu'une péripétie, de toute façon à un horizon de cinq à dix ans on gagnera de l'argent. Il n'est pas sûr que cet optimisme débordant soit partagé ici et que l'hypothèse d'un krach boursier en Chine soit envisagée avec autant de sérénité. De part et d'autre du continent eurasiatique, on n'a pas vraiment la même confiance dans l'avenir!
Gérard Horny
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Image de Une: A la Bourse de Shanghai Aly Song / Reuters