Lundi 18 janvier, deux mois après jour pour jour le match France-Irlande, il sera de nouveau question de la main victorieuse de Thierry Henry, qui a permis de qualifier l'équipe de France pour la prochaine coupe du monde de football. Cette main sera, en effet, «étudiée» par la commission de discipline de la Fédération internationale de football (Fifa). Le meilleur buteur de l'histoire de l'équipe de France -51 buts en 117 sélections- n'a pas été convoqué pour s'expliquer par la Fédération internationale. Nous republions un article de Phlippe Boggio sur la frénésie qui avait saisie la France au lendemain de cette qualification controversée.
Etrange semaine, un peu cul par dessus tête, à rôles inversés, que la France vient de vivre. Un peu comme si la messe était dite par un défroqué. Le foot se mêlant de morale. Le match de la dernière chance contre l'Irlande tournant brusquement à la contrition générale. Le pays des qualifiés se mettant à plaindre celui des vaincus, après que «la main de la honte» ait fait son office malheureux; les uns demandant que soit rejoué le match, les autres regrettant que Thierry Henry ne se soit pas avancé vers l'arbitre pour avouer sa faute et lui recommander de ne pas accorder le but; les uns et les autres exigeant pour l'avenir le recours à un arbitrage renforcé, sans doute vidéo, pour plus de transparence.
En temps ordinaire, à se souvenir de la chronique du foot, la fin de ce match aurait dû libérer un tout autre écho. En temps ordinaire, personne, dans le camp tricolore, n'aurait vu qu'«il y avait main». A commencer par les commentateurs de TF1, chaîne qui jouait financièrement gros dans la qualification des Bleus. Par les supporters les plus radicaux, dans le stade, qui auraient accablé les Irlandais, en plus du but encaissé, de leurs cris réjouis et de leurs chants de gloire. D'habitude, la foule cautionne la triche quand elle profite à son équipe. Pas vu, pas pris, telle est la règle sportive. Nationalisme et jubilation de mauvais joueur. D'autant qu'à l'heure du passage du ballon par la main d'Henry, la tension était à son comble, dans le stade et dans le pays. Dix minutes de plus et la France ne participait pas à la prochaine Coupe du monde. Imagine-t-on?
Ce n'est pas ce qui s'est passé. En direct, immédiatement, les commentateurs de TF1 ont dit leur étonnement, puis leur honte. Le stade n'a pas manifesté la joie qu'on attendait. Dix minutes encore, un coup de sifflet final, et le public, les joueurs, saluaient une qualification inespérée, et fort injuste, du bout des lèvres. Et le pays vainqueur boudait sa victoire. La rejetait, symboliquement. Aurait même voulu la rendre à l'Irlande.
Bien sûr, dans cette réaction, il y avait le meilleur du foot. Le foot éclairé. Les amateurs et les spécialistes de qualité. Bernard Pivot, Bixente Lizarazu, Arsène Wenger... Les internautes et les commentateurs qui réfléchissent. Ceux qui, pour en aimer le ballon rond, n'en oublient pas qu'ils sont aussi des citoyens, des femmes, des hommes de conscience. Les uns et les autres ont sûrement donné le ton. N'empêche: cette semaine de l'éthique par le foot est une bonne surprise. Elle rend un peu de lustre à une réputation. Elle complique l'idée qu'on pouvait se faire, au fil des ans, d'un sport envahissant, ultra-libéral, toujours pressé de s'enrichir et de se mondialiser, plein de casseurs de rue et de milliardaires blanchissant l'argent sale de la mafia russe. Elle participe aussi, de belle manière, au débat d'automne sur l'identité nationale. En élargissant ses conceptions les plus étroites. On a vu des Irlandais s'inviter à la table de nos discussions, en cousins européens; des jeunes Français avoir la bonne idée de fêter la victoire de l'Algérie plutôt que celle des Bleus. On a entendu tout le monde, l'humanité du foot et ses diasporas, natifs et immigrés, réguliers et clandestins, traiter ensemble d'un point de justice: la main d'un capitaine. Ce qui n'est pas une mince affaire.
Philippe Boggio
SI VOUS AVEZ AIMÉ CET ARTICLE, VOUS APPRÉCIEREZ PEUT-ÊTRE: «La France bien-pensante étale son ignorance du foot» ; Jacques Attali: «Nous sommes tous des Irlandais» ; «France-Irlande: vive la triche!» ; «Pourquoi on ne refait pas le match» ; «La vérité presque nue sur le scandale du France-Irlande»
Image de Une: Thierry Henry et Richard Dunne après la qualification de la France contre l'Irlande, REUTERS/Charles Platiau