Culture

Seul l'Internet rejette la loi sur le téléchargement illégal

Temps de lecture : 4 min

Hadopi: le web contre le reste des médias

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Sujet en or pour chroniqueur de l'espace public numérique : Hadopi. Les débats sur le projet de loi «Internet et création», qui entend régler les problèmes des droits d'auteur sur Internet et instaurer une «réponse graduée» contre le téléchargement numérique illégal, illustrent en effet plus qu'aucun autre l'autonomie du web par rapport aux autres dimensions de l'espace public. De fait, les médias et le web agissent quasiment comme deux miroirs du débat, à la nature totalement opposée.

Sur le web, il est très difficile de trouver un soutien au projet de loi. La majorité des espaces sociaux regorgent de textes le critiquant. A l’inverse, au fil des émissions télé, radio ou tribunes dans la presse, on peine à trouver des porte-paroles reconnus des internautes et des voix véritablement critiques. Les rares émissions qui traitent du sujet donnent la parole à des artistes, des représentants des ayant droits, des producteurs. Presque jamais aux associations ou aux experts faisant autorité sur le web.

Rareté contre abondance, ensuite. Raréfaction d'un sujet qui semble lasser les médias d'un côté (ont-ils l'impression d'en avoir fait le tour?), hyper abondance de production de contenus de l'autre. Vidéos, billets de blogs, longues discussions de forums, relais de pétitions, photomontages, tout l'attirail du situationnisme militant du web, jusqu'à des expériences de direct avec twitter, est mobilisé. Il y en a partout contre Hadopi, en mode vent debout, permanent.

Comment expliquer le contraste flagrant entre le calme — dans les médias et dans la rue — et l’ébullition du web? Pourquoi l’agacement de l’un ne passe pas à l’autre? J'ai des pistes.

Première. Les internautes sont des feignants. Ils ne sont bons qu'à râler, à poster des argumentaires copiés et collés sur le blog d'à côté, vous dira Pascal Nègre, patron de Major rencontré sur un studio-télé. C'est pour ça qu'on ne voit pas leur colère, somme toute réduite, dans la rue. Fausse piste. Il ne faut pas être paresseux pour faire la belle vidéo de JC Frog, pour inventer un black out du net (avec tout son kit de militant numérique), pour écrire les billets d'analyse (voire plus) de Numerama, pour réaliser le patient travail de collecte, recoupage, décryptage des internautes. L'énergie est palpable, l'invention de formes multiple, le travail manifeste. Il doit bien y avoir quelque chose d’autre..

Deuxièmement. Le sociologue dira que cela répond à la vision de réaction/correction du web. Les internautes sont dans une logique de défiance et de réaction sur ce qui est émis dans l'espace médiatique. Ils n'ont pas de capacité d'initiative, et ne font donc qu'agir, comme ils le font sur tant de sujets, sur des stimuli des autorités instituées. Pas faux. Ça explique en partie le caractère massivement négatif (anti Hadopi) des productions que l'on trouve en ligne: si les speakers officiels du sujet, dans les médias, pratiquaient moins certains raccourcis (vol, pirates, disque=musique…), peut-être y aurait-il moins de réactions. Mais enfin, ça n'explique pas que les médias y soient insensibles, non?

Troisième. Les internautes sont incapables de s'organiser pour faire pression avec efficacité. Celle-là me parle plus. Le black out du net, lancé par la Quadrature du net, est à cet égard très emblématique. Voilà une opération qui fédère, en ligne, des milliers de sites, blogs, comptes Facebook et Twitter, et espère l’effet de propagation virale, de mimétisme des internautes, pour emporter une masse très importante. Problème : les députés n’en ont cure, ils ne pratiquent pas vraiment le web et ne verront sans doute pas ce black-out, sorte de sit-in silencieux du web. Mais surtout, ce mode de militantisme ne sort pas de l’espace numérique, n’entre pas dans un rapport de forces, ne va pas faire pression. On touche là le principal sujet. Il existe un camp, en France, prêt à rassembler plusieurs centaines de milliers de signataires sur une pétition, plusieurs dizaines de milliers de relais actifs, mais incapable de transformer cette action dans la vraie vie.

Or, le web n’est plus seulement le lieu du militantisme en ligne. Barack Obama l’a bien montré, utilisant le Réseau pour organiser une action militante à grande échelle. Beaucoup, dans les réponses à un micro-sondage que j’ai lancé sur Twitter, semblent partager cette opinion. La question est donc: pourquoi ces internautes n’arrivent-ils pas à dépasser le stade de la pétition numérique, de la protestation sur leurs blogs, de l’expression sur le web?

Là encore, j’ai des pistes.

La première, c’est que le web manque d’acteurs qui ont un réel intérêt dans cette affaire. Malgré des tentatives lors du précédent débat, sur le projet DADVSI, il n’existe pas d’association active et légitime qui ait mandat de représentation des internautes (que sont les audionautes devenus?). Pas de génération spontanée d’acteur fédérateur, militant, actif. Cela tient notamment à une évolution générationnelle : ces débats sont si anciens que les militants des premiers jours sont devenus âgés, ils ont changé de boulot, de situation, de perspectives. Jamais, non plus, ils n’ont trouvé de financement stable, s’appuyant sur un noyau dur de militants. En parallèle, les associations familiales et de consommateurs sont très en retrait: elles ont tort, puisqu’elles se cantonnent comme d’habitude à un mode d’action traditionnel de relation directe avec les pouvoirs publics plus que de mobilisation des internautes.

Cette absence de mobilisation est symptomatique, non de la déshérence des internautes, mais de l’atonie des corps constitués, des intermédiaires de représentation, des syndicats et associations, qui, pour la plupart, ne sont pas à la recherche de soutiens populaires, d’appels à mobilisations. C’est également symptomatique d’un corps politique également assez protégé de l’opinion, et attendant plus de son leader politique que des citoyens mobilisés. A force de blocages, de manque d’ouvertures, d’autisme, les corps constitués anéantissent l’espoir des citoyens que leurs mobilisations puissent parvenir à quelque chose. La lassitude est forte.

A travers le débat sur Hadopi, c’est en fait l’effritement d’un système médiatique et politique, ses failles, ses lambeaux de peinture, qui sont mis sous nos yeux, et la nécessité d’une forme de renouveau, qui peut venir du web, qui est, en creux, mise en exergue…

Nicolas Vanbremeersch

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