La France retrouve modestement le chemin de la croissance et c'est un moment politique compliqué! Paradoxalement, c'est quand certains spécialistes, qui ont de très bons yeux, commencent à dire qu'ils entrevoient la fin de la crise que le terrain politique devient particulièrement glissant pour les gouvernants. L'Elysée va se trouver devant un dilemme. Il sera bien tenter de tirer un peu politiquement profit d'un retour, même modeste, de la croissance (techniquement, nous ne serons plus en récession). Mais en même temps, le chômage va augmenter cette année et l'année prochaine, puisque l'on considère généralement que pour inverser la courbe du chômage, il faut atteindre un taux de croissance de 1,5% par an. On n'y sera pas en 2010.
Comment, dans ces conditions, être entendu lorsqu'on dit que la crise est finie si le chômage ne baisse pas.
Les indicateurs économiques et les indicateurs sociaux ne sont pas raccords et pour l'opinion, les deux seuls critères qui comptent sont bien sûr, le pouvoir d'achat et l'emploi. Le retour à la croissance n'assure pas non plus une réduction des inégalités. Depuis une vingtaine d'années, nous vivons toujours sur ce mythe selon lequel la croissance est le sésame, alors qu'elle engendre même un surcroît d'inégalités. Les politiques font du mot «croissance» un mot magique qui illumine leurs discours d'une lumière d'optimisme. Henry Wallich, qui n'est pas du tout un illuminé promoteur de la décroissance puisqu'il était le gouverneur de la réserve fédérale américaine entre 1974 et 1986, disait: «la croissance est un substitut à l'égalité des revenus. Tant qu'il y a de la croissance, il y a de l'espoir et cela rend tolérable les grands écarts de revenus»... On comprend mieux, après avoir entendu ça, que les hommes politiques français — pays ou l'égalité est une valeur cardinale — avaient beaucoup de mal à avouer que nous étions en récession et sont si pressés de nous confirmer notre retour sous la protection de la croissance.
Mais les capteurs sur lesquels se basent la plupart des hommes et femmes politiques ainsi que les commentateurs politiques et économiques, pour évaluer l'état de l'économie, ne sont pas les mêmes que ceux qui renseignent la population en général. Le risque d'écart entre le discours politique, le ton des médias, et ce que ressent l'opinion s'accroit souvent dans ces périodes. Le choix des mots utilisés par le pouvoir est donc primordial et complexe parce que pour hâter la sortie de crise, il faut booster l'optimisme, moteur de la consommation, elle-même moteur de la croissance. Or, pour booster l'optimisme, il faut affirmer que tout va aller bien. La déception risque d'être au rendez-vous puisque la croissance, même si elle revient, ne fera pas baisser le chômage de sitôt. Si le gouvernement décide d'opter pour un discours type du «sang et des larmes» plus réaliste... il prendrait le risque de freiner la reprise en distillant du pessimisme. C'est un peu la quadrature du cercle.
Evoquer la reprise pourrait, en outre, stimuler des revendications sociales. C'est la crainte du gouvernement. Le réveil des revendications risquerait donc de se fracasser sur le mur de la rigueur. Et nous voilà devant un autre problème de discours. Un obstacle sémantique même... la fameuse «rigueur». Nicolas Sarkozy l'assure: il n'y aura ni augmentations d'impôts, ni rigueur. Cette double affirmation combinée avec le souhait affiché de ne pas laisser filer les déficits est aussi crédible que d'affirmer que l'on va gagner la coupe du monde de foot avec le quinze de France de rugby. Ce n'est pas possible, tout le monde est d'accord. La solution quand on ne veut pas qu'une réalité soit trop apparente, et bien, c'est de changer l'acception des mots, appeler son chat «Médor»... ou sa fille «Jean-Paul»... Il va donc falloir que Nicolas Sarkozy et ses grands spécialistes en communication trouvent un autre mot pour «rigueur».
Déjà «rigueur» — en soi c'est un mot positif (la rigueur, c'est bien) — était un mot déguisement: quand Pierre Mauroy, en 1983, doit changer de politique et serrer la visse sociale, il ne peut pas reprendre le mot «austérité» qui avait qualifié le même genre de politique sous Raymond Barre, et que la gauche avait combattu... «Austérité», un mot, vous en conviendrez, assez effrayant. La «rigueur» de 1983, 84, 85, 86, s'est traduite par une explosion du chômage et une défaite électorale lors des législatives de 1986. Donc le mot a pris une acception très négative. En clair, «rigueur», c'était de la peinture rose sur le mot «austérité»... mais le rose est passé et il faut trouver une autre couleur pour recouvrir le mot «rigueur». Du coup, voilà Nicolas Sarkozy obligé de le repeindre à son tour. On attend donc de savoir comment «l'austérité» devenue «rigueur» finira par être nommée!
Thomas Legrand
Image de une: CC Flickr ndanger